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Une jeune célibataire grecque de 32 ans, Europe Spartanikès, quitte Athènes, sa ville natale, pour travailler dans une université parisienne, comme assistante de Monsieur Pierre Germont, un professeur de linguistique qui est aussi chercheur. …

posté le 02-11-2014 à 14:58:23

PRÉSENTATION SCÉNARIO


TITRE : Un impossible rêve

 

AUTEUR : Emmanuelle Grün


Adaptation du roman "EUROPE, MON AMOUR", du même auteur.

L'œuvre est protégée.                                              

 


 

GENRE : Féerie moderne

 

DURÉE : 3 h 30 – 210 min.

 

Note 1 : selon le choix d'interprétation, des scènes de la fin peuvent être

supprimées (5 à 10 min.)

 

Note 2 : scénario avec un important suspens. Celui/celle qui souhaite se faire surprendre ne devra pas lire le synopsis.

 

PITCH : Europe Spartanikes, une jeune Grecque, devient l'assistante de Pierre Germont, linguiste et chercheur à l'université. Une série d'événements inexplicables vont confronter la jeune femme à un " impossible rêve ".

 

 

 

 

 

 


 
 
posté le 02-11-2014 à 15:04:17

SYNOPSIS

Une jeune célibataire grecque de 32 ans, Europe Spartanikès, quitte Athènes, sa ville natale, pour travailler dans une université parisienne, comme assistante de Monsieur Pierre Germont, un professeur de linguistique qui est aussi chercheur. Pierre Germont fait visiter son Centre de Recherche à sa nouvelle assistante et lui fait découvrir des inventions aussi étonnantes les unes que les autres, la plupart jouant sur des illusions sonores ou visuelles. Au cours d’une promenade, le professeur explique à son assistante le projet du Centre de Recherche : il s’agit de neutraliser de dangereux tyrans en les emprisonnant à leur insu, dans une histoire illusoire. Peu après une série d’événements troublants vont se succéder, faisant croire à la nouvelle venue que son destin se confond avec celui de la vraie Europe, de la mythologie grecque. Europe Spartanikès ignore qu'elle sert de cobaye au nouveau projet de recherche.

 

 

 

 

 


 
 
posté le 02-11-2014 à 20:09:15

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 1

 

 

 

Scène 1 – CIEL– EXT/JOUR

 

En contre plongée, vol d’un aigle qui tournoie. Cri de l’aigle relayé par le bruit d’un RER qui arrive sur un quai. 

 

 

 

Scène 2 – RER – EXT/JOUR

 

Un RER s’arrête. Les portes s’ouvrent et libèrent un flot de voyageurs. Un visage féminin apparaît, de profil, en premier plan : celui d’EUROPE. La jeune femme, de type méditerranéen, a une trentaine d’années. Des cheveux longs et sombres noués en tresse dans le dos, une silhouette élancée, une tenue classique, un charme naturel. EUROPE s’avance vers les portes. Elle n’est vue que de dos.  

 

 

 

Scène 3 –  RER – INT/JOUR

 

EUROPE s’installe sur un fauteuil de RER, situé près de la fenêtre. Elle jette un regard par la fenêtre. Sonnerie des portes qui se referment. Le RER redémarre. EUROPE ferme les yeux. 

 

 

 

Scène 4 – SOL de CAMPAGNE –  EXT/ JOUR

 

Galop d’un taureau blanc, dont on ne voit que les pattes et le ventre, en profil.

 

 

VOIX de JEUNE FILLE, en VOIX OFF 

 

                        Mais comment c’est possible ? 

 

 

VOIX MASCULINE, en VOIX OFF

 

                        C’est ce que raconte le mythe

 

(traduire le dialogue en grec et mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 5 – MUSÉE – INT/JOUR

 

Dans un musée, un gigantesque tableau couvrant l’étendue du mur et représentant Europe sur un taureau blanc. Le tableau est éclairé par des lumières dirigées. Face au tableau, EUROPE JEUNE FILLE tenant la main à son PERE. Les deux personnages sont de dos. On retrouve les deux VOIX OFF de la séquence précédente.

 

PERE d’EUROPE

 

Le taureau attend le moment où elle tient fermement ses cornes pour l’emporter dans sa course. C’est comme ça que Zeus enlève Europe

 

 

EUROPE JEUNE FILLE 

 

Et après ? 

 

 

PERE d’EUROPE

 

Après, le taureau traverse plein de pays. Puis il change d’apparence et prend forme humaine… Cela finit par une histoire d’amour. 

 

 

EUROPE JEUNE FILLE

 

Peut-être qu’avant, on apprenait à monter sur le dos des taureaux. Ce mythe doit raconter une histoire très ancienne.

 

 

PERE d’EUROPE  

 

Oui. Mais on dit aussi que les mythes n’ont pas d’âge. 

 

(traduire le dialogue en grec et mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 6 – CAMPAGNE, BORD d'UN RAVIN – EXT/JOUR

 

Reprise de la séquence 4, mais cette fois le taureau, entièrement visible, en plan d’ensemble, transporte EUROPE JEUNE FILLE sur son dos. Les mains de la jeune fille se cramponnent aux cornes de l’animal. Le bruit du galop est remplacé par un battement de cœur. Le taureau arrive devant un ravin et stoppe net sa course. La jeune fille, dans la secousse, lâche prise et tombe à terre, sur le dos. Effet images rêvées. 

 

 

 

Scène 7 – RER – INT/JOUR

 

Europe secouée au moment de l’arrêt du RER, ouvre les yeux. Elle se recale dans son fauteuil, tout en portant son regard vers l’avant. Un homme s’installe sur le fauteuil d’à côté et ouvre son journal. 

 

VOIX d’une FEMME, en VOIX OFF 

 

Il faut que tu fermes encore les yeux.

 

(traduire en grec et mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 8 –  ENTRÉE de CAVERNE – INT/JOUR

 

Entrée d’une caverne. Dans un contre-jour, le profil du visage d’EUROPE, plus âgée que dans la séquence 5. Le visage est en plan rapproché. Une main vient se poser sur ses yeux. 

 

VOIX d’une FEMME, en VOIX OFF   

 

Que vois-tu, maintenant ?   

 

 

EUROPE  

 

Les enfants de ma rue qui ont faim. Et d’autres encore… des malheureux qui errent sans espoir. Et quand je les vois, je me dis que je n’ai pas envie de croire qu’il y a un Dieu suprême au-dessus de tout ça.

 

(traduire le dialogue en grec et mettre sous-titres)

 

Une vapeur de fumée s’élève et passe devant le visage. L’image se brouille. 

 

 

 

Scène 9 – CHAMP de RUINES ANTIQUES – EXT/JOUR

 

En Grèce, une étendue sablonneuse désertique comprenant uniquement des vestiges antiques en mauvais états. Des mendiants, enfants et adultes tendent leurs mains. Leurs appels sont des murmures inaudibles. Les mains, qui arrivent en premier plan, sont exagérément grossies. 

 

EUROPE en VOIX OFF 

 

L’antiquité a tout donné à mon pays. La modernité lui a tout repris. 

 

(traduire en grec et mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 10 – CAVERNE – INT/JOUR

 

Caverne de la séquence 8. Dans un plan d’ensemble et en contre jour, EUROPE assise face à une QUINQUAGÉNAIRE, qui porte une tunique blanche et une couronne de fleurs sur des cheveux longs. Leurs deux visages sont proches. Au milieu, les braises encore fumantes d’un feu de bois. 

 

La QUINQUAGÉNAIRE

 

As-tu déjà réfléchi aux limites que peuvent atteindre ta conscience ? 

 

(EUROPE redresse légèrement la tête.) 

 

Des philosophes de l’antiquité se sont déjà posés ce genre de question. Ils ont réfléchi et se sont dits : Ne pas croire n’est pas ce qu’il y a de pire à imaginer. Alors ils ont essayé de pousser plus loin les limites de leur conscience. Aussi loin qu’ils le pouvaient, c’est-à-dire jusqu’aux limites du supportable. Et ils se sont aperçus qu’il y avait une éventualité bien pire encore : c’est celle d’un Dieu bienveillant, à qui l’on doit tout, mais qui aurait été trahi et vaincu par des puissances néfastes, lesquelles se seraient accaparées sa place et son identité. Cette éventualité est vraiment un cauchemar, quand on y pense, et pourtant ces philosophes ont voulu crier victoire. Ils ont voulu crier victoire car ils savaient qu’en découvrant cette histoire, ils touchaient aux limites extrêmes de leurs propres consciences. 

 

(Sourire approbateur d’Europe. / Cri de l’aigle. La QUINQUAGÉNAIRE  oriente son regard vers le ciel. )

 

L’aigle est là. Quel beau présage !

 

(traduire en grec et mettre sous-titres)

 

EUROPE se penche pour regarder à son tour.

 

 

 

Scène 11 – CIEL –  EXT/JOUR

 

Aigle dans le ciel. Idem séquence 1.

 

La QUINQUAGÉNAIRE en VOIX OFF 

 

Dans le Ciel, ce n’est pas le vide que tu dois admirer, mais tout ce qui le peuple

 

 

 

Scène 12 –  ENTRÉE de la CAVERNE –  INT/JOUR

 

Entrée de la caverne. En plan rapproché, EUROPE, penchée sur le côté, regarde en direction du ciel.

 

EUROPE 

 

Et qu’est-ce que ça veut dire ?

 

 

VOIX de la QUINQUAGÉNAIRE en hors champ  

 

Ça veut dire que tu dois aller là-bas. 

 

(traduire le dialogue en grec et mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 13 –  CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus universitaire. Des bâtiments au loin. EUROPE marche en direction des bâtiments. Elle passe devant un panneau qui indique : UNIVERSITE…  Bruit de ses talons. Musique. 

 

 

Générique du début en surimpression. 

 

 

 

Scène 14 – CAMPUS –  EXT/JOUR 

 

Campus universitaire. EUROPE s’avance vers la tour la plus haute. Un ÉTUDIANT s’apprête à croiser son chemin. Elle va vers lui. Elle s’exprime avec un léger accent. 

 

EUROPE 

 

Excusez-moi, le Secrétariat de Linguistique, c’est par ici ? 

 

L’ÉTUDIANT se retourne.

 

L’ÉTUDIANT (indique une direction)  

 

Non, c’est dans ce bâtiment que vous voyez au fond, de ce côté-là.

 

EUROPE 

 

AhEntendu. Merci bien.

 

EUROPE regarde dans la direction indiquée et reprend la marche. 

 

 

 

Scène 15 –  CAMPUS – EXT/JOUR 

 

Campus universitaire. Entrée du bâtiment de linguistique. Un alignement de portes battantes vitrées. Au-dessus des portes, une inscription en relief :  DEPARTEMENT DE LITTERATURE SCIENCES DU LANGAGE ET PHILOSOPHIE. Europe s’approche du bâtiment et s’arrête pour lire l’inscription. Elle se dirige vers une porte et pousse le battant. 

 

 

 

Scène 16 –  HALL BATIMENT LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Intérieur du bâtiment de linguistique. Un grand hall avec des bancs. Quelques étudiants assis. Une fresque sur un mur. Près de la fresque une machine à café où discutent deux étudiants, un gobelet à la main. De hautes portes d’amphithéâtre en bois à double battants de part et d’autres. Un escalier d’un côté et un ascenseur de l’autre. Des affiches syndicales du côté de l’escalier et des affiches administratives près de l’ascenseur. EUROPE inspecte les lieux, pose son regard sur quelques affiches, puis se dirige avec hésitation vers l’escalier.  Elle rencontre MARTINE une secrétaire qui tient un dossier et s’approche d’elle pour lui parler. On ne les entend pas parler (plan d’ensemble). 

 

 

 

Scène 17 –  AMPHITHÉÂTRE – INT/ NOIR  

 

Grand amphithéâtre moderne. Les bancs sont occupés par une centaine d’étudiants penchés silencieusement sur leurs copies. Deux enseignants surveillent les étudiants en arpentant les allées. Par un panoramique, on découvre la tribune derrière laquelle est installé le professeur PIERRE GERMONT. PIERRE GERMONT est un homme d’une cinquantaine d’années d’une stature imposante et d’un tempérament calme. Une allure robuste, de larges épaules, une chevelure grisonnante et un regard clair. Il porte des lunettes. Assis à la tribune, PIERRE GERMONT corrige un brouillon de thèse en s’aidant de trois feutres fluos : jaune, vert, rose. De temps, par dessus le verre de ses lunettes, il jette un coup d’œil dans la salle. Un bruit de porte. Apparaît la secrétaire MARTINE (de la séquence 16). MARTINE s’approche  discrètement d’un des deux enseignants, MONSIEUR JOUBERT pour lui transmettre un message à voix basse. MONSIEUR JOUBERT remercie MARTINE d’un signe de tête et descend l’escalier de l’amphithéâtre en direction de la tribune. Il monte l’escalier de l’estrade et s'approche de PIERRE GERMONT.

 

MONSIEUR JOUBERT (en murmurant) 

 

Monsieur Germont, la secrétaire tient à vous faire savoir que votre nouvelle assistante est arrivée. 

 

 

PIERRE GERMONT (à voix basse) 

 

Merci.

 

 (PIERRE GERMONT recule sa chaise et se lève légèrement afin d’attraper une clef dans une des poches de son pantalon. Il tend la clef à MONSIEUR JOUBERT). 

 

Tenez… C’est pour que l’on puisse permettre à cette personne de s’installer dans mon bureau. Je serai à elle dans un instant

 

 

 

Scène 18 – HALL BATIMENT LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Grand hall du bâtiment de Linguistique. PIERRE GERMONT se dirige d’un pas tranquille vers l’ascenseur. Il tient un portable à la main. Une fois devant l’ascenseur, il appuie sur le bouton et met le portable à son oreille.  

 

PIERRE GERMONT  

 

Allô Clémence ! C’est moi Pierre. C’est pour te dire que je rentrerai plus tard, ce soir. Ma nouvelle assistante vient d’arriver… Oui, je t’en avais déjà parlé… Voilà… 

 

L’ascenseur arrive. Les portes s’ouvrent. PIERRE GERMONT entre dans la cabine, le téléphone toujours à l’oreille. 

 

Alors à ce soir, ma chérie. Je t’embrasse. 

 

Les portes de l’ascenseur se referment. 

 

 

 

Scène 19 –  BUREAU DIRECTEUR DEPARTEMENT LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Bureau du directeur de Département de Linguistique (Bureau de PIERRE GERMONT). Une pièce longue et étroite avec une fenêtre au fond. Un meuble bureau coupe pratiquement la pièce en deux. Dans le fond, près de la fenêtre, une armoire administrative et un guéridon sur lequel est posée une cafetière électrique. Sur le mur de gauche, une porte fermée. Dans le prolongement du mur de gauche, jusqu’au bureau, tout un patchwork d’affiches, de photos, de post-it et de formulaires qui donnent un aspect intime au lieu. Le bureau est encombré sur une extrémité par une pile de cahiers et dossiers et sur l’autre, par un ordinateur et un téléphone, mais sur la partie du milieu il est soigneusement rangé. Sur le devant du bureau, juste en face d’un sous-main et à côté d’un pot à crayons, la statue en marbre de Carrare d’un taureau blanc, qui repose sur un socle. Devant le bureau, deux chaises. Sur l’une d’elle, est assise EUROPE, qui se tient droite et figée. Mais EUROPE promène un regard curieux sur tous les détails du lieu. Bruit d’une porte dans son dos. Elle sursaute et se lève aussi vite qu’elle le peut. Son regard, d’un brun soutenu, croise celui du professeur. Troublée, elle sourit. Elle trouve cependant l’audace de tendre le bras la première. 

 

EUROPE   

 

Mademoiselle Spartanikès. Vous êtes bien Monsieur Pierre Germont, le Directeur de ce département ? 

 

 

PIERRE GERMONT saisit la main de la jeune femme en la gardant dans la sienne, afin de prendre le temps de la dévisager. 

 

PIERRE GERMONT  

 

Lui-même. Enchanté. 

 

Il relâche la main.

 

 

EUROPE  

 

Excusez-moi. Peut-être faut-il vous appeler « professeur » ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Oh non… évitez…

 

 (Il contourne son bureau). 

 

Certains titres font comme certains vêtements : ils vieillissent

 

(Debout devant son bureau, il indique une chaise d’un mouvement du menton) 

 

Asseyez-vous, je vous en prie. 

 

(Tous deux s’assoient l’un en face de l’autre, sans se lâcher du regard). 

 

C’est qu’en plus, j’ai en face de moi le charme et la jeunesse.

 

Il saisit un dossier sur la pile de son bureau.

 

 

EUROPE 

 

Oh, mais j’ai quand même 32 ans ! 

 

 

PIERRE GERMONT  (en ouvrant le dossier) 

 

C’est quand même peu, compte tenu de vos bagages. 

 

 

EUROPE 

 

Je n’ai aucun mérite. Ma famille m’a beaucoup aidée.

 

 

PIERRE GERMONT (en jetant un regard machinal sur le bout de ses ongles) 

 

C’est vrai que ça n’a pas été le cas de la mienne. 

 

 

(Il se ressaisit, se redresse sur sa chaise). 

 

Mais venons-en  aux faits. J’aimerais bien vous éviter la litanie  de l’enseignant chercheur qui doit être à la fois au four et au moulin, avec les effectifs qui se réduisent et les fonds publics qui ne rentrent pas, mais c’est hélas notre quotidien. Et bientôt ce sera aussi un peu le vôtre. Je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet, mais vous devez quand même être avertie de l’essentiel. Les salaires que nous recevons sont à la limite de l’inconvenant, aussi ne vous étonnez pas s’il vous arrive, un jour, d’entendre, que dans certains autres pays, les rémunérations peuvent être jusqu’à trente fois supérieures. D’autre part,vous ne toucherez votre salaire qu’au bout d’un an, ce qui vous oblige, bien sûr, à emprunter. Il faut aussi comprendre que la réduction de nos effectifs nous confronte à un problème permanent. Aujourd’hui, notre monde s’appuie sur une quantité de connaissances phénoménales et parfois très complexes. Les stocker est une étape importante, mais ça ne suffit pas, car des connaissances qui sont seulement dans des machines ne sont plus vivantes. C’est la même chose que stocker des germes de plantes, des spermatozoïdes ou ovules d’espèces animales : ce qui est préservé n’est pas l’espèce vivante elle-même. C’est là que se pose un problème de temps. Car pour nous, le dilemme est toujours le même : soit nous nous employons à rendre ces connaissances utiles dans le domaine de la recherche, soit nous devons les enseigner afin de les transmettre aux jeunes générations. Or, ces derniers temps, la situation s’est encore aggravée, car à présent c’est même le stockage des données qui pose problème. Ce qui signifie qu’une partie essentielle de la recherche n’est pas stockée ailleurs que dans les têtes bien remplies de mes chers collègues. Et comme, généralement, ce ne sont plus de jeunes gens, ces chercheurs trépassent en emportant avec eux les clefs d’une connaissance essentielle dont ils étaient les seuls garants. Cela arrive de plus en plus souvent. 

 

 (Il s’interrompt, bascule un peu la tête à l’envers, jette un œil vers le plafond et passe une main sur son visage. Il regarde à nouveau son interlocutrice). 

 

Les assurances, si elles faisaient leur travail, devraient nous verser des sommes faramineuses pour chacune de ces disparitions. Les conséquences sont énormes. A cause de ça, au lieu de vrais progrès, nous arrivons plutôt à un état de stagnation. 

 

(Il s’interrompt à nouveau et se redresse). 

 

Mais en même temps, cela signifie qu’il faudrait interdire aux chercheurs de conduire, de prendre l’avion, ou de pratiquer toutes les activités qui présentent un risque de mort brutale.. 

 

Machinalement, sa main s’empare d’un stylo, du pot à crayons. 

 

 

EUROPE  

 

Vous pensez sérieusement appliquer ce genre de pratique pour vous-mêmes ?   

 

 

PIERRE GERMONT (en souriant) 

 

Absolument pas. S’il faut vivre avec le danger, mieux vaut le danger que de ne pas vivre du tout. Cependant, ma chance est quand même d’avoir pu consigner une partie de mes connaissances dans des ouvrages.

 

 

EUROPE (avec un certain enthousiasme)  

 

Ils abordent des points très intéressants. Je les ai lus avec beaucoup de plaisir.

 

 

PIERRE GERMONT (avec un hochement de tête)  

 

L’honneur vous revient d’avoir su les lire. Certains chapitres sont ardus et surtout si vous devez les parcourir dans une langue qui n’est pas votre langue maternelle. 

 

 

EUROPE 

 

Mais mon accent reste un gros problème. Je dois toujours faire des efforts.

 

 

PIERRE GERMONT (en se penchant vers l'avant) 

 

Permettez au linguiste que je suis, de vous corriger. Ce n’est pas votre accent, mais votre prononciation.

 

 

EUROPE (en baissant honteusement le regard) 

 

Oui, c’est une faute grossière. Excusez-moi. C’est que j’essaye justement de me  corriger en répétant ce que j’entends communément. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Et bien précisément, votre accent est ce que vous ne pourrez jamais entendre ni répéter, à la différence de votre prononciation. (Il fait tourner le stylo entre ses doigts, puis se met à fixer son interlocutrice d’un regard franc). Répétez-moi ceci : « Mon chéri, je te chouchoute, te susurre des choses secrètes et te chuchote des choix insensés ». 

 

 

EUROPE (avec difficulté et en dénaturant les sonorités) 

 

« Mon chéri, je te chouchoute, te susurre, te chuchote… » comment ?  

 

 

PIERRE GERMONT (lentement) 

 

« Mon chéri, je te chouchoute, te susurre des choses secrètes et te chuchote des choix insensés. » 

 

 

EUROPE (avec difficulté et en dénaturant les sonorités) 

 

« Mon chéri, je te chouchoute, te susurre des choses secrètes et te chuchote des choix insensés ».

 

(Elle sourit). 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Rien de grave. Parmi mes séminaires, il y en a un assez spécifique, qui pourrait vous aider. Il est assuré par un chargé de TD, Monsieur Verneuil. Il se prolonge tout l’été et accueille aussi des non diplômés. Selon les jours et les heures, il propose soit de la phonétique, soit de la rhétorique. Le public qu’il accueille est, comme vous pouvez le deviner, assez varié. Des personnes d’origines étrangères, comme vous, mais aussi des gens qui cherchent  simplement à bien parler en se débarrassant de leurs tics du langage. Parmi eux, il y a même des jeunes des cités voisines. En ce qui vous concerne, je vous conseille de suivre les cours de phonétique. Si vous êtes régulièrement assidue, à la prochaine rentrée universitaire vos fautes de prononciation auront totalement disparu.

 

 

EUROPE 

 

Je vous remercie. C’est une aide vraiment précieuse. M’est-il possible d’avoir dès maintenant les lieux et les horaires ? 

 

PIERRE GERMONT approche son fauteuil de son bureau, prend une feuille d’un bloc et note les indications avec le stylo qu’il tient entre ses mains. 

 

 

PIERRE GERMONT (en tendant le papier à son interlocutrice) 

 

Voilà. Après ça, vous aurez la possibilité d’assurer certains cours. 

 

 

En gros plan, visage d’EUROPE, soudainement émue par la nouvelle. Le regard devient brillant.

 

 

EUROPE (la voix déformée par l’émotion)  

 

C’est vraiment un honneur. A vrai dire, je n’osais l’espérer…

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Ce sera sans doute la partie plus agréable de votre travail. Le reste risque plutôt de ressembler à de la basse besogne administrative. 

 

 

EUROPE  

 

Oh, qu’importe. Car les avantages sont déjà largement suffisants.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Soit !

 

 (Il repose le stylo dans la pliure du dossier ouvert). 

 

Il faut néanmoins que je vous énumère ces différentes besognes. 

 

(Instant de pause). 

 

Déjà, tenir la permanence de ce bureau, lorsque je m’absente. La période des inscriptions sera, je vous préviens, très mouvementée. Il faudra répondre aux multiples questions ainsi que noter les messages téléphoniques. Au sujet de cette permanence, je dois vous préciser qu’il n’existe qu’une seule clef. Vous devez sans doute deviner pourquoi.

 

 

EUROPE 

 

Pour éviter les fraudes, je suppose.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

En effet. 

 

(Il désigne l’ordinateur). 

 

Les notes sont enregistrées dans cette machine. 

 

(Il se penche vers l’arrière et indique la porte latérale du fond).

 

Et dans cette pièce-là on a des dossiers d’étudiants, ainsi que les sujets des prochaines épreuves. 

 

(EUROPE répond par un sourire / Il se redresse sur sa chaise).

 

Le reste des tâches, maintenant. Corriger les copies et enregistrer les notes dans l’ordinateur. Faire quelques compte-rendu de recherche. Être ma messagère à certaine occasion, mais attention si vous devez venir me parler au milieu d’un de mes cours. La plupart sont retransmis en direct sur les ondes radio. Alors évitez les messages personnels du style : ma femme qui me demande de passer à l’épicerie du coin, ou ma dentiste qui me propose de décaler un rendez-vous. J’ai beau être un linguiste, ce genre de propos diffusé sur les ondes reste pour moi, difficilement rattrapable. 

 

 

EUROPE 

 

Oh, j’espère ne jamais vous mettre dans une situation pareille !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

L’essentiel est dit. En ce qui concerne la sécurité, celle-ci n’est assurée que par les appariteurs. Policiers et gendarmes ne sont autorisés à entrer que sur autorisation du Président d’Université. En cas de mouvements de grève ou d’échauffourées, des dispositions particulières sont adoptées, avec certains accès fermés par des grilles et des accès contrôlés. Des questions ? 

 

 

EUROPE 

 

Je ne vois pas, pour le moment. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Avez-vous trouvé de quoi vous héberger ?

 

 

EUROPE 

 

Le dernier appartement que j’ai visité me convient très bien. Il est à 10 minutes d’ici, par le RER. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Pour tout ce qui est formalités administratives, demandes de justificatifs, voyez ça directement avec le secrétariat du coin. 

 

 

EUROPE 

Entendu.

 

 

Bruit de quelqu’un qui frappe à la porte. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Entrez !

 

La porte s’ouvre. Apparaît dans l’entrebâillement MONSIEUR JOUBERT (de la séquence 17). MONSIEUR JOUBERT, porte une sacoche dans une main et de grosses enveloppes sous un bras.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Ah ! Monsieur Joubert

 

 (Il se lève). 

 

Entrez donc… 

 

Imitant le professeur, EUROPE se lève à son tour.

 

 

MONSIEUR JOUBERT 

 

Je vous rapporte vos affaires ainsi que les copies. 

 

 

Avec un certain empressement, PIERRE GERMONT débarrasse l’enseignant et revient vers lui.

 

PIERRE GERMONT (en se tournant vers EUROPE) 

 

Permettez que je vous présente Mademoiselle Spartanikès, ma nouvelle assistante. Elle nous arrive d’Athènes.

 

 

MONSIEUR JOUBERT  (En levant les bras) 

 

Ah… Athènes… (Il se tourne vers EUROPE). Cela est-il aussi votre ville natale ?

 

 

EUROPE  

 

Oui.

 

 

MONSIEUR JOUBERT  

 

Quelle chance extraordinaire d’avoir eu pour berceau, ce qui a été aussi le Berceau de notre civilisation. Alors, vous ne pouvez être que la bienvenue. 

 

 

EUROPE (intimidée) 

 

Je vous remercie. 

 

 

PIERRE GERMONT   

 

Monsieur Joubert est Maître de Conférence dans le département. Il enseigne le latin et la linguistique latine. 

 

 

MONSIEUR JOUBERT 

 

Et à l’occasion, il fait la secrétaire

 

 

PIERRE GERMONT (en jetant un œil sur sa montre) 

 

C’est vrai qu’au-delà de 17 h, il n’y a plus de secrétariat. Et ce ne sont pas nos horaires. 

 

 

EUROPE 

 

Et quels sont vos horaires ? 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Si vous parlez des cours, les derniers sont assurés jusqu’à 22 heures. En ce qui concerne la Recherche, ça ne ferme jamais. C’est 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

 

 

MONSIEUR JOUBERT (avec un air malicieux)  

 

Mais rassurez-vous, ils ont assez de temps pour bien dormir.

 

 

PIERRE GERMONT (en souriant) 

 

Et même pour un peu plus…

 

 

MONSIEUR JOUBERT 

 

En ce qui me concerne, pour ce soir, ce sera un programme chausson, canapé, Internet, ou télé, s’il y a un truc intéressant. Puis lecture avant le dodo. Mais d’abord le dîner. Et tiens ! Si nous avons ce temps-là, ce sera peut-être sur la terrasse.

 

 (Il regarde sa montre). 

 

Bon sang ! Il est déjà si tard. Il faut que j’y aille… 

 

Il se dirige vers la porte. 

 

PIERRE GERMONT  

 

Vous devez retrouver en urgence vos chaussons, si je comprends bien. 

 

 

MONSIEUR JOUBERT  (en ouvrant la porte)  

 

Oui. Et j’ai aussi une femme qui s’inquiète de mes minutes de retard. Elle contrôle mon temps de travail comme la cuisson du pot-au-feu. Quand je mets trop de temps à rentrer, ça siffle et de la fumée se met à sortir… Enfin, la différence avec l’ustensile est que je ne peux pas la traiter, elle, de cocotte. Bonne soirée ! 

 

 

La porte se referme. PIERRE GERMONT prend une des enveloppes laissées par le Maître de Conférence. Il se tourne vers EUROPE.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Je crois que je peux avoir pleinement confiance en vous. Est-ce que cela vous dirait de me faire une première correction de ces copies ? Avec, vous avez le barème. Bien sûr, après, je repasserai. Mais ce n’est pas obligatoire d’accepter. Vous pouvez me répondre par oui ou par non. 

 

(EUROPE s’apprête à lui répondre d’un signe de tête, mais il l’interrompt) 

 

Attention !

 

 

EUROPE (étonnée)  

 

A quoi donc ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je sais que, par rapport à nous, vos signes de tête sont inversés. Il ne faudrait pas vous retrouver à accepter des propositions qui ne vous conviennent pas. Cela pourrait vous mettre dans des situations très embarrassantes.

 

 

EUROPE 

 

Oh non, vous n’avez pas à vous inquiéter pour ça, avec moi. Quand une situation m’embarrasse, je le dis franchement. Et ce n’est pas du tout le cas de vos copies. J’accepte volontiers de me lancer dans ce genre d’expérience. Toutefois, m’autorisez-vous à corriger au crayon à papier ?  

 

 

PIERRE GERMONT  

 

C’est-ce qu’il y a de plus judicieux. Essayez ce week-end et nous nous retrouverons ici, lundi à onze heures trente. Le matin, je dois faire passer des oraux à côté. Après ça, si vous le voulez bien, je vous ferai visiter le Centre de Recherche. 

 

 

EUROPE 

 

Avec plaisir.

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant un stylo)  

 

Bien. Dans ce cas, rappelez moi votre prénom, que je puisse le noter sur l’enveloppe.

 

 

EUROPE  

 

Mon prénom ? Oh… il n’est pas difficile à retenir. C’est… EUROPE.

 

 

PIERRE GERMONT (en se redressant)  

 

Europe ? 

 

(Il reste un instant à l’observer, silencieux). 

 

En effet, j’aurais dû le retenir. 

 

(Il se penche pour écrire le nom sur l’enveloppe et se redresse à nouveau). 

 

Europe, comme la petite fiancée de Jupiter qui monte sur le taureau blanc ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, comme cette Europe-là et aussi comme votre taureau.

 

 

PIERRE GERMONT (qui ne comprend pas )  

 

Mon taureau ?

 

 

EUROPE  

 

Oui. Votre taureau est entièrement blanc, avec juste une petite étoile sur le front. C’est comme ça que l’on représente le taureau de Jupiter… Enfin, je veux dire le taureau sur lequel monte Europe.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Oui. J’ai déjà entendu parler de cette distinction, mais je suis désolé, je n’ai pas de taureau blanc avec une tache noire.

 

 

EUROPE (embarrassée, désigne la sculpture du taureau)  

 

Mais je vous parle du taureau que vous avez ici, sur votre bureau.

 

 

PIERRE GERMONT (en regardant)  

 

Ah… Celui-ci ? Mais ce n’est qu’une sculpture. 

 

 

EUROPE 

 

Parce que vous en avez aussi des vrais ? 

 

 

Le regard d’EUROPE rencontre celui du professeur qui semble soudain embarrassé pour répondre.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ils sont en Camargue.

 

 (EUROPE, de surprise, plaque sa main contre sa bouche / Il s’interrompt avant de reprendre). 

 

Il m’arrive de les taquiner. Rien de bien méchant. Je ne leur enfile pas une épée entre les deux omoplates ; je me contente simplement de leur retirer des cocardes entre les cornes. Mais je vous prie, gardez ça pour vous. Je ne tiens pas à ce que ça s’ébruite dans les couloirs de l’université… 

 

 

PIERRE GERMONT remet l’enveloppe à EUROPE. L’enveloppe arrive en premier plan, jusqu’à obstruer l’image, se confondant ainsi avec un fondu enchaîné. 

 

 

Scène 20 – ÉTABLE – INT./ NOIR 

 

Dans le noir, la flammèche d’une bougie s’allume et vient vaguement éclairer une étable. Dans l’étable, un troupeau de taureaux blancs. EUROPE avance au milieu des taureaux en tenant la bougie. Elle cherche partout autour d’elle. Séquence rêvée. 

 

EUROPE (appelle / Effet écho)  

 

Monsieur Germont ! Monsieur Germont ! Monsieur Germont !

 

 

 

Scène 21 – ÉTABLE – INT/JOUR

 

L’étable. EUROPE, qui tient toujours la bougie,  aperçoit l’ouverture. Elle s’avance vers l’ouverture. Elle est éblouie par le jour. En second plan, dans l’ouverture, arrive PIERRE GERMONT, qui tient un taureau blanc au bout d’une longe. L’animal est aperçu de profil.

 

 

 

Scène 22 – ÉTABLE – EXT/JOUR

 

Devant l’étable. Même angle avec épaule d’Europe en amorce. PIERRE GERMONT tient un taureau blanc.

 

PIERRE GERMONT   

 

Désolé, je n’ai pas de taureau blanc avec une étoile noire. Mais sur celui-ci, j’ai marqué votre nom. 

 

 

PIERRE GERMONT fait tourner le taureau. Apparaît l’autre flanc de l’animal sur lequel est écrit en gros, en caractères noirs : EUROPE. En contre-champ, le visage surpris d’Europe, qui demeure figée devant l’entrée de l’étable. Zoom avant sur la bougie allumée. L’image se brouille.

 

 

 

Scène 23 –  SALON/SALLE À MANGER d'EUROPE – INT/JOUR

 

Salon/ salle à manger d’EUROPE. Image brouillée en raccord avec la séquence précédente. La flamme de la bougie devient la lumière d’un lustre, allumé alors qu’il fait jour. Par un mouvement en plongée, en plan rapproché, le visage d’EUROPE, posé de côté sur l’enveloppe (de la séquence 19), avec en partie le prénom EUROPE qui apparaît. L’enveloppe est vide. A côté, un crayon à papier et une gomme. Mouvements de paupières. EUROPE se réveille et redresse la tête. Par un zoom arrière, on découvre qu’elle est assise à une table de salon. Autour de l’enveloppe et sur toute la surface de la table, les copies méthodiquement disposées les unes à côté des autres. EUROPE quitte sa chaise. Nouveau zoom arrière qui fait découvrir le salon/salle à manger en entier. Une pièce coquette, aménagée dans un style classique, avec une grande baie coulissante donnant sur un balcon. Les chaises d’à côté, fauteuil, canapé et table basse sont eux aussi entièrement recouverts par les copies. EUROPE se dirige vers un angle du salon et éteint la lumière du plafonnier.

 

 

 

Scène 24 – CUISINE d'EUROPE – INT/JOUR

 

Cuisine d’EUROPE. Sur un plan de travail une cafetière à côté de laquelle se trouvent des tasses et des couverts sur un vaisselier. Au fond une fenêtre avec un rideau. EUROPE prend une tasse et la place dans l’appareil. Elle allume le bouton de la machine à café. Elle se frotte les yeux, s’étire, réajuste ses vêtements, tandis qu’on entend le bruit de la machine qui prépare son café. Elle se dirige vers la fenêtre, jette un coup d’œil à l’extérieur en poussant le rideau. Elle revient vers la cafetière et prend sa tasse. Elle saisit une cuillère, remue son café et la repose. Elle se dirige vers le salon/salle à manger.

 

 

 

Scène 25 – SALON/SALLE À MANGER d'EUROPE – INT/JOUR

 

Salon/salle à manger d’EUROPE. EUROPE, sa tasse de café à la main, déambule dans le salon/salle à manger entre les copies étalées. Elle les regarde en se penchant par moments. Elle s’arrête perplexe devant l’une d’elle, posée sur le fauteuil. Elle va vers la table, pose sa tasse, attrape le crayon à papier et la gomme. Elle revient vers la copie devant laquelle elle s’était arrêtée. Elle gomme le chiffre 1 dans la marge et efface la note de 11, marque 10 à la place. Elle prend la copie, se déplace vers l’autre bout du salon/ salle à manger en passant près de la table. Elle heurte le coin de table. Sa tasse de café manque de vaciller. Elle la rattrape in extremis, lâchant la copie au même moment. Elle s’éloigne pour placer sa tasse de café en lieu sûr, sur une étagère. Elle revient pour reprendre la copie avec la gomme et le crayon à papier. Elle cherche autour d’elle, sans réussir à trouver la copie. Elle finit par l’apercevoir par terre, à ses pieds. Elle la ramasse et repasse devant le coin de table, cette fois avec prudence. Dans un plan d’ensemble, EUROPE s’approche du canapé, lui aussi envahi de copies. Elle se penche en approchant la copie qu’elle tient en main, afin de la comparer avec les autres. Elle pose la copie et prend sa gomme pour gommer sur une autre feuille et réutilise son crayon à papier. Elle se redresse, jette un œil vers la grande baie et décide de s’y approcher. En plan moyen, elle commence à faire coulisser la porte-fenêtre du balcon, mais interrompt son geste. Son regard s’oriente sur le côté, en direction du sol. Près du balcon, en plan rapproché, plusieurs cartons de déménagement empilés, dont celui du dessus, en partie ouvert. EUROPE plonge une main dans le carton à demi-ouvert, en retire un vase, le regarde un bref instant, puis le repose dans le carton. Elle ouvre la porte-fenêtre coulissante, avance jusqu’à la rambarde du balcon et s’y accoude. Le vent de face vient soulever sa chevelure. Plan de l’intérieur, qui montre la jeune femme en contre-jour. Par un pivotement vers l’intérieur du salon/salle à manger, en plan rapproché, des copies, secouées par le courant d’air. Plusieurs copies, poussées par le vent, tombent à terre.  

 

 

 

Scène 26 – SALLE DE COURS –  INT/JOUR

 

Une salle de cours. A une table du devant, une ÉTUDIANTE SEXY aux cheveux relevés par une queue de cheval. Un visage très maquillé, une tenue un peu provocante, comprenant une mini jupe et une veste. L’étudiante pose sa tête sur une main, adoptant une attitude décontractée et presque insolente. Sur la table, une feuille imprimée, une feuille de brouillon et un stylo. Assis sur une chaise, placée en oblique à une proche distance de la table de l’étudiante, PIERRE GERMONT tient dans une main, à hauteur de ses yeux, un cahier ouvert à la couverture entièrement repliée. Son autre main, qui tient un bic ouvert, prend appui contre le rebord de la chaise. 

 

PIERRE GERMONT 

 

Mademoiselle, s’il vous plaît, pouvez-vous me faire une analyse phonétique de ce texte ?

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY 

 

Il y a beaucoup de a… des o… des constrictives…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Relevez-moi les constrictives.

 

L’étudiante se redresse pour mieux se rapprocher de l’imprimé.

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY (hésitante)  

 

Les sons [k] et [g] dans les deux premiers mots. Et même deux fois le son [k]. 

 

(Elle s’interrompt, promène son doigt sur le texte de l’intitulé, reprend en hésitant). 

 

Le j de déjà ? 

 

(Son regard se lève en direction du professeur, lequel garde un air placide). 

 

Excusez-moi…

 

 

PIERRE GERMONT (en orientant son regard vers l’étudiante)  

 

Ça ne va pas ? 

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY 

 

C’est que…  j’ai un peu chaud…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous voulez que j’ouvre un peu la fenêtre ? 

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY 

 

Non, c’est pas la peine. C’est ma veste qui me gêne.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Quelque chose vous oblige à la garder ? 

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY (désinvolte) 

 

Ben oui, vous pouvez deviner. Avec ce que j’ai comme habits dessous, j’ai pas envie de choquer.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Faites ce qui vous met le plus à l’aise. 

 

(L’ÉTUDIANTE SEXY, après un instant d’hésitation, ôte sa veste, dévoilant un justaucorps noir moulant en dentelles. / PIERRE GERMONT le ton adouci)  

 

Ça va mieux ? 

 

(L’ETUDIANTE SEXY répond par l’affirmative d’un hochement de tête appuyé d’un sourire / PIERRE GERMONT répond par un sourire). 

 

On peut continuer ? 

 

(Nouveau hochement de tête). 

 

Dites-moi ce qu’est une diérèse.

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY 

 

Le contraire d’une synérèse. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Et qu’est-ce qu’une synérèse ? 

 

(Les lèvres de l’étudiante se resserrent). 

 

Un enjambement ? 

 

(L’étudiante secoue négativement la tête). 

 

Un trope ? 

 

Les yeux du professeur rencontrent ceux de l’étudiante. Il lui sourit.

 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY (en posant une main sur sa queue de cheval) 

 

  Je ne sais pas. 

 

 

PIERRE GERMONT (en regardant à nouveau son cahier) 

 

Très généreusement, je vous mets un 4. 

 

(Il s’interrompt et avance sa chaise pour se rapprocher de la table de l’étudiante. Il pose un avant bras sur la table, fixe l’étudiante et se met à parler à voix basse). 

 

Je connais un hôtel près d’ici. Ils ont un très bon restaurant. Si vous appréciez les dîners aux chandelles, je peux vous inviter ce soir même et… 

 

(Il regarde à nouveau son cahier) 

 

en ce qui concerne la note… 

 

(Instant d’hésitation) 

 

Disons un 14. 

 

 

L’ETUDIANTE SEXY (dont le regard s’illumine soudainement) 

 

Mais c’est super ! 

 

 

PIERRE GERMONT  (en ôtant son bras de la table) 

 

Oui, c’est super n’est-ce pas ? 

 

(L’instant d’après, son visage se ferme. Il prend son stylo). 

 

Dans ce cas vous avez zéro. Et vous allez passer en conseil de discipline…

 

 

 

Scène 27 –  COULOIR UNIVERSITÉ – INT/JOUR 

 

Couloir d’université qui tourne à un angle. Assis sur des chaises alignées le long du mur, en face des portes des salles, plusieurs étudiants révisent leurs cours, en s’entraidant. EUROPE arrive d’un pas rapide dans l’angle du couloir. Au même instant, une porte de salle s’ouvre brusquement. Dans le cadre de la porte, PIERRE GERMONT, dont les traits du visage sont durcis par la contrariété, tient fermement par le bras L’ÉTUDIANTE SEXY. 

 

L’ÉTUDIANTE SEXY 

 

Non mais ça va pas de me tenir comme ça !

 

Les étudiants du couloir, surpris, posent leurs mains sur leurs bouches. Certains s’esclaffent. L’un d’eux se met à pousser un sifflement admiratif. EUROPE, surprise elle aussi, agrandit son regard et s’efforce de retenir un éclat de rire. Le professeur finit par la remarquer.

 

PIERRE GERMONT (à EUROPE) 

 

Pouvez-vous, s’il vous plaît, rester près de mes affaires ? 

 

 

EUROPE (en s’approchant du professeur) 

 

Je peux aussi, si vous le souhaitez, proposer un sujet au prochain candidat.

 

 

PIERRE GERMONT (alors qu’il s’apprête à croiser EUROPE) 

 

Je veux bien. Les sujets sont dans l’enveloppe. 

 

 

EUROPE (en baissant la voix) 

 

  Elle a vraiment cherché à vous séduire ?

 

 

PIERRE GERMONT (en haussant la voix)  

 

Elle a cherché à me corrompre.

 

 

L’ETUDIANTE SEXY (en essayant de se dégager)  

 

N’importe quoi ! Vous avez essayé de me tendre un piège. Vous m'avez demandé de retirer ma veste… 

 

Quelques nouveaux rires venant des étudiants du couloir. Le professeur hausse les épaules, lève les yeux au ciel et s’éloigne en entraînant avec lui l’étudiante. L’assistante se tourne vers les étudiants assis dans le couloir.

 

 

EUROPE 

 

C’est à qui ? 

 

 

 

Scène 28 – SALLE DE COURS – INT/JOUR

 

Salle de cours (de la séquence 26). EUROPE est assise derrière le bureau. Assis sur une des tables du devant, un des étudiants du couloir. L’étudiant parcourt avec attention un imprimé et prend des notes sur un brouillon. EUROPE jette un œil sur sa montre. Bruit de quelqu’un qui frappe et la porte s’ouvre. Apparaît PIERRE GERMONT, qui reste sur le pas-de-porte. EUROPE se lève et le rejoint. Il s’approche d’elle pour lui parler à voix basse.

 

 

PIERRE GERMONT (en chuchotant)  

 

Comme vous voyez, je suis un peu en retard. Attendez-moi à la cafétéria. Vous serez mieux là-bas. 

 

 

 

Scène 29 – CAFÉTÉRIA – INT/JOUR

 

Cafétéria de l’université. Une salle avec une vingtaine de tables entourées de chaises fixes.  Des portes vitrées d’un côté et un couloir de l’autre côté. La plupart des tables sont occupées par des groupes d’étudiants. Quelques autres étudiants restent debout, les uns seuls, les autres discutant à plusieurs. Au comptoir de la cafétéria, EUROPE commande un café. Elle prend son café et s’installe à une table vacante. Une fois assise, elle commence par regarder fixement devant elle, mais finit par remarquer, près d’elle, deux étudiantes, restées debout. L’une  tient une pochette de cours contre son ventre. L’autre accompagne ses propos d’un gobelet en plastique, qu’elle promène avec quelques mouvements du bras. 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Alors tu vois, il a foncé dessus. Il a arraché les planches avec les cornes. Grosse panique, tu imagines… 

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

Et il y a eu des victimes ?

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET  

 

Un mort et un blessé grave.

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

C’est ding ! Mais pourquoi ce taureau a réagi différemment des autres ?

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET

 

Parce que c’est un taureau portugais. Il fonce directement sur ses cibles. Normalement c’est une espèce que tu n’as pas le droit de mettre dans des corridas. Tu dois prendre seulement des taureaux espagnols.

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE

 

Et les gens du public n’étaient pas au courant.

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET

 

Bien sûr que si ! Les taureaux espagnols sont noirs avec des cormes en avant. Et lui, il a des cornes en lyre et il est tout blanc. Enfin, quand je dis tout blanc, il avait juste une petite tache noire sur le front.

 

 

En réaction aux derniers propos, EUROPE se fige sur sa chaise. Son regard s’agrandit et se fixe en même temps.  Elle pose sa main sur sa poitrine, semblant avoir soudainement du mal à respirer. 

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE  

 

Alors, s’ils savaient, pourquoi ils ont laissé faire ? 

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Ça, à mon avis, ça doit être des histoires de familles…

 

 

EUROPE (en se levant subitement pour s’adresser aux deux étudiantes) 

 

S’il vous plaît ! 

 

(Les deux étudiantes se retournent). 

 

Excusez-moi, je vous ai entendu parler… Et en fait, cela m’intéresserait bien de savoir ce qui s’est passé.

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET avale sa dernière gorgée. Elle s’éloigne pour jeter son gobelet dans une poubelle proche et revient.

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Je parlais à mon amie d’un accident qu’il y a eu au Portugal.

 

 

EUROPE 

 

Vous avez l’air bien renseignée. Comment avez-vous pu connaître la description physique de ce taureau ? 

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET  

 

Parce que j’ai de la famille là-bas. Et là-bas on en a beaucoup parlé. Il y a eu des photos dans le journal. 

 

 

EUROPE (avec un signe de tête)  

 

Je vous remercie. 

 

 

D’un pas rapide, EUROPE se dirige vers les portes vitrées et quitte la cafétéria.

 

 

 

Scène 30 – CAMPUS –  EXT/JOUR 

 

Campus universitaire. EUROPE marche d’un pas rapide sur une allée. Elle s’arrête à une intersection, un instant hésitante, puis reprend sa marche rapide. Elle s’approche de la gare RER. 

 

 

 

Scène 31 – GARE RER – EXT/JOUR

 

EUROPE longe la gare RER et entre à l’intérieur.

 

 

 

Scène 32 –  GARE RER – INT/JOUR

 

Boutique de journaux dans la gare. Avec empressement, EUROPE rentre dans la boutique et inspecte à la hâte tous les journaux. Son attitude finit par intriguer le MARCHAND DE JOURNAUX.

 

Le MARCHAND DE JOURNAUX 

 

Vous cherchez quelque chose, Madame ?

 

 

EUROPE  

 

La presse étrangère, s’il vous plaît.

 

 

Le MARCHAND DE JOURNAUX (en indiquant des présentoirs) 

 

  Tout est ici… 

 

La jeune femme regarde dans la direction indiquée, retire tour à tour différents journaux des présentoirs, mais pour les replacer aussitôt après. Elle décide, finalement, de quitter la boutique.

 

EUROPE 

 

Je vous remercie. Au revoir. 

 

 

Le MARCHAND DE JOURNAUX 

 

Au revoir Madame.

 

 

Alors qu’EUROPE s’éloigne, l’homme marque d’une moue, son étonnement.  

 

 

 

Scène 33 –  CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus universitaire. Europe marche en direction d’un nouveau bâtiment universitaire. Elle pousse une des portes battantes et s’introduit dans le bâtiment.

 

 

 

Scène 34  HALL BÂTIMENT PRINCIPAL – INT/JOUR

 

EUROPE marche dans un hall. Elle arrive à hauteur d’une salle dont la porte est restée ouverte. Au-dessus de la porte, une inscription : SALLE D’INFORMATIQUE. Dans le cadre de la porte on remarque une rangée d’étudiants qui tapotent sur des claviers d’ordinateur. EUROPE se penche dans l’embrasure de la porte et s’adresse à L’ETUDIANT LE PLUS PROCHE.

 

EUROPE 

 

Excusez-moi, je cherche un ordinateur. C’est pour obtenir une information. Je suis enseignante ici.

 

L’ETUDIANT LE PLUS PROCHE 

 

Vous en avez pour longtemps ?

 

 

EUROPE

 

Oh non, pas du tout… 

 

 

 

Scène 35 – SALLE INFORMATIQUE – INT./JOUR

 

Une salle informatique sans fenêtre. L’ÉTUDIANT LE PLUS PROCHE recule sa chaise, se lève, laisse la jeune femme s’installer. EUROPE, en vitesse, effectue sa recherche, cependant elle semble perdre vite patience, s’énerve contre des touches et la souris qui ne semblent pas répondre à ses demandes. Jetant un œil en arrière, elle se rend compte que l’étudiant s’impatiente. Dans un soupir, elle finit par renoncer. Dans un plan d’ensemble on la voit laisser sa place à l’étudiant. Elle le remercie avec un signe de tête et quitte la salle.  

 

 

 

Scène 36 –  HALL BÂTIMENT PRINCIPAL DEVANT CAFETERIA – INT/JOUR

 

Couloir de la cafétéria. D’un pas rapide, EUROPE se dirige vers la cafétéria. Elle se rend compte, soudainement, que le professeur est en face d’elle. Elle ralentit son pas et, confuse,  pose ses doigts sur sa bouche. 

 

EUROPE (une fois devant PIERRE GERMONT) 

 

Oh… Je suis vraiment désolée de vous avoir fait attendre.

 

 

PIERRE GERMONT (avec un sourire dans le coin des lèvres) 

 

Chacun son tour…

 

 

EUROPE, tournant son regard vers les tables de la cafétéria, fait comprendre qu’elle est préoccupée. 

 

EUROPE (en se tournant à nouveau vers PIERRE GERMONT) 

 

Il faut à tout prix que je vous raconte. Tout à l’heure, vers ces tables… 

 

(Elle indique l’endroit)

 

j’ai entendu deux étudiantes parler d’une corrida portugaise, qui avait mal tourné. Et, chose incroyable, l’une d’elle s’est mise à décrire le taureau et il est exactement comme celui dont on avait parlé la dernière fois. Le taureau qu’elles ont décrit, c’est celui d’Europe ! Vous vous rendez compte, juste avant le week-end, on parlait de ce taureau blanc avec une tache noire et là, comme par hasard, j’entends deux étudiantes qui me font exactement la même description. 

 

(Elle regarde vers la cafétéria). 

 

Malheureusement, les deux filles se sont envolées…   

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Elles racontaient un film ou parlaient d’un fait existant ?

 

 

EUROPE  

 

Un fait absolument authentique, je vous assure. Et le taureau, authentique, lui aussi.

 

 

PIERRE GERMONT (en regardant son interlocutrice) 

 

En effet, c’est une curieuse coïncidence. Mais c’est aussi assez étonnant car les taureaux des corridas sont presque toujours noirs.

 

 

EUROPE 

 

Mais il s’agit d’un taureau portugais.

 

 

PIERRE GERMONT (en posant un regard vague devant lui)  

 

Ah… Je commence à comprendre.

 

 

EUROPE  

 

Quoi donc ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

De quand date cette histoire ? 

 

 

EUROPE (sur le ton de la désolation) 

 

Oh non !

 

(Elle pose ses mains sur son visage, puis redresse la tête). 

 

J’ai pris ça pour un fait récent… Quelle idiote, je suis ! En fin de compte, je n’en sais rien.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Vous voulez dire que ces deux étudiantes pouvaient parler d’un souvenir d’enfance ou même de l’histoire d’un de leurs grands-pères ?...

 

 

EUROPE  

 

Je ne sais vraiment plus quoi vous répondre.

 

Le professeur sourit.

 

PIERRE GERMONT 

 

Bon, suivez-moi. Nos machines devraient être assez performantes pour retrouver la trace de cet animal. 

 

 

PIERRE GERMONT avance d’un pas rapide dans le couloir, suivi de son assistante, qui semble avoir du mal à marcher aussi vite que lui.

 

 

EUROPE (en essayant de le rejoindre) 

 

Pour tout vous dire, je me suis sans doute fait une fausse joie à l’idée que ce taureau serait encore en vie. Mais à bien y réfléchir, cela est très peu probable. Ce taureau a fait des victimes. Alors, il a probablement été abattu. 

 

 

PIERRE GERMONT (en continuant de marcher) 

 

Et bien, justement pas. Le taureau lusitanien, s’il s’agit bien de cette espèce, est protégé car menacé d’extinction au même titre que le tigre de Sibérie ou le poisson-chat géant du Mékong.

 

EUROPE  

 

Vraiment ?

 

PIERRE GERMONT 

 

Le problème de ce taureau est qu’il est précisément inapte aux corridas et aux courses taurines. (Ils arrivent, au bout du couloir, à un ascenseur. Le professeur s’arrête et se tourne vers son assistante.) Et les élevages traditionnels n’en veulent pas non plus, à cause de sa trop grande agressivité. 

 

 

EUROPE 

 

Mais alors, pourquoi s’est-il retrouvé dans une corrida ?

 

PIERRE GERMONT 

 

La misère, je suppose…

 

 

EUROPE (en prenant appui contre la porte de l’ascenseur) 

 

Mais si c’est une espèce protégée, on devrait pouvoir aider ceux qui en ont. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Le bouton est dans votre dos. 

 

 

(Surprise, EUROPE glisse sa main dans son dos) 

 

 

Mais non ! Le bouton de l’ascenseur !

 

 

Il se met à rire.

 

 

EUROPE (en se décalant sur le côté) 

 

L’histoire de ce taureau me distrait vraiment.

 

Elle se met à rire à son tour. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Franchement, expliquez-moi comment je pourrais connaître l’emplacement sur votre corps de vos boutons et grains de beauté. 

 

 

EUROPE 

 

Oh non, je ne vais pas me mettre, à mon tour, à dévoiler mon corps. Je crois que pour aujourd’hui, vous avez déjà eu votre dose. 

 

Elle rit de nouveau.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ah… vous faites allusion à l’étudiante de tout à l’heure ? Je l’avais déjà oubliée, celle-là ? 

 

 

EUROPE 

 

Que va-t-il lui arriver ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

 Une expulsion, probablement. 

 

Le professeur appuie sur le bouton. 

 

 

 

Scène 37 – COULOIR CENTRE de RECHERCHE – INT / NOIR

 

Un couloir sans fenêtre, éclairé par des néons, qui débouche sur une porte en fer coulissante. Un boîtier près de la porte en fer. PIERRE GERMONT, de dos, glisse une carte magnétique dans le boîtier. La porte en fer coulisse. Il avance. Un instant, il se retourne et fait signe à son assistante de le suivre, mais on ne voit que lui. De l’autre côté de la porte coulissante, le couloir se prolonge de quelques mètres, débouchant sur une nouvelle porte, celle-ci en bois, à double battants. Près de la porte, un digicode. PIERRE GERMONT tape le code. Bruit d’un déclic. La porte s’ouvre sur une grande salle blanche aseptisée, réservée à la recherche. 

 

 

PIERRE GERMONT (en se retournant)

 

Notre QG… 

 

Il avance. EUROPE entre dans le champ en avançant à son tour. 

 

 

 

Scène 38 –  CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Centre de Recherche. Une vaste salle éclairée par des plafonniers, bien qu’entourée de grandes baies vitrées, peinte en blanc, aménagée en gris, laissant seule la partie de l’entrée dégagée. Près de l’entrée, placée au milieu d’un espace vide, des tables en matière transparente avec des plateaux intégrant des systèmes électroniques, révélés par la transparence. Ces tables, adjointes les unes autres, forment un grand rectangle. Autour des tables, des chaises, ordinaires quant à elles. Au-delà de cet espace, se dressent des bureaux, armoires, bibliothèques et machines. De multiples moniteurs, aux écrans allumés, placés de dos par rapport à l’espace de l’entrée. Entre les différents éléments, des passages étroits dans lesquels on devine qu’il est difficile de circuler. Seule une allée centrale, un peu plus large, offre un accès direct vers le fond. Dans le labyrinthe des différents meubles et machines, apparaissent plusieurs têtes, presque toutes vues de face, mais semblant ne pas remarquer la présence des nouveaux venus. Un ronronnement continu de machines envahit la salle. PIERRE GERMONT contourne les tables transparentes de l’entrée et s’engage dans l’allée principale. Il se retourne et fait signe à EUROPE de le suivre. EUROPE tient une sacoche, qu’elle pose à l’entrée. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Suivez-moi, je vais vous présenter à l’équipe

 

(EUROPE le suit. Il s’engage dans un passage étroit afin d’approcher NAKISSA, une Iranienne d’une cinquantaine d’années, au visage un peu fané mais plein d’assurance et de jovialité. NAKISSA, qui se tient derrière un moniteur, se tourne vers les nouveaux venus.) 

 

Nakissa, une collègue. Elle nous vient d’Iran.

 

 (NAKISSA tend une main ferme à EUROPE) 

 

Et voici EUROPE, notre nouvelle venue, qui est mon assistante. 

 

 

NAKISSA (en serrant la main d’EUROPE) 

 

Quel joli prénom…

 

 

PIERRE GERMONT (en continuant d’avancer dans l’étroit passage, suivi de son assistante)

 

Ici, nous nous appelons tous par nos prénoms. Ce qui va de soi, car nous formons une petite communauté. Et le vouvoiement est juste protocolaire. 

 

 

Quelques mètres plus loin, une rangée derrière NAKISSA, JEAN-FRANÇOIS est debout, occupé à raccorder des fils. JEAN-FRANÇOIS est une jeune homme d’une trentaine d’années. Il a un visage un peu allongé, un air un peu effacé. 

 

 

PIERRE GERMONT (en présentant le jeune homme) 

 

Jean-François, notre ingénieur informaticien. 

 

JEAN-FRANÇOIS (en échangeant une poignée de main un peu molle avec EUROPE)  

 

Enchanté. 

 

 

PIERRE GERMONT (en s’avançant encore, vers une rangée du fond)

 

Et un peu plus par ici, nous avons Maxence, le rigolo de la famille.

 

 

La quarantaine dépassée, MAXENCE a une allure de bon vivant plus que l’apparence de quelqu’un de cérébral. Un visage rond et des yeux rieurs.

 

 

MAXENCE  (à EUROPE / en quittant sa chaise) 

 

Ce n’est pas moi, le rigolo. Ce sont les autres, les trop sérieux. Et vous voyez, ils m’ont mis dans le coin, comme les punis. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Maxence est quelqu’un de très inventif.

 

 

La poignée de mains entre EUROPE et MAXENCE, à cause de la distance, se fait du bout des doigts. PIERRE GERMONT et EUROPE regagnent l’allée centrale pour partir dans l’autre sens. Près de l’allée principale, deux hommes discutent, assis devant des ordinateurs. Le plus âgé, à mi-chemin entre la quarantaine et la cinquantaine, a un collier de barbe taillé avec soin et un regard bienveillant. Il s’agit de MICHEL. Le plus jeune, BENOÎT est un nerveux. Un regard vif, une barbichette, les mains posés à plat sur ses cuisses comme s’il s’apprêtait à bondir. Il écoute MICHEL qui se tient dans un fauteuil avec une certaine décontraction. Le fauteuil est un peu écarté du bureau. MICHEL tripote machinalement les branches de ses lunettes qu’il tient entre ses mains. Quand EUROPE s’approche, il se redresse et tend une main vers elle.

 

 

MICHEL (en serrant la main d’EUROPE) 

 

Soyez la bienvenue. 

 

 

EUROPE 

 

Merci.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Michel, linguiste et ingénieur. Et son acolyte, c’est Benoît, informaticien. Il a 28 ans et il est ici seulement depuis six mois. 

 

 

En plan d’ensemble, EUROPE se tourne vers BENOÎT et lui serre la main. Elle suit PIERRE GERMONT, qui contourne vers l’avant les bureaux des deux hommes. Le professeur et son assistante repartent, l’un derrière l’autre, vers le fond de la salle, en zigzaguant dans le labyrinthe des passages étroits. Au fond, à l’écart, une silhouette au dos arrondi, vue de profil. L’homme tient un livre sur ses genoux et lit de manière ininterrompue, sans que rien ne vienne le perturber. Ses cheveux bruns raides, qui forment une calotte sur le haut de son crâne, donnent l’impression que la coiffure est d’un autre âge. Il s’agit d’ANTOINE. 

 

 

PIERRE GERMONT (murmure à EUROPE)

 

  Alors lui, c’est Antoine. Il a des capacités hors normes, comme celle de mémoriser des ouvrages en une seule lecture. C’est ce qu’il est d’ailleurs en train de faire. Ne soyez pas étonnée par son comportement ; il vous paraîtra distant, mais il est très sympathique. 

 

 

EUROPE (en murmurant)  

 

Il est autiste ?

 

 

PIERRE GERMONT (en murmurant) 

 

Il a ce qu’on appelle, le syndrome d’Asperger. 

 

 

EUROPE s’engage dans un passage pour s’approcher d’ANTOINE. ANTOINE finit par tourner la tête dans sa direction. EUROPE tend une main vers lui, mais il commence par réagir en lui adressant un sourire crispé. EUROPE a l’impression de déranger. ANTOINE finit par attraper la main d’EUROPE, mais la saisit seulement au niveau du poignet.

 

 

ANTOINE (d’une voix mécanique et le regard fuyant) 

 

Bonjour Madame. 

 

 

PIERRE GERMONT continue de serpenter dans un passage. Il est rejoint par son assistante.  

 

 

PIERRE GERMONT (en indiquant par un mouvement de bras) 

 

Ici, nous avons Ghassen, ingénieur et graphiste, qui a quitté son Maroc natal il y a trois ans de cela. 

 

 

GHASSEN est un homme typé, d’un âge moyen, à la présentation soignée. En apercevant EUROPE, il lui adresse un sourire timide, se lève légèrement et salue la nouvelle venue par d’insistants hochements de tête. Il se rassoit aussitôt après. A une table voisine, deux jeunes étudiantes qui semblent s’amuser. Leurs deux têtes qui, par instants, convergent vers un écran, présentent des attitudes un peu délurées, comme si les images qui attirent leurs deux regards étaient à la fois drôles et surprenantes. Celle qui est aux commandes de l’ordinateur, a de longs cheveux clairs. Elle se prénomme MÉLANIE. L’autre, typée asiatique, avec une mèche qui traverse son front large, s’appelle SHUN. 

 

 

PIERRE GERMONT (en désignant à EUROPE, la table où se trouvent les deux étudiantes)   

 

Nous avons également deux étudiantes. Shun, qui est Chinoise et Mélanie. Elles travaillent ensemble sur une thèse très prometteuse. Le but de cette thèse est d'établir une cartographie universelle des lettres et idéogrammes. 

 

 

EUROPE  

 

Et dans quel but ?

 

 

PIERRE GERMONT (énigmatique)  

 

Pour lire le passé et deviner l’avenir. 

 

 

EUROPE

 

Comment ça ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Les sciences du métalangage offrent des ressources exceptionnelles pour l’avenir. Déjà, vous savez que le « logos » existe indépendamment de l’acte de communication et qu’il s’assimile à un principe de la même façon que nous avons des principes physiques ou chimiques. Seulement ses propriétés restent plus difficiles à établir, car avec le langage il n’y a pas de support matériel, sauf que pas de support matériel ne veut pas dire pas de support du tout. Et en ce qui concerne le langage, ce qui sert de support est ce que nous appelons communément « la mémoire collective ».

 

 

EUROPE  

 

Les mots, il est vrai, sont les plus vestiges de la mémoire collective, reconnaît l’assistante.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, sauf que dans le cas de leur étude, ce n’est pas la partie préservée qui nous intéresse le plus, mais celle qui a été altérée.  Car la partie altérée est une empreinte du passé. Si, par exemple, il me faut partir de cette ancienne expression française : « compter fleurette », j’analyse l’évolution de cette expression et je constate qu’au XVIIIe siècle, le mot « fleurette » entre dans la langue française et donne le vocable « flirt », puis qu’au début du XIXe siècle, le mot « flirt » arrive à son tour dans la langue française, pour ensuite donner le verbe « flirter ». Alors, quelle déduction ?

 

 

EUROPE (en se désignant)

 

Moi ? 

 

(Elle lève un instant les yeux pour réfléchir, puis libère un sourire amusé) 

 

Oh… Ce n’est pas difficile. J’en déduis qu’à une certaine époque du passé, les Anglais et les Français ont beaucoup flirté ensemble. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Vous avez donc réussi à établir un fait du passé uniquement à partir d’un support linguistique. L’histoire traditionnelle nous dit pourtant que les Anglais et les Français se sont souvent détestés et qu’ils n’ont jamais cessé de se faire la guerre. Alors, quelle version est la bonne ?

 

 

EUROPE

 

Bien sûr, ça ne peut pas être une version contre l’autre. L’histoire traditionnelle parle en priorité de guerres et ne raconte jamais ce qui se passe entre chacun de ces moments. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Tout à fait. Une version raconte l’histoire, l’autre est une lecture du passé.

 

 

EUROPE 

 

D’accord, mais là on a des mots, pas des lettres. Les mots ont un sens. Les lettres n’en ont pas, il me semble. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Les mots sont constitués de lettres ou d’idéogrammes, ou de phonèmes. Ce sont les plus petites unités lexicales. Celles-ci ont forcément un sens puisqu’elles servent à construire le sens du mot. Par exemple, dans la langue française, les verbes conjugués au futur ont tous un « r » qui se prononce. On pourrait dire que cela n’a pas de sens d’associer le son [r] au futur, mais ce n’est pas parce qu’on a oublié l’origine de ce sens, que celui-ci n’existe pas. Et la possibilité de revenir à ce sens nous ramène aussi à un événement du passé, comme nous l’avons vu avec le flirt des Anglais et des Français, mais plus précisément que ne le feraient des mots.  

 

 

EUROPE  

 

C’est formidable… Je n’en reviens pas. C’est comme une génétique du langage. 

 

(Elle regarde fixement le professeur, comme si elle cherchait à avoir une confirmation).

 

Ça veut dire que rien ne s’efface, que tous nos actes restent gravés quelque  part…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est la théorie du battement d’ailes de papillon. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’un déplacement de molécules d’air, mais de lettres. Chaque acte modifie de manière imperceptible le cours du langage. Mais il y a pour nous ce défi de ne pas nous égarer dans ces gigantesques bibliothèques de la mémoire… Et c’est à ce défi que participent nos deux étudiantes.

 

Les deux étudiantes se sont levées.

 

MÉLANIE (à PIERRE GERMONT)  

 

On aimerait bien aller déjeuner.  Ça pose problème ? 

 

 

GHASSEN (qui répond à la place)  

 

Vous n’avez pas besoin de demander à Monsieur Germont. Allez-y, il n’y a pas de problème. 

 

SHUN

 

Merci. 

 

 

EUROPE  

 

Attendez…  

 

(Elle va à la rencontre des deux étudiantes et leur tend la main).

 

Je tiens quand même à vous saluer, puisque nous aurons l’occasion de nous revoir. Et aussi à vous féliciter pour votre travail. 

 

 

MÉLANIE (en prenant la main avec embarras)

 

Oh, ce qu’on a fait, ce n’est rien pour l’instant. On est désolée, mais on doit y aller tout de suite.

 

 

SHUN

 

Oui, on doit vraiment y aller…

 

 

EUROPE (en retirant sa main) 

 

Mais je ne tiens surtout pas à vous retenir.

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant le bras d’Europe, pour la conduire dans sa direction) 

 

Bon, maintenant, voyons pour votre taureau. 

 

 

EUROPE 

 

Oh, pourquoi dites vous que c’est mon taureau ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est bien vous qui le cherchez, non ? 

 

(Il rejoint la partie centrale et élève la voix)

 

J’aimerais bien avoir à ma disposition les machines 4, 5, 7 et… la 12. 

 

 

NAKISSA 

 

La 5, ce n’est pas possible. C’est Jacques qui l’utilise.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Jacques ? Parce qu’il est là ?

 

 

NAKISSA

 

Oui, il est à quatre pattes derrière moi. 

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant du bureau de Jacques) 

 

Mais que faites-vous à quatre pattes depuis tout ce temps ? 

 

 

VOIX de JACQUES étouffée

 

Je m’amuse avec des fils.

 

 

  MAXENCE (plaisant)  

 

  Il s’amuse avec des filles.

 

On entend des rires. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Voulez-vous que je vienne m’amuser avec vous ?

 

 

VOIX de JACQUES ÉTOUFFÉE

 

C’est inutile, j’ai presque fini. 

 

De derrière un bureau surgit la tête de JACQUES : Un crâne dégarni, des lunettes qui accentuent le sérieux du visage, une nature quelque peu colérique. En apparaissant, Jacques affiche d’emblée sa mine des mauvais jours. 

 

 

JACQUES

 

Travailler dans des conditions pareilles, ça ne devrait plus être possible ! Avec les gaines qu’on a, plus moyen de faire passer un seul fil !

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Ça fait au moins dix fois que j’ai demandé le changement de ces gaines. 

 

 

JACQUES (en se relevant) : On se fout de nous ! Il y a des pays où on aurait fait venir quelqu’un dans l’heure !

 

 (En apercevant EUROPE, son regard soudainement s’adoucit) 

 

Oh, mais elle est ravissante, votre assistante ! Vous avez bien de la chance, Pierre… 

 

 

Sourire de connivence du professeur. Puis PIERRE GERMONT invite EUROPE à avancer vers JACQUES. Nouvelles poignées de mains. PIERRE GERMONT s’éloigne, va vers ANTOINE.

 

 

PIERRE GERMONT (avec un signe de la main pour attirer l’attention) 

 

  Antoine, s’il vous plaît. (ANTOINE le regarde). Connaissez-vous les noms des journaux portugais ? 

 

 

ANTOINE (d’une voix monocorde)  

 

Oui… Publico, Diario de Noticias, Correio de Manhana…

 

 

PIERRE GERMONT (l’interrompt d’un geste)  

 

Je préfère que vous me les notiez et après vous me les envoyez. 

 

 

ANTOINE repose son livre et décale sa chaise afin de faire face au clavier d’un ordinateur. 

 

 

PIERRE GERMONT (qui, entre temps, s’est placé devant un autre ordinateur / D’une voix forte) 

 

Bon, je prends les 4, 7 et 12 ! (EUROPE le rejoint et s’incline devant l’écran). J’envoie !

 

 

L’instant d’après, une sonnerie se met à retentir.

 

 

MICHEL 

 

C’est sur la 12 !

 

 

EUROPE se redresse, subjuguée par l’annonce. PIERRE GERMONT lui prend le bras.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ne faites pas cette tête-là. Allons d’abord voir de quoi il s’agit. 

 

 

Le professeur et son assistante se dirigent en toute hâte vers la machine 12. A peine arrivée, EUROPE remarque sur l’écran un article de presse présentant une photo où l’on aperçoit un taureau blanc avec une tache noire sur le front. Sous le coup de l’émotion, elle pose ses mains sur son visage. L’imprimante, qui est en route, se met à libérer le document. PIERRE GERMONT le saisit et le confie à son assistante.

 

 

EUROPE  (en regardant le document)  

 

Il est encore en vie ? 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Probablement. L’événement est récent. 

 

Le professeur se replace devant l’écran et pianote avec agilité sur le clavier. L’image du taureau disparaît et une liste codée vient défiler sur l’écran.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

J’effectue une nouvelle recherche. On va essayer de savoir où il se trouve à présent.

 

 

EUROPE (continue d’explorer le document / Elle fronce les sourcils) 

 

Vous serait-il possible de me faire une traduction ? Je ne comprends pas grand-chose au portugais. 

 

 

Le professeur envoie sa recherche, puis se lève et rejoint EUROPE pour lui traduire le document. 

 

 

PIERRE GERMONT (en posant un doigt sur le texte )  

 

Le taureau s’appelle « Dzéous ». Il a deux ans. Il est issu d’un élevage lusitanien proche du Mont Chalmas, dans la région du Nord-Est. Son propriétaire n’avait plus les moyens de l’entretenir, alors il a eu une idée… 

 

Scène 39 – ÉCHAFAUDAGE d'ARÈNE EN BOIS dans VILLAGE PORTUGAIS –  EXT/JOUR

 

Village portugais aux environs du Mont Chalmas. Sur la place, deux hommes assis à califourchon sur les planches d’un échafaudage, marteaux en main, montent une arène en bois. A cet instant, au loin, un homme avance sur un chemin en tenant un taureau blanc derrière lui. Un ouvrier le remarque et tape sur l’épaule de son ami.

 

OUVRIER 

 

Regarde Albino ! Là-bas ! C’est Joao avec son taureau. Il perd la tête ou quoi ? Où est-ce qu’il va, comme ça, avec son animal ? 

 

 

 

Scène 40 –  ÉGLISE – INT/JOUR

 

Une église de campagne remplie de fidèles, vue de face, avec une porte d’entrée au fond. Musique d’orgue. Instant de recueillement. Un bruit fracassant de sabots sur le parvis. Inquiets, les fidèles se retournent. Par la porte, surgit JOAO avec son taureau. La musique s’interrompt. Cris de frayeurs. En plan rapproché, visage du prêtre immobile, devenu blême. JOAO s’engage dans l’allée centrale avec son taureau et avance vers l’autel, le plan montrant toujours le côté de la porte. De peur, les fidèles quittent leurs bancs dans des cris et se réfugient contre les murs de l’église. JOAO s’arrête et lève le regard.

 

JOAO (d’une voix forte) 

 

Mon père ! Je n’ai plus rien, ni pour vivre, ni même pour manger. Je n’ai plus que ce taureau. J’ai besoin qu’on m’aide. J’ai besoin que Dieu m’entende. Je suis venu ici, pour faire bénir mon taureau. C’est pour qu’il puisse participer à la corrida. Je vous en supplie, mon père. Ayez pitié d’un pauvre homme comme moi. Bénissez ce taureau… 

 

 

 

Scène 41 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Centre de Recherche. On revient à la fin de la séquence 38. EUROPE continue de tenir le document à la main.

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT  

 

Alors le prêtre, qui n’avait pas trop le choix, a béni le taureau. Et le taureau a fait son apparition dans les arènes. Au bout de la dixième minute, il s’est mis à attaquer les structures. Il s’est acharné sur une porte, qui a fini par céder. Les deux victimes étaient des personnes de l’extérieur.

 

 

EUROPE (d’une voix monocorde)

 

C’est bien l’histoire que racontaient ces deux étudiantes.

 

 

PIERRE GERMONT (en redressant la tête) 

 

Ça vous convient ?

 

 

EUROPE (le regard toujours fixé sur l’image)

 

Oui… 

 

(Elle regarde le professeur). 

 

Que devient votre nouvelle recherche ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Rien pour l’instant.

 

 

EUROPE  

 

Ce n’est pas mauvais signe ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ne vous en faites pas. On va certainement le retrouver maintenant qu’on a sa trace. Mais ça peut mettre plusieurs jours… 

 

(Il prend le bras de son assistante). 

 

Venez par ici, je vais vous montrer de quoi sont capables nos machines. Elles ont peut-être l’air de vieilleries au premier abord, mais nous sommes pourtant dans les sciences du futur…

 

(EUROPE pose le document et se laisse guider par le professeur. PIERRE GERMONT la conduit devant une machine qui ressemble à un gros cube avec un écran sombre sur toute une surface.) 

 

Tenez, approchez… 

 

(Il indique une chaise placée devant l’écran sombre). 

 

Asseyez-vous ici et placez votre tête correctement, bien droite, face à l’écran.

 

 (EUROPE obtempère sans bien comprendre. Le professeur corrige la position de la tête de la jeune femme). 

 

Maintenant, vous allez penser à une couleur. 

 

 

EUROPE (en regardant le professeur)  

 

Une couleur ? Je choisis la couleur que je veux ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Oui, c’est ça. Remettez votre tête droite et concentrez vous bien sur la couleur choisie. Vous devez garder les yeux ouverts.

 

 

EUROPE fixe son regard vers l’écran en faisant des efforts de concentration. Soudain, l’écran se teinte entièrement de jaune. Dans un sursaut de frayeur, la jeune femme recule sa chaise. 

 

 

EUROPE  (en se levant) 

 

Comment ça se fait ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ce sont des capteurs qui ont enregistré les ondes électriques de votre système nerveux.   

 

 

EUROPE 

 

C’est magique…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Quelle invention n’est pas magique ? C’est l’habitude qui fait que la magie meurt. 

 

 

EUROPE 

 

Je peux réessayer ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Allez-y, je vous laisse… 

 

 

Tandis qu’EUROPE s’installe à nouveau devant l’écran, le professeur part en arrière, vers une autre machine, qui contient une multitude de petites enceintes. Face à l’écran, EUROPE réussit à faire apparaître une nouvelle couleur : le bleu. Mais dans son dos, elle entend une voix de femme.

 

 

VOIX de FEMME 

 

Alors Europe, comment allez-vous ?

 

EUROPE se retourne, persuadée qu’une nouvelle présence est dans les lieux. Elle ne remarque personne de nouveau. La VOIX de FEMME se répète.

 

 

VOIX de FEMME (en grec) 

 

Alors Europe, comment allez vous ? 

 

(traduire)

 

EUROPE finit par remarquer la présence du professeur derrière l’ordinateur aux multiples enceintes. Elle se lève et le rejoint.

 

 

EUROPE 

 

Ce ne sont pas de vraies voix ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Non. C’est une reproduction verbale des mots que je tape.

 

 

EUROPE 

 

Et c’est aussi la machine qui fait la traduction ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tout à fait, il suffit que je lui demande. 

 

 

EUROPE 

 

C’est sensationnel. L’imitation est parfaite. Il y a même l’intonation. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On peut aussi faire des voix d’enfants. Qu’est-ce qu’un enfant pourrait demander ?

 

 

EUROPE 

 

De sortir, par exemple.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est une idée. 

 

(Le professeur tape la phrase.) 

 

Garçon ou fille ? 

 

EUROPE 

 

Disons, garçon.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Son âge ?

 

 

EUROPE 

 

Allez… Dix ans.

 

 

Les doigts du professeur tapotent de nouvelles touches.

 

 

VOIX d’un GARÇON de DIX ANS  

 

Oh, s’il te plaît. Est-ce que je peux sortir ? Allez !

 

 

EUROPE  

 

L’effet est plus vrai que nature. Ces machines, existent-elles déjà sur le marché ? 

  

 

PIERRE GERMONT 

 

Non, elles n’existent que dans d’autres Centres de Recherche. Certaines seront    commercialisées, mais pas avant dix, vingt ou cinquante ans…

 

 

EUROPE (en désignant la machine) 

 

Et celle-ci ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Non, celle-ci pose des problèmes éthiques. Entre les mains d’un manipulateur, elle devient très dangereuse. Vous connaissez le conte du loup qui cherche à entrer dans la bergerie. Comment réussit-il ? En prenant du miel pour transformer sa voix.

 

 

EUROPE 

 

Mais il existe déjà de très bons imitateurs.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le contexte est différent avec cette machine. Quelqu’un qui prend une autre voix, prend aussi une autre identité et, si par exemple c’est par téléphone, vous ne pouvez pas deviner la supercherie.

 

 

EUROPE 

 

Parce que cette machine permet de reproduire des voix existantes ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Tout à fait. N’importe quelles voix à la perfection. Même celles qui vous sont familières. Vous voulez essayer ? 

 

 

EUROPE (enthousiaste)  

 

Vous me posez une telle question ? Mais je ne peux qu’accepter avec joie !

 

 

PIERRE GERMONT (en attrapant le dossier d’une chaise)  

 

Alors, prenez place. Je vais vous expliquer le fonctionnement.  

 

 

(Europe s’assoit sur la chaise que lui présente le professeur. Elle se retrouve face à un grand écran sur lequel une grille se déploie. Sur la grille, un graphique et de multiples indications / Pierre Germont pose son doigt sur l’écran). 

 

 

Vous avez là un tableau synoptique des différentes fréquences de la voix, avec toutes ses modulations : grave, aigu, haut, bas. Ici, les échelles de tessiture, d’intensité, de rythme… 

 

 

(Il montre une touche du clavier). 

 

Pour régler la résonance du timbre, c’est ce bouton-ci. 

 

(Il avance ses doigts vers des curseurs).

 

Pour votre composition, ces curseurs, que vous pouvez avancer vers des + ou reculer vers des – . Au fil de votre recherche, vous affinez vos positions, jusqu’à obtenir le degré qui correspond exactement à la voix que vous recherchez. 

 

 

EUROPE 

 

J’aimerais bien pouvoir faire la voix de ma mère. Et aussi celle de mon frère…

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Commencez par sélectionner une fréquence, pour chaque voix… C’est plus simple… Je vous montre… 

 

Le professeur pose son doigt sur l’écran tactile. Sons de voix de différentes intensités.

 

 

EUROPE (en montrant l’écran) 

 

Celle-là, je crois bien…  

 

 

Dans un plan d’ensemble, sans son, le professeur explique à Europe comment utiliser la machine. Ensemble, ils sélectionnent des options, tournent des boutons, poussent des curseurs. La discussion entre eux paraît animée, mais on n’entend aucune parole. Le son revient avec un gros plan fait sur le clavier. Le doigt du professeur, vient appuyer sur un bouton.  

 

 

PIERRE GERMONT (en appuyant sur le bouton) 

 

Allons-y.

 

 

VOIX d’une vieille femme, qui parle grec. En entendant la voix, EUROPE est soudainement bouleversée. Elle essuie des larmes contre ses yeux. A son tour, elle appuie sur le bouton, veut réentendre plusieurs fois la même voix.

 

 

EUROPE

 

C’est étrange, c’est comme si elle était là, avec moi…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et si maintenant, on vérifiait pour la voix de votre frère ? 

 

Le professeur appuie sur un autre bouton. Son d’une VOIX jeune masculine, qui parle grec. Europe, cette fois, réagit par un rire. Elle se sent en même temps émue et attendrie. Elle appuie une nouvelle fois sur le bouton, pour réentendre la voix.

 

 

PIERRE GERMONT (en détournant la tête) 

 

Je vais devoir changer de sujet. Avez-vous trouvé le temps de corriger les copies ? 

 

 

EUROPE (en se levant)  

 

Oui. Vous les voulez maintenant ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si c’est possible. 

 

 

EUROPE 

 

Je vais aller les chercher. 

 

Elle sort du champ et réapparaît avec l’enveloppe de copies à la main. 

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant l’enveloppe) 

 

Bravo ! 

 

(Il sort les feuilles et s’éloigne pour  confier le paquet à JEAN-FRANÇOIS / A JEAN-FRANÇOIS). 

 

Vous pouvez me les scanner ?

 

 

JEAN-FRANÇOIS (en prenant les copies) 

 

Je m’en occupe tout de suite.

 

 

JEAN-FRANÇOIS se retourne et dispose les feuilles dans le tiroir de chargement d’un  multicopieur élaboré. Il met en route l’appareil. Les feuilles qui défilent dans la machine, apparaissent les unes après les autres, en grand format, sur un écran. JEAN-FRANÇOIS s’installe devant l’écran pour le surveiller et lorsqu’une feuille s’arrête, il tape sur quelques touches d’un clavier. Intriguée EUROPE s’approche.  

 

 

EUROPE

 

De quoi s’agit-il ? 

 

 

JEAN-FRANÇOIS (après un bref coup d’œil par dessus son épaule)

 

Ce scanner transforme les textes manuscrits en textes imprimés.

 

 

EUROPE 

 

C’est un travail que ne pourraient pas faire dix secrétaires. Mais il réussit vraiment à lire toutes les lettres écrites à la main ? 

 

 

PIERRE GERMONT (qui arrive dans le dos d’EUROPE) 

 

Il a de bons yeux. Meilleurs que les miens. Mais quand il ne sait pas ou quand il se trompe, Jean- François est là justement, pour le corriger. 

 

 

EUROPE (en se retournant vers PIERRE GERMONT) 

 

Faudra-t-il admettre, un jour, que les machines nous ont dépassés ? Elles sont  capables de prouesses qui nous montrent à quel point nous sommes, nous-mêmes, limités…

 

 

PIERRE GERMONT  

 

A ce sujet, il faut que je vous montre Jo, notre contrôleur principal.

 

 

EUROPE  

 

Vous me parlez d’une personne ou encore d’un de ces appareils sophistiqués ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

(en s’éloignant/adressant un signe de la main à son assistante, pour qu’elle le suive) 

 

Jo a presque une âme. Je vous ai parlé tout à l’heure de mémoire collective. Et bien Jo passe son temps à lire tout un flux de production écrite qui constitue des tranches significatives de notre mémoire collective. Et grâce à cela, il peut même avoir certaines visions de l’avenir.

 

 

EUROPE (en suivant le professeur)  

 

Comment ça ? Pas tout l’avenir quand même…

 

 

PIERRE GERMONT (en continuant d’avancer) 

 

Ça peut être des événements socio-politiques ou économiques, des catastrophes naturelles…

 

 

EUROPE (en continuant de le suivre) 

 

Je ne comprends pas. Comment une étude du langage peut prédire des phénomènes où l’action de l’homme n’est pas directement impliquée ? 

 

 

PIERRE GERMONT (s’arrête et se retourne)  

 

Je sais que ça ne paraît pas très rationnel de mélanger des faits de société à des phénomènes naturels. Mais dans le contexte du métalangage, voyez-vous, ces distinctions ne se font pas, car tout est en interaction. Et en fin de compte, tout est langage. 

 

 

EUROPE (face à lui) 

 

D’accord, si c’est une lecture du passé. Mais l’avenir ce n’est pas pareil. L’avenir reste imprévisible.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

L’avenir n’est pas si imprévisible que ça puisqu’il correspond aux conséquences du passé. Et les procédés qui nous permettent de lire le passé et l’avenir, sont les mêmes

 

(Il se met de côté, afin que son assistante puisse voir la machine : une grande caisse métallique ronronnante, constituée de boutons, d’écrans et d’aiguilles positionnées sur des repères gradués).

 

Alors, si nous constatons que les révélations sur le passé coïncident avec des faits qui se sont vraiment produits, nous sommes en mesure de croire que ces révélations peuvent avoir une certaine fiabilité pour l’avenir. Voici Jo, notre contrôleur principal.

 

 

EUROPE (ironique)

 

Le cher Jo ! J’aimerais bien pouvoir le consulter pour savoir quel travail je vais avoir dans l’avenir, quel homme je vais rencontrer, ma date de mariage, si je me marie et le nombre d’enfants, si j’en ai.

 

 

PIERRE GERMONT (ironique) 

 

S’il arrive déjà à deviner que vous avez trois frères, leurs âges, ainsi que le décès de votre père en précisant la date, il réussira j’imagine, à vous mettre en confiance sur ses prédictions à venir

 

Il se penche sur la machine.

 

 

EUROPE (amusée puis sérieuse) 

 

J’admets. Que voyez-vous ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

On assiste à une montée en puissance, une accélération du phénomène événementiel depuis quelque temps. Cela fait que les événements se dissocient difficilement les uns des autres. Là, cependant, dans six mois environ, un séisme.

 

 

EUROPE 

 

En Europe ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il devrait être de magnitude moyenne. C’est à vérifier.  

 

 

EUROPE  

 

Vous arrivez à quelque chose de précis ?

 

 

PIERRE GERMONT  (en se redressant)  

 

Je vous ai expliqué tout à l’heure. Ce qui permet la précision, ce sont les lettres. Là, nous n’avons que des mots. Donc, non pour l’instant. (Il se tourne et pose la main sur un nouvel appareil, qui débite régulièrement une bande de papier). Mais nous avons quand même un testeur.

 

 

EUROPE 

 

De quoi s’agit-il ?

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant une partie de la bande pour lire) 

 

Parfois nous mettons à l’épreuve notre contrôleur principal. Nous diffusons des mots ou des expressions dans le domaine public. Ensuite, nous demandons à cette machine-là de les retrouver dans la mémoire de Jo. 

 

 

EUROPE 

 

Quels sont ces mots ou expressions ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ils ne doivent pas être divulgués en dehors du contexte de l’expérience pour ne pas fausser l’analyse. On se sert de ces vocables tests pour établir une vitesse de propagation, une  durée de vie pour les mots qui disparaissent, ou encore un schéma évolutif, pour ceux qui se transforment, en prenant en compte les variations possibles entre les productions écrites et verbales… 

 

 

EUROPE 

 

  Certains mots voyagent-ils à travers le monde ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tout à fait. Un jour, on a même retrouvé la trace de l’un d’eux, sur une île, à l’autre bout du monde.

 

 

EUROPE 

 

J’imagine que les mots qui voyagent le plus sont ceux qui se répètent le plus souvent

.

 

PIERRE GERMONT  

 

C’est ça. Ce sont les mots qui se répètent le plus souvent ou, disons plutôt, le plus facilement. C’est en général ce qu’on appelle des automatismes du langage… 

 

 

EUROPE (pensive)  

 

C’est vrai que certains mots se répètent plus souvent que d’autres. Et vous ? Lesquels avez-vous l’habitude de répéter ?

 

 

PIERRE GERMONT  (en se redressant et en laissant la bande

 

Moi ? Je n’en sais rien. Il faudrait voir ça avec ses collègues. 

 

(Il se retourne et élève la voix). 

 

Mon assistante voudrait savoir quels mots je répète souvent !

 

 

MAXENCE (avec un semblant de sérieux) 

 

« Caca boudin »… Très souvent.

 

 

PIERRE GERMONT (en soupirant) 

 

Lui, alors…

 

 

JACQUES 

 

Il faut changer les gaines ! 

 

 

PIERRE GERMONT (en pointant un doigt) 

 

Ça oui !

 

 

ANTOINE 

 

Vous utilisez en majorité les verbes « voir » et « pouvoir ». Et vous les conjuguez souvent aux première et deuxième personnes du pluriel.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ah tiens !

 

 

NAKISSA

 

Pourquoi vous demandez ça à nous ? On ne peut pas connaître les mots que vous prononcez dans votre vie privée.

 

 

EUROPE retient un rire dans le creux de sa main.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

  En effet, vous n’avez pas tous les paramètres. Bien vu !

 

 

L’attention d’Europe est soudainement retenue par les tables transparentes du milieu.

 

 

EUROPE 

 

Et ça, qu’est-ce que c’est ? Vous ne m’avez pas expliqué. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ce sont des prototypes d’écrans qui appartiennent au « kinétope ». 

 

(Il se dirige vers les tables).

 

EUROPE 

 

Ce sont des tables qui servent d’écran ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Pas exactement. 

 

(Il s’empare d’une commande à distance / appareil presque pareil qu’une télécommande). 

 

Regardez bien.

 

Le professeur actionne la commande à distance. Sous les yeux de l’assistante, une réaction surprenante, semblable à une émulsion chimique, modifie progressivement l’apparence des tables. Elles perdent peu à peu leur transparence. Des teintes boisées se précisent. A la fin, elles ressemblent à d’ordinaires tables en bois.

 

 

EUROPE 

 

Je reconnais. De là où je suis, c’est tout à fait bluffant. On les dirait vraiment dans le plus pur bois de chêne. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Parce que ce sont des hologrammes…

 

 

EUROPE 

 

Mais cela a-t-il une utilité particulière ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je crois que vous n’avez pas tout remarqué. Regardez vers l’entrée.

 

EUROPE oriente son regard vers l’entrée et a un sursaut de surprise. Encadrant la porte, deux gardes républicains se tiennent dans un fixe militaire. EUROPE pose ses mains sur ses tempes. Elle est perturbée par la scène qu’elle n’arrive pas à comprendre.

 

 

EUROPE (avec retenue) 

 

Je n’ai pas vu entrer ces Messieurs. 

 

On devine, à son visage, que l’angoisse l’envahit. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ne vous affolez pas. Ce n’est qu’un mirage.

 

 

EUROPE (la voix nouée)  

 

Ces gardes ? Mais pourtant, on les voit comme présents, physiquement.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous avez cette impression, parce que vous ne voyez ni l’écran, ni le projecteur. 

 

 

Le professeur appuie à nouveau sur la commande à distance et fait disparaître l’image d’un clic.

 

 

EUROPE (soulagée) 

 

Ça alors ! 

 

(Elle a presque envie de rire). 

 

L’expérience n’est pas des plus agréable, mais elle apprend sur la faiblesse de nos moyens de perception.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

L’image et l’écran sont envoyés en même temps par des projecteurs camouflés dans ces fausses tables en bois. Ce sont des rayons thermiques. Le procédé est assez complexe et cependant, il ne fait que copier la nature et ces merveilleux mirages. Seulement, nous cherchons à faire mieux, maintenant, en passant de l’hologramme fixe à celui  animé.

 

 

EUROPE (emportée) 

 

Vraiment ? Mais vous allez provoquer des crises cardiaques ! Croyez-moi, si j’avais vu un de ces gardes bouger un seul de ses sourcils, je crois que je me serai évanouie de peur !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est vrai. L’expérience est assez angoissante, au début. Mais cela s’estompe au fur et à mesure, avec l’habitude.

 

 

EUROPE (en se rapprochant du professeur) 

 

Tout à l’heure, c’était l’illusion de la voix. Maintenant, l’illusion de l’image. Est-ce que je dois croire que vous vous intéressez à l’illusionnisme ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je m’intéresse au langage et à tout procédé de communication.

 

 

EUROPE

 

Mais qu’est-ce que vous visez avec ces illusions ? De révolutionner le monde de l’Art, j’imagine.

 

 

Instant de silence qui montre que PIERRE GERMONT prend un temps de réflexion avant de répondre.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous avez raison de poser la question. Mais vous n’avez pas raison pour la réponse. 

 

(Il regarde sa montre et se tourne vers JEAN-FRANÇOIS). 

 

Les copies sont toutes passées ?

 

 

JEAN-FRANÇOIS

 

Oui. Vous pouvez les récupérer.

 

 

Le professeur va à la rencontre de JEAN-FRANÇOIS pour récupérer l’enveloppe. Il revient vers son assistante pour lui parler de manière confidentielle.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

J’aimerais bien vous inviter à déjeuner. Ensuite, après, je pourrais vous expliquer mon projet. Ne soyez pas ennuyée d’accepter devant mes collègues.

 

 

EUROPE 

 

J’accepte volontiers, mais… il y a le taureau.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le taureau, il se cache on dirait.

 

 

EUROPE 

 

Vous pensez qu’on peut toujours le retrouver ?

 

 

PIERRE GERMONT :

 

Bien sûr ! Les machines n’ont pas besoin de notre présence pour continuer à chercher

 

 

 

 


 
 
posté le 02-11-2014 à 22:34:23

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 2

 

 

 

 

Scène 42 – PARC CHÂTEAU de VERSAILLES – EXT/JOUR 

 

Parc du château de Versailles. PIERRE GERMONT et EUROPE marchent dans une des allées principales qui se trouvent dans la perspective du château. Ils sont face au château. EUROPE promène son regard sur les statues de l’allée.

 

 

PIERRE GERMONT (en s’arrêtant de marcher) 

 

Quelle impression cela vous fait-il de retrouver ici, les dieux et déesses qui ont fait l’histoire de votre pays ?

 

 

EUROPE (le regard toujours levé vers les statues) 

 

Ces statues, comme tout le reste, reflètent très bien l’élégance et le raffinement des jardins à la française. Avec, bien sûr, cette rigueur géométrique… 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je ne vous demande pas un cours sur le classicisme. Je vous demande ce que vous ressentez.

 

 

EUROPE se rend compte que le professeur ne la suit pas. Elle revient sur ses pas pour se retrouver à sa hauteur.

 

EUROPE (hésitante)  

 

Ce que je ressens ? Peut-être à la fois de la fierté et de la tristesse.

 

 

PIERRE GERMONT (en reprenant la marche)  

 

La fierté, je comprends. Et la tristesse ?

 

 

EUROPE 

 

La tristesse, parce que la Renaissance au départ, c’était quelques génies rebelles du peuple, qui se sont opposés à la tyrannie et à ses vérités stupides. Mais bien vite, en Italie et en France, la royauté a fini par tout récupérer. Et on voit bien que ce n’est pas pareil. Depuis, le modèle classique a un côté un peu trop…

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Prométhéen ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est ça… Prométhéen. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Tout a évolué selon un type prométhéen, je suis d’accord. Mais en récupérant le modèle classique, la monarchie s’est vraiment mise en danger. Vous ne croyez pas ?

 

 

EUROPE

 

Comment ça ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Vous devez deviner. Il y avait dans le modèle gréco-romain, une véritable bombe à retardement contre la royauté et, croyez-moi, bien des gens du peuple ont dû se réjouir en silence, en devinant déjà que la suite serait fatale.. 

 

 

EUROPE

 

Vous voulez parler de l’invention de la démocratie ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Évidemment. Pour un linguiste comme moi, l’histoire ne se fait pas qu’avec des mots. Elle se fait aussi avec des silences.

 

 

EUROPE 

 

Alors, si je comprends bien, dans vos silences, vous pensez que Louis XIV a soutenu la démocratie. 

 

Elle se met à rire.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

  Mais oui ! Il va de soi que c’est indirectement et malgré lui, mais il l’a fait.

 

 

EUROPE (jette un œil en direction du professeur, puis devient pensive) 

 

Je vois que vous ne plaisantez pas, mais en fin de compte, vous avez tout à fait raison. Seulement, c’est surprenant. Comment un monarque comme Louis XIV, a-t-il pu craindre la Fronde, au point de se réfugier ici, et offrir l’hospitalité à des poètes et dramaturges qui défendaient la démocratie ? C’est insensé.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pour cela, il n’y a pas 36 explications. Il a été illusionné. 

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ? On l’a trahi ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

« Trahi » n’est pas le terme exact. « Illusionné » convient mieux. A longueur de journée, on lui disait ce qu’il voulait entendre. Vous voulez un exemple ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, je veux bien.

 

 

PIERRE GERMONT  (passe un bras derrière le dos de son assistante pour l’inviter à s’approcher d’un bassin : le Bassin d’Apollon).  

 

Vous avez remarqué en quelle quantité il s’en trouve dans le parc ? 

 

 

EUROPE  

 

Oui, il y en a beaucoup.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Celui-ci est le bassin d’Apollon. Là-bas, c’est le bassin de Latone… le plus imposant, on ne peut pas le voir d’ici : c’est le bassin de Neptune. Ils sont partout et sont équipés de toute une batterie de jets. 

 

 

EUROPE

 

Oui, je suis au courant. 

 

 

Ils reprennent la marche, contournent le bassin d’Apollon pour revenir vers le château.  

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Comme tous ceux qui ont la folie des grandeurs, Louis XIV avait des lubies. Et l’une d’elle était que l’eau jaillisse à grands flots et de manière ininterrompue, jour et nuit, de chacun de ces bassins.

 

 

EUROPE 

 

Et ce n’était donc pas le cas ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Non, car dès qu’il avait le dos tourné, les ouvriers du château coupaient l’eau.

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ? Quand il quittait Versailles ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Même pas. Imaginons par exemple, qu’il se promenait comme nous sur cette allée. 

 

(Il indique l’allée avec le bras). 

 

Alors, tous les bassins qui se trouvent dans cette perspective avaient leurs jets en action. Mais aucun autre. Et si le roi décidait, par exemple, de prendre l’allée perpendiculaire de gauche 

 

(Il montre l’allée perpendiculaire), 

 

alors quelqu’un prenait aussitôt un raccourci et prévenait les ouvriers qu’il fallait ouvrir les robinets des bassins de l’allée de gauche. 

 

 

EUROPE

 

Et cela à l’insu du roi ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, à son insu. Quand il arrivait dans l’allée de droite, il ne se doutait pas que les jets avaient été actionnés une minute avant son arrivée. Et pendant ce temps, d’autres ouvriers se chargeaient de couper l’eau des allées centrales. 

 

 

EUROPE (lâche un éclat de rire)  

 

Vous voulait dire qu’on se moquait tout le temps de lui ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On l’illusionnait, comme je vous l’ai dit.

 

 

EUROPE 

 

C’était décidé par des gens de la Cour, je suppose. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Sans doute. Ils devaient être certainement très contents de constater les économies faites sur les factures d’eau. 

 

 

EUROPE

 

Oui, en effet. Mais à notre époque un tel subterfuge n’est plus possible, déjà parce qu’il y aurait des caméras dans chaque allée du parc.

 

 

Instant de silence, qui montre que le professeur cherche ses mots avant de répondre.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Mais à notre époque, nous pouvons aussi faire des progrès dans le domaine de l’illusion. 

 

 

EUROPE (avec un mouvement de recul) 

 

Non… pas possible ! C’est donc ça !

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Oui, nous avons appelé ce projet de recherche « Le projet taureau blanc ». « Blanc » , parce que la rumeur voudrait que le taureau soit moins agressif quand il est de cette couleur, ce qui n’est pas forcément vrai. Alors, tant pis pour la réputation du blanc. 

 

 

EUROPE 

 

Et vous avez vraiment l’intention d’utiliser ces méthodes ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Évidemment. Je n’ai pas l’habitude de me lancer dans des projets pour ne pas les faire aboutir.

 

 

EUROPE 

 

Et ceux que vous voudriez illusionner ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Des tyrans. Cela pourrait même être les pires tyrans de la planète. Ceux qui prennent leur peuple en otage et représentent une menace pour les autres peuples. 

 

 

EUROPE

 

Pour les neutraliser de cette façon ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, tout à fait.

 

 

EUROPE 

 

Mais c’est très dangereux !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le plus dangereux est de ne rien faire. Les tyrans évoluent dans leurs procédés de destruction, alors du côté de la Recherche, nous devons évoluer dans la manière de les neutraliser.

 

 

EUROPE 

 

Et de quelle façon ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

En jouant sur leurs fantasmes, leurs peurs. En les isolant… Les méthodes peuvent varier.

 

 

EUROPE (le regard brillant) 

 

Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais une telle perspective pour l’avenir, ça enlève toutes les ombres du malheur qui planent sur le monde… C’est redonner aux hommes le droit de rêver et le droit à l’optimisme. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui, mais pour l’instant, ce n’est qu’un projet de recherche.

 

 

EUROPE

 

Mais l’idée est excellente ! En effet, pourquoi chercher à raisonner des tyrans ? Le refus de la lucidité est sans doute leur principale faille et il n’y a pas de meilleure stratégie que de chercher à les atteindre à ce niveau-là… Bravo pour cette idée ! Vraiment bravo !

 

 

Le professeur remercie d’un sourire. Son regard se tourne vers le ciel où arrivent des nuages sombres.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a un orage qui arrive. 

 

(Il regarde son assistante). 

 

On a encore un peu de temps avant de passer entre les gouttes. 

 

(Elle acquiesce d’un sourire / Il montre une nouvelle direction). 

 

Je vous propose de longer le château dans cette direction.

 

Ils atteignent un nouveau bassin.

 

EUROPE

 

Combien de langues parlez-vous ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je n’en sais rien. Je n’ai jamais compté.

 

 

EUROPE 

 

A peu près ?

 

 

PIERRE GERMONT (en repartant) 

 

Toutes les langues à l’usage répandu. Plus cinq, six langues anciennes et également une dizaine de dialectes. Mais je continue à apprendre…

 

 

EUROPE

 

Et qu’apprenez-vous, en ce moment ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le soninké, une langue de la famille nigéro-congolaise. L’Afrique noire côté ouest, en somme.

 

 

EUROPE 

 

Et votre première langue ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

J’ai appris en même temps le français et le hollandais. Je suis originaire du Benelux.

 

 

EUROPE 

 

Ça a été une chance pour vous.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, si on veut. Mais c’est bien la seule aide que m’a apportée ma famille. L’homme qui est mon géniteur est un despote. Il s’est enrichi avec des combines plus ou moins douteuses et il a la mentalité détestable du parvenu. Il collectionnait les maîtresses, les invitait même à venir à la maison du temps où on habitait sous son toit mes frères et sœurs et moi-même, et il dépensait n’importe comment son argent. Comme il a toujours été odieux avec tout le monde, on était sans arrêt obligés de déménager pour éviter les représailles. Et au passage, il oubliait de nous inscrire dans les nouveaux établissements scolaires… 

 

Ils arrivent devant les marches de l’escalier qui mènent au château. Ils montent les marches.

 

 

EUROPE 

 

C’est terrifiant ! 

 

(Ils arrivent au sommet des marches. Le professeur prend les épaules de son assistante, pour l’inviter à regarder en direction de la perspective. EUROPE regarde la perspective). 

 

Impressionnant… Vous ne voulez pas dire qu’il est votre père ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je ne veux pas le dire, parce qu’il ne l’a jamais été. Et, croyez-moi, je me suis fait un point d’honneur de ne pas lui ressembler.

 

Grondement de tonnerre.

 

 

EUROPE (qui regarde vers le ciel)  

 

Vous avez raison. Il va y avoir un orage… 

 

(Le professeur passe son bras autour de la taille de la jeune femme et l’invite à effectuer un demi-tour afin de rejoindre une allée. Ils atteignent un labyrinthe.) 

 

Votre géniteur était quelqu’un de très matérialiste, si je comprends bien…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, très matérialiste…

 

 

EUROPE

 

Et n’est-il pas quant à lui, le fils de quelqu’un qui était très antimatérialiste et tourné uniquement vers la religion ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ça oui ! son propre géniteur était très tourné vers la religion. A la manière des fanatiques. Vous faites une analyse psychologique de ma famille ? 

 

 

EUROPE 

 

Ce n’est pas une analyse psychologique.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Alors, c’est quoi ?

 

 

EUROPE 

 

Dans la mythologie gréco-romaine, il y a les dieux, mais aussi les Titans, partisans du Chaos et qui sont ennemis des dieux.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous pensez que je ne connais pas mes classiques ?

 

 

EUROPE (troublée) 

 

C’est que… Vous m’avez bien posé une question.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Les membres de ma famille dont on a parlé pourraient, en effet, être comparés à des titans. Mon géniteur était fasciné par le Chaos. 

 

 

EUROPE 

 

Désolée, je ne voulais pas vous paraître indiscrète. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Par ici… 

 

(PIERRE GERMONT  indique à EUROPE, le chemin d’un labyrinthe végétal. Un éclair d’orage jaillit au-dessus de leurs têtes.) 

 

Une autre question ? 

 

 

EUROPE ne répond pas immédiatement. Tous deux s’engagent dans le labyrinthe, PIERRE GERMONT étant en tête. EUROPE le suit avec difficulté.

 

 

EUROPE

 

Vous avez donc des frères et des sœurs ?

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant un nouveau chemin) 

 

Nous sommes six.

 

EUROPE ne prend pas le même chemin que le professeur. Différents plans, qui les montrent alternativement, en train d’avancer, font comprendre que la jeune femme s’est égarée. Bruit du tonnerre. 

 

 

EUROPE 

 

Et de la fratrie, vous n’êtes pas le plus jeune ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Parce que ?

 

EUROPE ne répond pas aussitôt. Elle arrive dans une impasse, fait demi-tour et finit par apercevoir le professeur. Le professeur, de son côté, remarque qu’elle est derrière lui.

 

 

EUROPE (d’un ton véhément) 

 

Si vous me posez ces questions, c’est que vous savez !

 

PIERRE GERMONT fait demi-tour pour la rejoindre et l’empêcher, en même temps d’aller plus loin.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et si maintenant vous pouviez me parler sans détour ?

 

 

EUROPE (en fuyant son regard) 

 

Je me sens ridicule. Les histoires de votre famille ne me regardent pas. Oublions cela.

 

 

PIERRE GERMONT (en l’obligeant à la regarder) 

 

Non. Vous êtes allée trop loin.

 

 

EUROPE (en baissant les yeux) 

 

Vous savez comme moi qu’à la troisième génération, ce ne sont plus des titans, mais des dieux.   

 

 

PIERRE GERMONT (en faisant demi-tour)

 

Suivez-moi…

 

 

Ils avancent dans le labyrinthe l’un derrière l’autre. Ils sortent du labyrinthe et franchissent l’entrée en forme d’arche d’un treillage circulaire. Ils arrivent devant le Bassin du Titan. 

 

 

PIERRE GERMONT (solennellement, en le présentant) 

 

Le bassin du Titan.

 

(Il fixe le regard d’EUROPE) 

 

Je n’ai pas répondu à votre question tout à l’heure. Oui, je suis le cadet. 

 

Quelques gouttes de pluie viennent s’écraser sur le sol. 

 

 

EUROPE 

 

Il commence à pleuvoir. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je crois que vous deviez continuer à m’expliquer quelque chose. 

 

 

EUROPE (embarrassée) 

 

Les dieux sont six également.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et le cadet ? C’est…

 

 

EUROPE (embarrassée) 

 

Vous le savez comme moi, c’est Jupiter.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et donc ?

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce que j’ai oublié de dire ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et donc… Jupiter…

 

 

EUROPE (hésite avant de répondre)

 

C’est comme si c’était vous… d’après la mythologie. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je préfère vous l’entendre dire.

 

(Le professeur s’avance vers la jeune femme et son regard s’adoucit.) 

 

Ces déductions vont de soi. Il ne faut pas vous mettre martel en tête pour cela…

 

 

EUROPE 

 

Je cherche des explications.

 

Nouvel éclair.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous êtes tentée de chercher des explications, je comprends, mais je vous rappelle que nous sommes des universitaires et qu’il nous faut avoir une certaine rigueur dans notre façon de penser et d’analyser des faits, or des coïncidences, qui, précisément, n’ont pas d’explications logiques, ne nous permettent pas d’aboutir à des conclusions objectives et concrètes. Au demeurant, ces explications, si elles devaient exister, poseraient un problème. 

 

Nouveau grondement de tonnerre. Quelques gouttes de pluie.

 

 

EUROPE 

 

Lequel ?   

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant très près d’EUROPE) 

 

Le problème, c’est que vous êtes Europe. Vous devez donc vous attendre à ce que je devienne votre amant.

 

 

EUROPE 

 

Mais je n’y suis pour rien !

 

 

PIERRE GERMONT (en saisissant son bras) 

 

Vous n’y êtes pour rien ? Vous croyez peut-être que je ne vois pas ce qui se passe ? Vous vous êtes fait piéger par une histoire et vous voudriez que je le sois à mon tour. Vous n’attendez qu’une chose : c’est de devenir ma maîtresse. Et, figurez vous, que cela me plairait bien, à moi aussi, parce que vous êtes une femme tout à fait désirable. Seulement, avant tout et depuis quelques jours, vous êtes mon assistante. 

 

Il la relâche.

 

 

EUROPE (en baissant les yeux) 

 

Je suis désolée de vous avoir choqué avec mon comportement. C’est que, ces derniers temps, j’ai l’impression de ne plus rien contrôler, ni de ma vie, ni de moi-même. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et bien, il va falloir reprendre le contrôle de vous-même. Et aussi, revenir à un peu de bon sens. Imaginez ceci : je suis un homme avec un poste à responsabilités, marié avec des enfants. Je m’ennuie avec ma famille. Alors, pour mettre un peu de piment dans ma vie, je fais venir une jolie assistante et, ensuite, à peine est-elle arrivée que je décide de profiter de ma position sociale pour coucher avec elle. Vous pensez vraiment que je peux ressembler à un dieu de l’Olympe, de cette façon ? 

 

 

EUROPE (honteuse, plaque ses mains sur son visage) 

 

Je suis vraiment confuse. La confiance que j’ai en vous m’a rendue totalement aveugle sur moi- même. 

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Et bien, précisément, sur ce point, vous pouvez me faire confiance…

 

(Le professeur décide d’ôter sa veste et, dans des gestes délicats, pose celle-ci sur les épaules de la jeune femme.) 

 

Nous serons bientôt au sec… 

 

(Ils avancent d’un pas rapide). 

 

Comprenez bien que si je vous dis ça, ce n’est pas parce que je ne tiens pas à vous. Bien au contraire. D’un point de vue professionnel, vous êtes sous mon autorité. Cela signifie que moi, je suis quelqu’un de libre dans mes décisions, alors que vous, vous ne l’êtes pas. La seule façon, pour moi, de vous respecter, c’est donc de préserver une distance avec vous, sur le plan affectif. Et en fin de compte je n’ai pas le choix, moi non plus, car de mon côté j’ai une contrainte morale, qui est d’accomplir correctement mon travail. Croyez-vous que les supérieurs qui couchent avec leurs subordonnées peuvent être des personnes consciencieuses en qui il est possible d’avoir confiance ? Moi, je vous dis que non. Comment des responsabilités peuvent s’établir, dans ce cas ? Elles ne peuvent pas. Ça devient un bordel… 

 

(Sonnerie d’un téléphone. PIERRE GERMONT tâtonne sa poche. Il prend son téléphone, s’essuie le visage d’un revers du coude, met ses lunettes. Il lit le message sur l’écran de son téléphone, puis retire ses lunettes.) 

 

Le taureau a été retrouvé. 

 

(EUROPE, en entendant la nouvelle, se fige sur place). 

 

Il est en vie et sous bonne garde en Espagne près de Pamplune.  

 

 

EUROPE (soudain véhémente) 

 

Mais oui… Il y a aussi ce taureau ! Vous pensez qu’il est facile de ne pas en tenir compte ? De faire comme s’il n’existait pas, alors que nous savons qu’il existe. Je suis vraiment désolée, Monsieur Germont, si je gêne votre manière de penser ou de travailler, mais en ce qui concerne ce taureau, qui est survenu justement au moment où nous nous sommes rencontrés, je ne peux absolument pas croire, qu’il s’agit d’un hasard. Même si, pour vous… 

 

Elle s’interrompt. Des larmes coulent sur son visage, se confondant avec les gouttes de pluie. 

 

 

PIERRE GERMONT (en essuyant les larmes sur le visage d’EUROPE)  

 

Résolvons calmement le mystère de ce taureau. Apprenons aussi à mieux nous connaître. Je voudrais pouvoir vous aimer, de cette façon. Une relation platonique n’empêche pas les sentiments. Vous verrez… 

 

Le professeur et son assistante, sous la pluie, s’éloignent. En dernier plan, des gouttes de pluie sur une flaque.

 

 

 

Scène 43 – ENTRÉE APPARTEMENT D'EUROPE –  INT/JOUR

 

Entrée de l’appartement d’EUROPE. Miroir reflétant un tableau qui représente une scène amoureuse. Près du miroir, une clef suspendue sur un clou. 

 

 

VOIX off d’EUROPE 

 

Le courrier… Il ne faut pas oublier le courrier. La clef de la boîte aux lettres… 

 

 

La main d’EUROPE saisit la clef suspendue. EUROPE, prête à partir de chez elle, entre dans le champ au moment où elle se place devant le miroir. Elle réajuste ses vêtements et sa chevelure, regarde son visage.

 

 

VOIX off de PIERRE GERMONT 

 

C’est qu’en plus, j’ai en face de moi le charme et la jeunesse. 

 

 

Elle quitte le miroir, ouvre la porte et sort. Elle porte un sac à main à l’épaule.

 

 

 

Scène 44 – RUE DEVANT CHEZ EUROPE –  EXT/JOUR

 

Rue paisible et un peu triste de la proche banlieue parisienne, à une heure matinale. EUROPE quitte son immeuble et marche sur le trottoir d’un pas décidé. Elle porte un regard vague sur son environnement.

 

 

Voix off de PIERRE GERMONT 

 

Et, figurez vous que cela me plairait bien, à moi aussi, parce que vous êtes une femme tout à fait désirable.

 

Image d’un gardien d’immeuble qui balaye un pas de porte. 

 

 

VOIX off de PIERRE GERMONT 

 

Le taureau a été retrouvé. Il est en vie et sous bonne garde, en Espagne, près de Pamplune.

 

EUROPE, en avançant, jette en œil en direction des enseignes du trottoir d’en face. Les boutiques : un magasin de machines à coudre, un centre pour obèses et une succursale d’assurance. Les trottoirs d’en face sont déserts. 

 

 

VOIX off de PIERRE GERMONT : Je voudrais pouvoir vous aimer, de cette façon. Une relation platonique n’empêche pas les sentiments. Vous verrez… 

 

EUROPE s’arrête soudainement et plaque une main contre sa bouche. 

 

 

EUROPE (à elle-même) 

 

Le courrier…

 

Instant d’hésitation où EUROPE se retourne pour évaluer le chemin parcouru. A cet instant, elle aperçoit une Limousine noire aux vitres teintées, qui roule très lentement. Regard étonné. La limousine s’arrête à sa hauteur. Elle a un mouvement de recul. Une vitre arrière se baisse. Inquiète, EUROPE regarde cette fois vers l’avant, où elle remarque à une cinquantaine de mètres, le panneau RER, située à l’entrée de la station.

 

 

VOIX masculine 

 

Mademoiselle Europe Spartanikès ?

 

La VOIX masculine est celle de MONSIEUR CASTILLON, dont la tête apparaît par la fenêtre à la vitre baissée. Des yeux ronds avec le coin des paupières tombant, un front large, des joues dodues et un petit menton. L’homme a la quarantaine dépassée. Ses cheveux bruns, coupés court, sont maintenus hérissés par un artifice de coiffure. 

 

 

EUROPE  

 

Comment pouvez-vous me connaître ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous ai cherchée. J’avais trouvé l’un. Il fallait que je cherche l’autre. 

 

 

EUROPE  

 

Qui avez-vous préalablement trouvé ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Ce n’est pas une personne. C’est un taureau. Le taureau d’Europe. Êtes-vous déjà au courant de son existence ?

 

 

EUROPE (troublée) 

 

Oui. Enfin, je veux dire que, bien sûr, je connais le mythe…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous êtes la vraie Europe !

 

 

EUROPE (distante) 

 

Ce mythe, vous concerne-t-il ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (avec un sourire) 

 

Non, pas pour l’instant. Mais j’aimerais bien. Peut-être qu’un jour, vous aurez envie de récupérer ce taureau. Cependant, cela risque de vous poser quelques problèmes. Et si c’est le cas, je me sentirais très honoré de pouvoir vous venir en aide. (Il tend un bras qui tient une carte de visite entre ses doigts). Ne craignez rien. Je ne tiens pas à vous déranger et ne souhaite nullement vous imposer ma présence. Si vous estimez qu’il est inutile de donner suite, alors je respecterai votre choix. Mais en attendant, prenez le soin de connaître mon identité, puisque je connais déjà la vôtre. 

 

 

EUROPE, rassurée, s’approche pour prendre la carte de visite. 

 

 

EUROPE  

 

Merci.

 

Elle lit. Gros plan de la carte de visite où apparaît le Nom : Monsieur Alexandre CASTILLON. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Alors, peut-être à bientôt ! (Il adresse un signe de la main / d’une voix sèche, au chauffeur). Victor, la vitre !... Qu’attendez-vous ? Mais si vous n’y arrivez pas, c’est que vous n’êtes pas sur la bonne vitre. C’est la trois, côté droit ! La vitre trois, Victor !

 

La vitre se remet doucement à monter. Le visage disparaît. Le véhicule repart silencieusement. EUROPE regarde à nouveau la carte. Elle est à la fois étonnée et joyeuse. Elle glisse la carte dans son sac. 

 

 

 

Scène 45 – COULOIR BÂTIMENT LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Couloir à l’étage. Le même couloir accède au bureau de PIERRE GERMONT et au secrétariat de linguistique. EUROPE arrive devant la porte du bureau de PIERRE GERMONT. Elle frappe. Aucune réponse. Elle frappe à nouveau, puis appuie sur la poignée. Elle se rend compte que la porte est fermée à clef. Elle se dirige vers le secrétariat. La porte du secrétariat est ouverte. Plusieurs personnes, étudiants et parents d’étudiants, attendent devant l’entrée avec des dossiers à la main. Elle essaye de se frayer un passage. Une fois au niveau de l’entrée, elle aperçoit la SECRÉTAIRE qui discute avec un étudiant assis à son bureau. On n’entend pas précisément la discussion. D’autres étudiants attendent, debout, derrière. Des bruits de bavardages, dans lesquels on entend parler de réussite au baccalauréat. 

 

 

 

Scène 46 –  SECRÉTARIAT LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Au moment où EUROPE entre dans le secrétariat, la SECRETAIRE se lève, excédée.

 

La SECRÉTAIRE (sur le ton de l’exaspération) 

 

Ce n’est pas possible de travailler dans ces conditions. On est envahi ! (Elle fait signe aux personnes présentes de reculer). Vous devez reculer. Je suis désolée mais je ne peux prendre qu’une seule personne à la fois. 

 

Refoulée avec les étudiants, EUROPE recule jusqu’à l’extérieur du couloir. 

 

 

 

Scène 47 – COULOIR BÂTIMENT LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Même couloir que la séquence 45. La porte du secrétariat se referme devant EUROPE. Le brouhaha du couloir s’intensifie, avec quelques râles et réflexions moqueuses. La jeune femme fait demi-tour. Elle cherche des personnes qui pourraient la renseigner mais n’en trouve pas. Elle regarde sa montre et se dirige vers l’ascenseur.  

 

 

 

Scène 48 –  HALL BÂTIMENT LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Grand hall du rez-de-chaussée. EUROPE traverse le hall en direction de la sortie. Elle reconnaît la secrétaire MARTINE, qui va dans l’autre sens, les bras encombrés. Au moment où elles se croisent, EUROPE fait signe à la SECRÉTAIRE. 

 

 

EUROPE 

 

Excusez-moi… Vous avez des nouvelles de Monsieur Germont ?

 

 

La SECRÉTAIRE 

 

Non. Du tout. J’ai bien remarqué qu’il était absent depuis quelques jours, mais je ne sais pas pourquoi. 

 

La secrétaire repart. EUROPE se dirige vers les portes de sortie.

 

 

 

Scène 49  – HALL BÂTIMENT PRINCIPAL –  INT/JOUR

 

Couloir de rez-de-chaussée d’un bâtiment universitaire. EUROPE avance dans le couloir jusqu’à une porte. Elle frappe. 

 

Voix de MONSIEUR VERNEUIL (présenté en séqu.19)

 

Entrez ! 

 

La porte s’ouvre.

 

Voix d’EUROPE 

 

Je suis Europe Spartanikès, l’assistante de Monsieur Germont.

 

La porte se referme.

 

 

 

Scène 50 – SALLE de THÉÂTRE –  INT/JOUR

 

Une grande salle de classe, aménagée comme une salle de théâtre avec une imposante estrade occupant la moitié de l’espace. Sur l’estrade, deux étudiants jouent un dialogue de Molière, en se  référant au texte, chacun ayant un livre à la main. Un des étudiants parle avec un caillou dans la bouche. L’autre tient un crayon entre ses dents. Près d’eux, le chargé de TD, MONSIEUR VERNEUIL, surveille l’élocution. Un moment, il interrompt le dialogue et s’approche d’un des deux locuteurs, pour lui faire répéter une phrase. Devant l’estrade, une trentaine de chaises à moitié occupées par des étudiants de tous âges qui sont attentifs au travail des deux étudiants. EUROPE avance vers le milieu de la salle et s’assoit sur une chaise vacante, près de LEILA, une jeune fille typée beurette, à la carrure imposante et à la tenue négligée. LEILA aussitôt, tend une main à EUROPE.

 

LEILA (serre la main d’EUROPE / Murmure / Parlé cité) 

 

Enchantée, moi c’est Leïla.

 

(EUROPE répond par un sourire et un hochement de tête). 

 

J’suis juste venue voir. C’est un bon poto à moi, qui m’a conseillé. Première fois que j’mets les pieds chez des bobos. C’est trop bizarre, l’ambiance, ici. J’suis pas trop dans mon élément, tu vois. Mais c’est pour le taf. Faut bien se forcer si on veut décrocher un job qui rapporte. Et moi, je suis prêt à me donner des coups de pieds au cul, s’il faut. Je suis une vraie bosseuse, si on me demande. Mais à chaque fois, j’me fait recaler à cause de ma façon de parler. Ça fait trop relou, tu comprends. Alors voilà, je tente. Pour juste parler mieux… Pas comme un ministre, mais juste correct, tu vois

 

(Elle s’interrompt et reprend vivement) 

 

Eh ! Tu comprends ma langue au moins ?

 

 

EUROPE (avec un sourire) 

 

Mais oui. Je suis Grecque mais je comprends et parle le français.

 

 

LEILA (avec parlé cité) 

 

C’est vrai, t’es Grecque ? Moi, je suis seulement moitié française. Mais tu parles vachement bien quand même. Si t’es étrangère, tu peux peut-être me dire un conseil.

 

 

EUROPE 

 

A quel sujet ? 

 

 

LEILA (en baissant la voix / parlé cité) 

 

Tu crois que je suis à ma place, ici ? Que ça va me servir à quelque chose de venir à ces cours ? 

 

 

EUROPE  

 

Bien sûr. Il faut venir régulièrement et s’accrocher.

 

 

Bruit de quelqu’un qui frappe à la porte.

 

 

MONSIEUR VERNEUIL 

 

Entrez ! 

 

 

LEILA (à EUROPE, à voix basse, avec accent cité) 

 

Bein oui, mais justement je ne voudrais pas m’accrocher pour rien.

 

 

EUROPE se retourne et voit la secrétaire JEANNINE ouvrir la porte de la salle. 

 

 

JEANNINE 

 

Excusez-moi de déranger.  

Je suis Jeannine du Secrétariat de Linguistique. Mademoiselle Spartanikès est ici ?

 

 

 

En entendant son nom, la jeune femme se lève aussitôt.

 

EUROPE

 

C’est moi-même ! 

 

(à LEILA)

 

Ici, c'est un lieu pour apprendre. Ayez confiance et pourrez progresser. Bonne chance..

 

 

EUROPE passe entre les chaises, se dirigeant vers le fond de la salle pour retrouver la secrétaire sur le pas de porte. 

 

 

JEANNINE (à voix basse / à EUROPE) 

 

J’ai un message pour vous. C’est de la part de Monsieur Germont. Celui-ci s’excuse pour son départ précipité. Il reviendra dans quelques jours. Il vous demande, en attendant, de vous occuper de la permanence du bureau de linguistique. La clef du bureau est chez nous. 

 

 

 

Scène 51 – MANADE en CAMARGUE –  EXT/JOUR

 

Une manade en Camargue, le soir. Devant la porte ouverte d’une étable, PIERRE GERMONT discute avec un jeune MANADIER. Les deux hommes parlent tout en regardant vers l’intérieur de l’étable. La séquence commence avec un plan d’ensemble (en panoramique ?) qui montre, derrière les deux hommes, une Land Rover garée près de l’étable. Derrière la voiture, un vaste enclos occupé par une cinquantaine de taureaux. En plan moyen, la discussion des deux hommes, qui se mélange aux bruits de la campagne (mugissement de taureaux, grillons, etc.) est néanmoins audible. Aucun plan ne montre l’intérieur de l’étable. 

 

Le MANADIER 

 

N’empêche que ça n’a pas été facile pour le faire monter dans le camion. Il a fallu au moins dix gars, avec un derrière, pour le piquer… 

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est quand même un gros gabarit. 

 

 

Le MANADIER

 

Ça c’est sûr, c’est une belle bête… Et avec une robe blanche pareille… Nous on n’est pas du tout habitué à en voir des comme ça, par ici. Mais justement, c’est ce qui fait qu’on peut pas le garder avec les nôtres.

 

 

PIERRE GERMONT (en posant un bras sur l’épaule du MANADIER) 

 

On est d’accord. Je vais m’occuper de lui trouver une autre adresse. 

 

(PIERRE GERMONT se retourne, tandis que le MANADIER referme la porte de l’étable.) 

 

En plus, il ne faut pas traîner, parce que même ce genre de structure (il montre l’étable) n’est pas adaptée pour lui. 

 

 

Le MANADIER se dirige vers le portail de l’enclos où se trouve la cinquantaine de taureaux.

 

 

Le MANADIER (en ouvrant le portail) 

 

En plus, il y a le problème des services vétérinaires. Quelqu’un les a prévenus. Il ne faudrait pas qu’ils viennent récupérer le taureau avant que vous puissiez lui trouver un nouvel hébergement.

 

 

PIERRE GERMONT (en prenant place, côté passager, dans la Land Rover)

 

Je pense pouvoir le caser chez un dresseur animalier. 

 

 

Le MANADIER (en rejoignant à son tour la Land Rover) 

 

Ça pourrait être bien, comme plan, un dresseur animalier.

 

 

Le MANADIER monte dans la Land Rover. Il met le contact et s’engage dans l’enclos. Le portail une fois franchi, PIERRE GERMONT redescend, pour le fermer, en surveillant les taureaux. PIERRE GERMONT remonte dans la Land Rover, qui repart. La voiture traverse l’enclos des taureaux. La voiture sort du « champ ». Descente en accéléré du soleil couchant, qui disparaît derrière des collines en arrière plan. Fondu enchaîné.

 

 

Scène 52 – MANADE en CAMARGUE – EXT/JOUR

 

Même lieu en plein jour, avec la Land Rover garée dans l’enclos des taureaux, près de la barrière. Sonnerie de téléphone. PIERRE GERMONT arrive de l’extérieur. Il court vers la barrière qui est proche de la voiture. Il escalade la barrière, se retrouvant dans l’enclos des taureaux. Il ouvre la porte de la Land Rover et aperçoit son portable. Il le prend et décroche. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Allô ! Oui, c’est lui-même. Bonjour Richard. Ah, si vous n’êtes pas loin, je peux vous expliquer… 

 

(Tout en parlant au téléphone PIERRE GERMONT surveille les taureaux qui s’approchent de lui.)

 

Vous êtes dans quelle direction ?  

 

(Il ferme la porte de la voiture ).  

 

Bon, dans ce cas, vous passez le rond-point et vous prenez la première à droite, qui est juste après le rond-point. C’est une petite départementale. Oui, au rond-point vous prenez tout droit, mais la route est juste après. Ensuite, vous faites cinq cent mètres et vous tournez à gauche. Comme indication ? 

 

(Un taureau arrive vers PIERRE GERMONT et l’oblige à interrompre la communication). 

 

Attendez un instant… 

 

(Il doit saisir une corne du taureau et se dégager pour éviter le coup de cornes. Il reprend la communication).

 

Vous n’avez pas d’indication précise, mais vous avez juste un seul carrefour, qui se trouve au milieu des champs. Ah si ! près du carrefour, vous avez un saule, si ça peut vous aider. 

 

(De plus en plus de taureaux s’avancent vers lui. Il doit longer la barrière pour leur échapper.) 

 

Ensuite, il vous faut prendre un chemin qui sera en oblique sur votre gauche. 

 

(Il montre la direction du chemin avec sa main, comme si l’interlocuteur était présent). 

 

Non, ce n’est pas une patte d’oie. Vous avez la départementale qui continue tout droit et ce petit chemin qui part en oblique sur la gauche.

 

(Nouveaux mouvements du bras. Les mouvements attirent un taureau. Le taureau frotte un sabot sur le sable et fonce vers PIERRE GERMONT. Cette fois, PIERRE GERMONT se met à courir / Essoufflé au téléphone). 

 

Le chemin doit être à peu près à  300 mètres du carrefour. Excusez-moi, je dois faire attention. J’ai un taureau qui me court après. Oui, je suis dans leur enclos… Donc, après avoir pris le chemin qui part en oblique… Allô ! Allô !... Allô ! 

 

 

 (PIERRE GERMONT regarde son téléphone. Il le range dans sa poche, hausse des épaules).

 

  Bon… Espérons qu’il arrive… 

 

Il jette un coup d’œil en arrière, en direction des taureaux et grimpe sur la barrière.  

 

 

 

Scène 53 – COUR de FERME – EXT/JOUR

 

Entrée de la ferme. Une grande cour devant des bâtiments de ferme, peints en blanc. Un jardin bien entretenu autour de la cour. Une voiture arrive dans la cour et se gare devant la maison. PIERRE GERMONT et le MANADIER se dirigent vers le conducteur RICHARD, qui sort de son véhicule. Poignées de mains entre les trois hommes. 

 

 

RICHARD (en posant ses poings sur ses hanches) 

 

Il est enfermé dans une étable, vous me dites… 

Cela veut-il dire que je ne peux pas le voir courir ?

 

 

PIERRE GERMONT et le MANADIER se regardent.

 

 

Le MANADIER

 

Il doit peut-être y avoir un moyen de le mettre dans le paddock.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pas si les autres taureaux y sont. Il faut évacuer tous les taureaux dans les pâtures d’à- côté.

 

 

Le MANADIER

 

Je m’en charge. 

 

 

RICHARD 

 

Ah… je ne voulais pas vous causer autant de soucis…

 

 

Le MANADIER (en s’éloignant) 

 

C’est rien. Juste le temps de seller mon cheval.

 

 

RICHARD (à PIERRE GERMONT) 

 

Si vous me dites que cette animal, pour l’instant, doit échapper au contrôle sanitaire des services vétérinaires, je dois au moins vérifier qu’il est en bonne santé. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le problème de ce taureau est qu’il a fait des victimes. Pour cela, certains voudraient qu’ils soit abattu. Mais d’autres tiennent absolument à ce qu’il soit protégé. Il appartient à une race menacée d’extinction. C’est un taureau lusitanien. Sa très grande agressivité est précisément ce qui risque de le faire disparaître. Vous voulez boire quelque chose ? Un alcool ? Un café ?

 

 

RICHARD (avec un signe de la main) 

 

Non non, je vous remercie, j’ai déjà pris un café.

 

 

PIERRE GERMONT (en indiquant un chemin qui contourne la maison) 

 

Il est même interdit dans les corridas. Alors, de l’avis de certains, si ce taureau a fait des victimes, ce n’est pas lui le responsable, mais ceux qui n’ont pas respecté les lois de la tauromachie. 

 

 

RICHARD

 

Mais tous les taureaux sont agressifs et dangereux, non ? Ou presque tous, alors...

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui. Seulement, chez ce taureau, l’agressivité n’est pas visible. 

 

 

RICHARD

 

Alors, c’est un sournois.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si on veut. En apparence, on voit un animal tout à fait paisible,  prêt à venir manger  dans votre main, mais ce calme n’est qu’apparent. L’instant d’après, il charge furieusement et plus rien ne l’arrête dans sa fureur. 

 

 

RICHARD 

 

Vraiment ? Alors là, vous m’impressionnez… J’ai vraiment hâte de le voir. Il m’intéresse. J’aime bien tous ces animaux qui sortent de la norme. Pour moi, ce sont eux qui sont les plus passionnants. 

 

 

Les deux hommes arrivent vers les barrières du grand enclos. Dans l’enclos, le MANADIER sur un cheval camarguais, pousse le troupeau vers une sortie qui mène à des pâtures adjacentes. Le MANADIER pousse des cris pour faire avancer le troupeau. Les deux hommes prennent appui sur les barrières pour assister au spectacle.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

L’autre particularité de ce taureau lusitanien, et la raison pour laquelle il est également dangereux, c’est qu’il ne fonce pas sur les capes, mais directement sur les personnes.

 

 

RICHARD 

 

Vous voulez dire, qu’on ne peut pas attirer son attention avec un drap ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Non. Il ne voit que trop bien la main qui tient le drap.

 

 

RICHARD 

 

Et il ne se laisse pas berner ? C’est donc qu’il doit être plus intelligent que les autres. 

 

(Il remarque la Land Rover dans l’enclos). 

 

Et pourquoi vous laissez la voiture dans l’enclos ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ce genre de véhicule, garé en pleine nature, attire les voleurs. Cela a été une idée du manadier, de la laisser ici. Comme ça, elle est bien gardée.

 

 

RICHARD (avec un éclat de rire) 

 

Ah, vous parlez d’une idée. C’est sûr que de cette façon, elle ne risque rien. 

 

Les taureaux ont tous été évacués. Le MANADIER referme la barrière qui sépare la pâture de l’enclos. Puis il ouvre une autre barrière, fait sortir son cheval, qu’il tient par la bride. Il attache son cheval à un arbre voisin et se dirige vers la voiture.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Précisément, à présent la situation est exactement contraire pour cette voiture, qui court un grand risque si on ne l’enlève pas de là. C’est d’ailleurs ce que va faire son propriétaire. 

 

(Il indique la direction de l’étable) 

 

Allons par là…  

 

 

RICHARD (en suivant PIERRE GERMONT) 

 

Parce que cette race s’attaque aussi aux voitures ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Elle peut, en effet. Cette espèce de taureau peut s’en prendre à des cibles immobiles, dès lors qu’il n’arrive pas à clairement les identifier et qu’elles peuvent représenter un danger pour lui. 

 

 

RICHARD 

 

Décidemment, c’est un animal qui surprend. Je sens qu’il va me plaire… 

 

 

PIERRE GERMONT (voit le MANADIER lui faire un signe de la main) 

 

C’est bon. Nous pouvons le faire sortir. 

 

(Il ouvre en grand la porte de la grange, saisit une corde sans prendre le temps de regarder à l’intérieur). 

 

Je dois prendre des précautions. 

 

Tenant toujours la corde, PIERRE GERMONT ouvre le portail qui sépare la grange de l’enclos et referme derrière lui, une barrière. Puis il monte sur la barrière et tire sur la corde. 

 

 

VOIX d’EUROPE (murmure) 

 

Et alors, vous avez lâché ce taureau ?

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT (murmure)

 

Je croyais. Mais au moment où j’ai ouvert la porte du corridor… 

 

 

VOIX d’EUROPE (murmure) 

 

Ce n’était pas lui ?

 

Image d’un jeune veau qui sort en trottinant.

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT (murmure) 

 

Ce n’était qu’un veau. Vous imaginez le spectacle !

 

 

RICHARD (emporté dans un tonitruant éclat de rire) 

 

Ah, c’est ça votre terreur des arènes ! 


 Scène 54 – CENTRE de RECHERCHE –  INT/NUIT

 

Centre de Recherche. Par la grande baie, paysage nocturne, avec les lumières de la ville, au loin. Côte à côte, derrière un bureau, PIERRE GERMONT et EUROPE dans un éclairage tamisé venant du bas, et qui peut correspondre à la lumière des écrans d’ordinateurs. Plan moyen, qui ne permet pas de voir l’ensemble de la salle. 

 

 

EUROPE (murmure)

 

Vous voulez dire que vous n’êtes déjà plus en possession de ce taureau ?

 

 

PIERRE GERMONT (murmure)

 

Hélas oui… Il a été emmené par les services vétérinaires au petit matin et on a simplement oublié de me prévenir. Seul le père de mon ami avait été informé. 

 

 

EUROPE plonge sa tête entre ses mains, dans une attitude qui exprime autant la désolation qu’un besoin impérieux de réfléchir. Plan grand ensemble dans lequel on remarque également les présences de MICHEL, occupé derrière l’écran d’un ordinateur et de JEAN-FRANÇOIS,  chargé de contrôler le bon fonctionnement des machines. PIERRE GERMONT regarde sa montre. En gros plan, cadran qui indique : 3 heures.

 

 

PIERRE GERMONT (murmure) 

 

Qu’est-ce qui vous a pris de vouloir si vite me rejoindre ? Vous auriez attendu le lendemain, cela vous aurait permis de passer une nuit douillette dans vos draps. 

 

 

EUROPE (en relevant la tête) 

 

Je ne trouve pas ça désagréable et mon lit ne me manque pas du tout. Si j’avais aussi hâte de vous retrouver, c’est que… (Elle s’interrompt un moment. Ses yeux se baissent et se promènent sur la surface du bureau. Elle reprend avec un soupir). C’est que je me doutais bien que votre départ précipité avait un rapport avec le taureau. 

 

Sourire de confirmation du professeur.

 

 

PIERRE GERMONT (en repliant ses lunettes)

 

Cela vous dirait de sortir un peu ? 

 

 

EUROPE (enthousiaste)

 

Oh oui, volontiers… 

 

Tous deux se lèvent et se dirigent vers la sortie.

 

 

 

Scène 55 –  CAMPUS – EXT/NUIT

 

Campus universitaire, juste éclairé par les lampadaires des allées. Le lieu est désert et plongé dans le silence. PIERRE GERMONT et EUROPE avancent sur une pelouse en regardant vers le ciel étoilé.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Regardez-moi ça, toute ces étoiles…

 

 

EUROPE 

 

On réussit même à voir la Voie Lactée.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

En effet.

 

 (Il pointe un doigt).

 

Là, c’est Véga et là, devinez qui ?

 

 

EUROPE 

 

Jupiter ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui. On s’assoit ?

 

 (PIERRE GERMONT retire sa veste pour la mettre sur la pelouse. Tous deux s’installent côte à côte. / PIERRE GERMONT pointe à nouveau son doigt). 

 

Et ce petit point lumineux qu’on voit un peu bouger, vous savez ce que c’est ?

 

 

EUROPE

 

Non.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est un satellite artificiel.

 

 

EUROPE 

 

On peut les voir ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, on peut…

 

 

EUROPE

 

Mais je suppose qu’Europe, elle, on ne peut pas…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

A l’œil nu, non ce n’est pas possible. Mais on sait où elle est puisqu’elle tourne autour de Jupiter. 

 

 

Il libère un éclat de rire.

 

 

EUROPE (riant à son tour)

 

Oh, ce n’est pas de sa faute. Elle subit sa force d’attraction.

 

 

PIERRE GERMONT (en se tournant vers EUROPE)

 

C’est vrai. Ce sont, en fait, de très vieux amants. Ils sont presque aussi vieux que l’histoire de notre civilisation.

 

 

Instant de silence où PIERRE GERMONT et EUROPE s’observent, tout en étant pensifs.

 

 

EUROPE (soudainement) 

 

Vous savez où les services vétérinaires ont emmené le taureau ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui. Déjà, vers le nord de l’Europe, pour que cet animal ne soit pas réutilisé dans une corrida ou une course taurine. 

 

 

EUROPE

 

Et vous n’en savez pas plus ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si. Ils ont ensuite statué sur son sort. Comme ils ont considéré l’animal trop dangereux, ils ont décidé de l’envoyé dans des abattoirs, en Angleterre.

 

 

EUROPE (qui s’insurge) 

 

Ils ont décidé de le tuer ! 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il n’y a rien d’autre à faire.

 

 

EUROPE (déçue) 

 

Mais vous m’aviez dit que cet animal faisait partie des espèces menacées et je pensais, enfin j’étais même persuadée que vous vouliez tout faire pour le protéger !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je pensais, en effet, pouvoir le protéger mais maintenant, ce n’est plus possible. Je sais que cette histoire vous chagrine. Mais vous ne savez pas ce qui s’est passé en Espagne et quand vous le saurez, vous ne penserez pas la même chose de cet animal.  

 

 

EUROPE

 

Il a encore fait des victimes ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. 

 

 

EUROPE (inquiète) 

 

Encore ? Mais comment est-ce possible ?  

 

 

PIERRE GERMONT

 

Comment est-ce possible ? Mais justement, parce que d’autres ont commis la même erreur. Ils ont cherché à protéger ce taureau, comme nous avons nous mêmes cherché  à le faire. Pour cela, ils n’ont pas trouvé d’autres solutions que de le cacher parmi des taureaux de corridas. Il faut comprendre une chose. C’est qu’en protégeant ce taureau, on en vient à être complice de ses attaques meurtrières.  

 

 

EUROPE

 

Ce taureau a de nouveau été dans une corrida ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il a participé à un lâcher de taureau, dans Pamplune. On appelle ça, là-bas, l’encierro. Ceux qui l’avaient mis avec des taureaux de corrida n’ont pas réussi à le séparer du troupeau. Du moins, ils ont manqué de temps.

 

 

EUROPE

 

Mais vous, vous n’avez pas commis la même erreur que ces gens-là. Et en plus, maintenant qu’il est parti en Europe du Nord, tout danger est écarté… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je comprends votre réaction., mais vos arguments ne suffiront pas pour défendre la cause de cet animal. Je suis désolé de vous l’annoncer, mais vous allez même devoir définitivement renoncer au taureau d’Europe. Car cette fois-ci, il a tué des enfants.

 

 

EUROPE (pétrifiée) 

 

Que dites-vous ? 

 

(Elle dissimule son visage). 

 

Oh non, ce n’est pas possible. Pourquoi une telle chose a pu se produire ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ce sont deux enfants qui étaient avec leur mère… 

 

 

 

Scène 56 – RUE de PAMPLUNE –  EXT/JOUR

 

Rue de Pamplune, un jour de lâcher de taureaux. Une mère marche avec deux enfants sur un large trottoir. Le plus jeune est dans une poussette. L’aînée, une petite fille de 4 ans, tient la main de sa mère. Ils avancent le long de barrières métalliques qui barrent l’accès à la route. Des gens habillés de rouge et de blanc se pressent près des barrières. Des clameurs s’élèvent.  

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT

 

Le plus jeune était dans une poussette. L’aînée, une petite fille de 4 ans, tenait la main de sa mère. Ils voulaient aller de l’autre côté de la route, mais ils ne pouvaient pas, à cause des barrières placées pour l’encierro. La mère faisait attention de ne pas se retrouver, avec ses enfants, dans la foule. Elle voulait juste rentrer chez elle. Alors, elle chercha un passage pour traverser. 

 

(La mère étudie avec attention les barrières qu’elle longe avec ses enfants. Elle s’arrête devant une barrière métallique accessible et non surveillée. Elle la soulève pour se frayer un passage, avec ses enfants.) 

 

Elle en trouva un et s’engagea au pire moment… 

 

Dans un ralenti, images d’un taureau blanc qui fonce vers la mère et ses enfants. Des cris. Une poussette qui se renverse, des corps qui tombent et roulent, un galop, du sang qui se répand sur la route…  

 

 

 

Scène 57 – CAMPUS –  EXT/NUIT

 

Pelouse du Campus universitaire. Même lieu que la fin de séquence 55. 

 

 

EUROPE (redressant la tête) 

 

En effet, c’est trop horrible. Un autre taureau, je déciderais sans hésitation de le faire abattre. Mais celui-ci… 

 

(Des larmes se mettent à glisser sur ses joues )

 

 je n’arrive pas à me résigner… 

 

(Le professeur vient refermer sa main sur la sienne, dans un geste de réconfort / Elle essuie son visage). 

 

Ce taureau représente pour moi, une vérité essentielle. Il me communique un message, une destinée, même à travers ses massacres… Sinon, pourquoi cet accident ne s’est pas produit avec un autre taureau ? C’était tout à fait possible, après tout, parce que cette mère, en fin de compte, a été très imprudente. 

 

(Elle se tourne vers le professeur). 

 

Monsieur Germont. Moi, je ne protège pas ce taureau parce que c’est une espèce menacée d’extinction. Je le protège, parce que c’est le taureau d’Europe et, pour cela il est unique. Il est totalement unique au monde… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a quand même des faits qui sont là et que vous ne pouvez pas nier. Votre taureau blanc a des taches de sang. Le taureau d’Europe, que je sache, n’en porte pas. 

 

 

EUROPE (en retirant sa main) 

 

Sauf que maintenant, la situation s’est inversée. Ce n’est plus au mythe de m’expliquer ce qu’est le taureau d’Europe. C’est au taureau d’Europe de m’expliquer ce qu’est le mythe. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Supposons. Vous avez les explications. Vous faites quoi ? 

 

 

EUROPE 

 

Je sais bien que je ne peux rien faire. Je suis seule avec cette histoire. Si seulement quelqu’un d’autre pouvait s’intéresser comme moi, à l’histoire de ce taureau. 

 

(saisie par une idée soudaine, elle se redresse). 

 

Mais si ! Je sais à qui m’adresser ! 

 

(Elle se tourne vers le professeur, le visage soudain rayonnant). 

 

Je crois même que j’ai un début de solution, car lui doit même pouvoir me donner des explications.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Qui ça, « lui » ? 

 

 

EUROPE 

 

Oh, je suis désolée. Je n’ai pas encore eu le temps de vous raconter cette rencontre  étonnante. C’était, il y a quelques jours de cela. Dans ma rue, je vois une magnifique Limousine et me fais aborder par son propriétaire.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, c’est étonnant. Que voulait-il faire ? La marier ?

 

 

EUROPE

 

La marier ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous me parlez d’une vache, non ? 

 

 

EUROPE 

 

Mais non ! 

 

(Elle se laisse emporter par un rire). 

 

C’est de la voiture dont je parle et non pas de la vache !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Comment voulez-vous que je devine ? On parlait de taureau et vous me dites, tout à coup, avoir vu une Limousine. 

 

 

EUROPE 

 

Mais dans ma rue ! Vous voyez une vache dans ma rue !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, c’est vrai que ça paraît étrange. Mais avec ce genre de voiture, on atteint aussi un certain degré dans l’étrangeté. En tout cas, l’essentiel est de vous revoir avec votre joie de vivre.

 

 

EUROPE 

 

Oh, ne croyez pas ça… Ma joie de vivre n’est qu’une façade. Je continue en vérité d’être meurtrie par ce que vous m’avez annoncé. Mais cet homme que j’ai rencontré s’intéressait, lui aussi, au taureau d’Europe. Et figurez-vous qu’il m’a proposé son aide pour retrouver ce taureau. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tiens donc ! Et pourquoi cet homme, s’intéresse-t-il, lui aussi, au taureau d’Europe ? 

 

 

EUROPE 

 

En effet, moi-même je me suis posé ce genre de question. Et à cela je n’ai trouvé qu’une seule explication : il doit être votre rival. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Aïe ! Va-t-il falloir que je l’ensevelisse sous un éboulis de rochers, comme le Titan Encelade que nous avons vu, la dernière fois, au château de Versailles ? 

 

 

EUROPE 

 

Je vous assure que je ne plaisante pas. Cet homme vit dans l’opulence. Il n’est peut-être pas autant  dans l’extrême que ceux de votre famille, dont vous m’avez parlé, mais je devine qu’il tient à garder ses privilèges. Et peut-être même qu’il a eu l’occasion de vous découvrir. Si c’est le cas, il a dû remarquer que le pouvoir que vous représentez n’est pas compatible avec le sien. Peut-être même a-t- il eu connaissance du Projet Taureau Blanc et, dans ce cas, sa véritable intention serait de nuire à votre projet.D’ailleurs, si ça se trouve, cet homme n’est pas du tout étranger aux histoires des massacres provoqués par le taureau. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous le soupçonnez d’être un meurtrier ? Ce n’est pas une petite accusation.

 

 

EUROPE

 

Non, je fais juste des suppositions. Je ne peux pas le soupçonner, car je n’ai pas encore tous les éléments.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Avez-vous l’intention d’avoir ces éléments qui vous manquent ?

 

 

EUROPE 

 

Oui. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous m’épatez. Pour moi le destin de ce taureau était scellé : il allait finir en bifteck dans les assiettes de nos compatriotes anglais. Mais vous êtes prête à déplacer des montagnes pour le retrouver vivant et, le pire, c’est que je finis par vous croire. Vous attendez-vous à ce que je rencontre cet homme à la Limousine ? 

 

 

EUROPE 

 

Oh non, pas du tout. C’est d’ailleurs moi qu’il veut voir.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et cela ne vous inquiète pas ?

 

 

EUROPE 

 

Si. Un peu. Vous pensez que je me mets en danger ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, vous pourriez. Dans ce cas, s’il vous propose un rendez-vous, veillez surtout à ce que celui-ci se fasse dans un lieu extérieur.

 

 

EUROPE 

 

D’accord. Mais s’il me propose de monter dans sa voiture ?

 

 

Instant de réflexion pendant lequel le professeur tourne le regard vers les lumières lointaines de la ville.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je pense que dans une Limousine, vous ne risquez pas grand-chose. Vous imaginez bien que ce genre de véhicule ne passe pas inaperçu. Le problème, c’est s’il s’agit d’une autre voiture. Voulez-vous que je vous trouve un système de sécurité ? 

 

 

EUROPE : Non, ça ira.

 

 

A cet instant, le professeur choisit de s’allonger sur la pelouse.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Faites comme moi.

 

 

EUROPE 

 

Quoi donc ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Allongez-vous… 

 

(EUROPE s’allonge à son tour). 

 

Ici, même en été les nuits peuvent être froides. Nous avons tout intérêt à profiter de la chaleur de ces jours-ci. Vous devriez aussi détacher vos cheveux…

 

 

EUROPE 

 

Pourquoi ça ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous n’êtes pas obligée. C’est juste que j’aimerais vous voir, avec vos cheveux détachés, dans ce clair obscur.

 

 

EUROPE 

 

Et moi, je pourrais vous demander quelque chose par la suite ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Bien sûr. Je ne dispose pas, à moi tout seul, du droit de demander. 

 

 

EUROPE  détache ses cheveux et veille à étaler sa chevelure.

 

 

EUROPE

 

Cela vous convient-il, comme ça ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On dirait que les étoiles sont venues couronner votre tête. Vous êtes tout à fait  ravissante. Votre demande, maintenant ? 

 

 

EUROPE 

 

Oh, vous devez deviner…

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est encore à propos du taureau, j’imagine…

 

 

EUROPE 

 

Oui… sauvez-le…

 


 


 


 
 
posté le 02-11-2014 à 22:59:11

Un IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 3

 

 

 

 

Scène 58 – CHAMBRE APPARTEMENT d'EUROPE –  INT/JOUR

 

Chambre de l’appartement d’EUROPE, le matin. Des rideaux empêchent les rayons du soleil d’éclairer la pièce, mais on devine que c’est déjà le plein jour. La séquence commence avec un plan fixe sur les rideaux, légèrement agités par un filet d’air. Sonorité un peu grésillante d’un radio réveil qui se met en route. 

 

VOIX du SPEAKER 

 

Paul, c’est à vous pour le journal.  

 

 

VOIX de PAUL 

 

Horreur, consternation et stupéfaction à Sangatte. Dans un camp de sans-papiers, une grand-mère et deux adolescents, qui étaient les petits-fils de cette dame, ont été retrouvés morts, ce matin. Les corps des trois victimes, baignant dans une mare de sang, présentent de multiples lésions sur toute la partie du thorax… 

 

Dans un mouvement panoramique, on découvre le lit dans lequel EUROPE peine à sortir de son sommeil. 

 

 

VOIX de PAUL

 

et il semblerait que l’une d’elles, ait même les côtes fracturées. Mais alors qu’on aurait pu croire  avec une certaine évidence, soit à un règlement de compte, soit à un déchaînement de haine raciale de la part d’un groupe extrémiste, c’est vers une toute autre piste et une des plus étranges que nous conduisent les premiers témoignages, recueillis ce matin, par les enquêteurs. Ainsi, d’après ces premiers témoins, la piste ne serait pas celle du meurtre, car l’auteur de ce carnage ne serait pas, tenez-vous bien, un être humain, mais un animal et cet animal serait un taureau échappé du port… 

 

D’un bond, la jeune femme se redresse, les yeux hagards.

 

 

EUROPE 

 

C’est lui !

 

Une voix féminine, la VOIX de MARIE, s’enchaîne à celle de PAUL.

 

 

VOIX de MARIE 

 

Oui, Paul. Les enquêteurs n’en croyaient pas leurs oreilles quand ils ont entendu cette version des témoins les plus directs qui leur ont parlé d’un taureau échappé du port d’embarquement de Calais

 

(EUROPE sort doucement de son lit pour s’asseoir sur le rebord et attraper ses chaussons sans faire le moindre bruit. / On aperçoit le radio-réveil sur une table de nuit, à cet instant-là). 

 

Après avoir quitté le port, le taureau aurait rejoint la réserve naturelle de Sangatte et, pris en chasse par les autorités portuaires – c’est du moins, ce que supposent les témoins – il serait arrivé jusqu’à un campement de sans-papiers et c’est alors là que le drame se serait produit. Bien sûr, aucun des témoins ne parle correctement le français et il a fallu faire venir des interprètes qui ont pu ainsi corroborer les premières déclarations relevées par les enquêteurs. Alors, évidemment, Paul, vous allez me demander si cette hypothèse du taureau tient debout.

 

EUROPE se lève et attrape une robe de chambre légère, posée sur le dossier d’une chaise, près du lit. Elle continue ses gestes lents, attentive aux propos des journalistes. 

 

 

VOIX de PAUL 

 

Tout à fait, Marie.

 

 

VOIX de MARIE

 

Et bien, pour l’heure, les enquêteurs ne peuvent toujours pas se prononcer. Au cours des premiers contacts avec les autorités portuaires, la réponse fut que pratiquement tout le monde dormait, puisque le drame aurait eu lieu entre les quatre et cinq heures du matin. Donc, démenti pour l’instant de ce côté-là. En revanche, du côté des voyageurs, il y aurait, mais je dis bien « il y aurait », d’après la compagnie de ferry, des gens qui auraient vu s’échapper le taureau, seulement voilà, Paul, ces gens entre-temps ont pris le ferry et ils ne sont plus ici pour témoigner.

 

EUROPE se rassoit sur le lit.

 

 

VOIX de PAUL 

 

D’accord Marie. Mais dans ce cas, ne peut-on pas croire pour l’instant que ces gens qui ont parlé d’un taureau, ne font que répéter la version donnée par les sans-papiers et, si c’est le cas, ne doit-on pas se demander si cette version du taureau ne sert pas de prétexte à des gens qui ont simplement peur, ou qui peut-être cherchent à protéger quelqu’un ?

 

 

VOIX de MARIE

 

Évidemment, Paul… 

 

 

D’un geste soudain, EUROPE appuie sur la radio pour l’éteindre. Elle se lève à nouveau, quitte sa chambre. 

 

 

 

Scène 59 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE INT/JOUR

 

Cuisine de l’appartement d’EUROPE. EUROPE entre dans sa cuisine et s’approche de sa cafetière pour se préparer un café. Bruit de la cafetière qui progressivement se confond avec le moteur d’un camion. 

 

 

 

Scène 60 – ZONE PORTUAIRE A CALAIS –  EXT/NUIT

 

Calais. Sur une zone portuaire deux douaniers équipés de lampes de poches, font signe au conducteur d’une bétaillère, de s’arrêter. Le PREMIER DOUANIER s’approche de la vitre du CONDUCTEUR. 

 

 

PREMIER DOUANIER (au conducteur) 

 

Qu’est-ce que vous avez dans votre camion ?

 

 

Le CONDUCTEUR 

 

Un taureau 

 

(Il présente un document).

 

 

PREMIER DOUANIER 

 

Pas de passagers clandestins ?

 

 

Le CONDUCTEUR 

 

Non. Comment voulez-vous ?

 

 

Le SECOND DOUANIER fait le tour de la bétaillère et tente de voir à l’intérieur par les ouvertures, mais sans y arriver. Les deux douaniers se rejoignent. 

 

 

PREMIER DOUANIER (au SECOND) 

 

Alors ?

 

 

SECOND DOUANIER (au PREMIER) 

 

On ne peut pas voir…

 

 

Le PREMIER DOUANIER revient vers le conducteur.

 

 

PREMIER DOUANIER (au conducteur) 

 

Vous allez devoir descendre. Nous allons procéder à une fouille de votre véhicule. 

 

 

Le second DOUANIER pousse les loquets d’une porte transversale. La porte est ouverte d’un coup sec par un coup de cornes du taureau, qui surgit. Le SECOND DOUANIER se retrouve projeté en arrière.

 

 

 

Scène 61 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE  – INT/JOUR

 

Cuisine de l’appartement d’EUROPE (reprise de la séquence 59). Dans une secousse de peur EUROPE a mouvement de recul. Elle passe ses mains sur son visage pour chasser ses mauvaises pensées. Elle prend sa tasse de café dans la machine et sort de sa cuisine. 

 

 

 

Scène 62 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE –  INT/ JOUR

 

Salon / salle à manger de l’appartement d’EUROPE. EUROPE se tient pensive au milieu de la pièce, sa tasse de café à la main. Elle avale avec prudence une gorgée de café.

 

 

 

Scène 63 – CAMP de REFUGIÉS A CALAIS – EXT/NUIT

 

Calais. Camp de réfugiés. Le taureau arrive dans le camp. Sa tête surgit derrière un drap étendu sur un fil à linges, en plan fixe, avec le drap en second plan. En premier plan, des immigrés qui reculent terrorisés. En reculant, ils sortent du champ. Le taureau sort du champ à son tour en allant dans la direction des fuyards. Par un zoom avant, l’image du drap se brouille.

 

 

 

Scène 64 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE  – INT/JOUR

 

Salon / salle à manger d’EUROPE (reprise de la séquence 62). EUROPE pose un regard vague sur le drap qui pend sur le sèche linge disposé dans un coin de la pièce. Par un raccord d’images, le drap du sèche-linge se substitue au drap de la séquence 63. EUROPE détourne la tête. Elle boit une dernière gorgée de son café et pose sa tasse sur une étagère. Soudain pressée, elle se dirige vers la salle de bains. 

 

 

 

Scène 65 – CAMP de REFUGIÉS A CALAIS – INT/NUIT

 

Sous une tente ouverte, une grand-mère et deux adolescents typés étrangers portant des vêtements déchirés et sales, allongés à même le sol, sous des couvertures. Tous trois, soudainement saisis de panique, reculent avec leurs couvertures vers le fond de la tente. Ils se recroquevillent autant qu’ils le peuvent. La menace n’est pas visible si ce n’est à travers l’expression de leurs yeux, grands ouverts par l’effroi. Le plus grand des deux adolescents, un moment, prend l’initiative de se redresser pour attraper la queue d’une casserole. Il avance avec la casserole, arrive en premier plan pour chasser le taureau que l’on ne voit pas encore. Mais il doit vite reculer, car le taureau qui entre dans le champ de la caméra, se jette sur lui. Le corps du taureau occulte tout le champ de la caméra, si bien qu’on ne voit plus rien. Des hurlements. 

 

 

 

Scène 66 – SALLE DE BAIN APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Salle de bains de l’appartement d’EUROPE. EUROPE est appuyée contre le mur, la tête légèrement renversée vers l’arrière. Elle se redresse, passe ses mains sur son visage. Elle se dirige vers la douche et allume le robinet. 

 

 

Scène 67 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/ JOUR

 

Salon / salle à manger d’EUROPE. Sur une table, en premier plan, un portable se met à sonner. EUROPE arrive vers la table. Elle est en peignoir. Une serviette est nouée sur ses cheveux mouillés. Sa main attrape le portable.

 

 

EUROPE

 

Allô ! Oui, c’est moi-même. Ah… Bonjour Monsieur. Vous avez bien eu mon message ? C’est entendu. A ce soir…  

 

 

 

Scène 68 – RUE DEVANT CHEZ EUROPE – EXT/JOUR

 

Rue devant l’immeuble d’EUROPE (Idem séquence 44) à la nuit tombante. La jeune femme sort de chez elle et surveille le bout de sa rue. Arrive la limousine de MONSIEUR CASTILLON. Comme la fois précédente, la vitre arrière se baisse et apparaît la tête de MONSIEUR CASTILLON.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Bonjour Mademoiselle. 

 

(EUROPE répond par un salut à la japonaise. / La porte de la voiture s’ouvre en coulissant et un marchepied se déplie automatiquement. Dans la voiture, un petit salon avec méridienne et table basse ornée d’un chemin de table. Cuir, velours et crinoline habillent l’ensemble. Des tons sombres, oscillant entre brun et noir, à l’exception d’une frise dorée sur la méridienne et des coussins, dorés eux aussi.) 

Installez vous… 

 

 

 

Scène 69 – LIMOUSINE –  INT/JOUR 

 

Limousine de MONSIEUR CASTILLON. EUROPE contourne la table basse, rejoignant la partie de la méridienne que lui indique MONSIEUR CASTILLON. Elle s’assoit seulement en posant un bout de fesse sur la méridienne. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Installez-vous mieux que ça.

 

 (La jeune femme corrige sa position en se reculant /  D’un ton sec au chauffeur VICTOR) 

 

La vitre Victor ! 

 

(Le chauffeur apparaît de dos, derrière une paroi de verre fumé, avec jaquette et casquette). 

 

Mais non Victor ! Vous vous êtes encore trompé ! La troisième de droite ! Pas celle de gauche !

 

EUROPE se retourne et remarque une vitre baissée dans son dos. La vitre remonte. 

 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (à EUROPE)

 

C’est à l’ordinaire un gentil garçon, mais il est épouvantable avec ces vitres. Où voulez-vous qu’on aille dîner ? 

 

 

EUROPE

 

Oh, mais non ! C’est à vous de décider… Je ne me permettrais pas de choisir à la place  de mon hôte.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Avec moi, vous pouvez tout vous permettre. 

 

 

EUROPE 

 

Je vous remercie, mais pour être franche, je ne connais pas assez bien la gastronomie française pour pouvoir conseiller un restaurant.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (au chauffeur) 

 

Allons-y Victor !

 

 

VICTOR (sans se retourner / met le contact) 

 

Où dois-je conduire Monsieur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON  

 

Où vous voulez, pour l’instant. En évitant les mauvais coin, bien sûr. Je ne tiens pas à me faire attaquer.  

 

(Il regarde son invitée et sourit) 

 

Enfin, il ne faut pas vous inquiéter pour ça. La voiture est blindée et hautement sécurisée. 

 

La voiture redémarre.

 

 

EUROPE 

 

Cela ne m’inquiète pas, de toute façon.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

J’imagine que vous devez mieux connaître les grands restaurants de votre pays.

 

 

EUROPE 

 

Oui, à Athènes, il y a un très bon restaurant de poissons et fruits de mer. Et très réputé. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en levant les bras) 

 

Des produits de la mer ! Quelle bonne idée !

 

(Il regarde sa montre).

 

Il ne nous faudrait pas plus de trois heures pour nous retrouver devant nos assiettes.

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Si vous le voulez, je vous y emmène dans mon avion privé.

 

 

EUROPE (éberluée)

 

Aller si loin pour un restaurant. Mais… c’est que je n’y tiens pas forcément…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous avez raison. Trois heures de trajet, c’est quand même beaucoup. 

 

(Il plonge sa main dans le revers de sa veste et en sort un smartphone. Ses doigts tapotent sur les touches.)  

 

En Sardaigne, il ne nous faudrait pas plus d’une heure trente. Il se trouve là un formidable restaurant qui vient de recevoir un arrivage de pêche, il y a à peine quarante cinq minutes de cela. 

 

 

EUROPE (embarrassée) 

 

C’est que… Je ne voudrais en aucun cas contrarier vos souhaits les plus chers et surtout, faites comme vous avez l’habitude de faire, mais en ce qui me concerne, je préfère distinguer les moments des voyages de ceux qui concernent la gastronomie. Et le plus grand confort, pour moi, serait de trouver un bon restaurant à proximité qui me permettrait, en même temps, de goûter à la très bonne cuisine française, qui est une desmeilleures au monde et, quand je parle de proximité, je ne pense pas à la Bretagne, mais à un restaurant de Paris ou de ses proches environs, vous voyez…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (avec un air réfléchi) 

 

Je n’avais pas vu les choses sous cet angle-là… Mais vous avez raison : il est confortable de ne pas trop se déplacer et pourquoi chercher loin, quand le meilleur se trouve à notre porte ?

 

(La jeune femme acquiesce par un sourire.)

 

Gardez-vous toujours l’option produits de la mer ou préférez-vous de la viande ?

 

 

EUROPE

 

Les produits de la mer me conviennent très bien. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Dans ce cas, je connais une adresse à moins de dix kilomètres d’ici. Cela vous convient ?

 

 

EUROPE 

 

Cela est parfait pour moi, mais j’espère que pour vous…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Pour moi aussi, c’est ce qu’il y a de mieux.

 

(Il élève la voix)

 

Victor ! conduisez-nous au restaurant palace « Étoile de la Providence » !

 

 

VICTOR 

 

Bien Monsieur…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en cherchant un numéro sur son smartphone)

 

Permettez un instant, que je réserve.

 

 

Il colle son téléphone à l’oreille.

 

 

 

Scène 70 –  ENTRÉE RESTAURANT – EXT/NUIT

 

Crépuscule. La Limousine s’arrête devant l’escalier en marbre d’un luxueux restaurant au fronton duquel on lit l’inscription : « Étoile de la Providence ». Près des portes du restaurant, deux chasseurs engoncés dans des livrées. Le PREMIER CHASSEUR descend l’escalier avec empressement vers la Limousine. Il attend que coulisse la portière arrière.

 

 

PREMIER CHASSEUR 

 

Bonsoir Monsieur, Madame. Soyez les bienvenus à Étoile de la Providence. 

 

MONSIEUR CASTILLON et EUROPE sortent du véhicule et montent l’escalier en marbre. Il arrivent à hauteur du SECOND CHASSEUR. 

 

 

SECOND CHASSEUR (les mains dans le dos) 

 

Étoile de la Providence est heureux de vous accueillir et souhaite à Madame et à Monsieur, une excellente soirée. 

 

 

Avant de franchir le seuil, EUROPE jette un coup d’œil en arrière. La Limousine s’éloigne et disparaît dans un virage. Au bas de l’escalier, des passants les observent. 

 

 

 

Scène 71 – RESTAURANT –  INT/NUIT

 

Un restaurant spacieux avec plafond haut, hautes fenêtres, corniches décorées, tentures et rideaux de velours, fauteuils Louis-Philippe, boiseries, miroirs de bronze… Un style rococo. La salle qui comprend une cinquantaine de tables, est entièrement vide. EUROPE avance dans la salle en étudiant attentivement les détails du cadre. MONSIEUR CASTILLON, qui est derrière elle, l’invite à se rendre à une table située dans un angle du restaurant. A distance, des cuisiniers, alignés, mains dans le dos et toques sur la tête, assistent à l’arrivée des deux personnages. Un PREMIER SERVEUR arrive avec empressement pour tirer la chaise capitonnée de MONSIEUR CASTILLON et celle de son invitée. Un SECOND SERVEUR aux mains gantées de blanc arrive avec deux flûtes de cristal et un plat de brochettes, sur un plateau d’argent.

 

 

SECOND SERVEUR (en posant délicatement les flûtes)

 

Étoile de la Providence se fait un plaisir d’offrir à Monsieur et à Madame, un verre de  son champagne fait Maison d’un excellent millésime. Avec, pour accompagner, des brochettes d’huîtres, céleri et cèpes. 

 

 

Le SECOND SERVEUR pose le plat des brochettes. Alors que le SECOND SERVEUR s’éloigne, arrivent LE DIRECTEUR de l’établissement et son CHEF CUISINIER. Le DIRECTEUR tend une main à MONSIEUR CASTILLON.

 

 

Le DIRECTEUR de L’ÉTABLISSEMENT (en serrant la main de MONSIEUR CASTILLON)

 

Bonjour Monsieur. Je suis le Directeur de cet établissement. Je me permets de vous présenter Carl, notre excellent chef cuisinier, qui devrait pouvoir vous apporter entière satisfaction. Si jamais vous aviez des exigences particulières au sujet du menu, n’hésitez pas à le faire savoir à notre personnel qui pourra transmettre à notre chef émérite. (Il se tourne vers EUROPE pour une nouvelle poignée de mains). Madame, Etoile de la Providence se voit enchanté de vous accueillir. Mon travail ne me permet malheureusement pas de rester sur place mais sachez qu’il y a toujours quelqu’un à qui vous pouvez réclamer, à tout instant, si vous avez des souhaits particuliers. 

 

Pendant ce temps, MONSIEUR CASTILLON serre la main du Chef cuisinier qui, ensuite, serre la main d’EUROPE. Les deux hommes s’éloignent.  Le chef cuisinier disparaît dans un couloir, suivi de son équipe de cuisiniers. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (à EUROPE) 

 

Vous sentez-vous à l’aise ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, tout à fait. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

S’il vous faut quelque chose, n’hésitez pas. J’aurais grand plaisir, vous savez, à exaucer le moindre de vos vœux.

 

 

EUROPE 

 

Je vous remercie pour cette attention chaleureuse mais, pour l’instant, rien ne me manque. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Alors trinquons.

 

 (Il lève sa flûte et attend que la jeune femme prenne la sienne pour trinquer).

 

Au taureau d’Europe ! 

 

 

EUROPE (avec un accent de sincérité)

 

Oui. Au taureau…

 

 

Ils goûtent au Champagne.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en reposant sa flûte) 

 

Vous savez, j’ai vraiment été très heureux de recevoir votre message ce matin.

 

 

EUROPE (son verre à la main)

 

Vous avez dû croire que je venais de me lever, mais en fin de compte, j’allais me coucher. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (avec un mouvement de sourcils)

 

Tiens donc ! Vous êtes une noctambule. Je ne m’y attendais pas. 

 

 

EUROPE

 

Oh non, pas du tout. C’était pour une raison très exceptionnelle. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Cela vous regarde de toute façon et je n’ai rien contre les noctambules. 

 

 

EUROPE 

 

Cela me regarde ? Pourtant, il me semble que vous vous êtes déjà intéressé à mon insu à certains détails de ma vie privée. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en attrapant une brochette) 

 

Oui, mais cela va de soi puisque vous-mêmes, vous vous êtes intéressée au taureau. 

 

 

EUROPE

 

Mais en quoi cela vous concerne-t-il que je me sois intéressée au taureau ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

En quoi ? Mais c’est parce que j’en suis le propriétaire. 

 

EUROPE (Médusée, en reposant son verre) 

 

Qu’est-ce que vous dites ?

 

Plan d’ensemble, de MONSIEUR CASTILLON et EUROPE, discutant. Les deux serveurs, à distance, surveillent les deux convives. Le PREMIER SERVEUR va vers eux pour les débarrasser. Il est aussitôt suivi du SECOND SERVEUR, qui arrive avec les menus et une clochette de service.

 

 

SECOND SERVEUR 

 

Voici, pour vous Madame, le livret des menus proposés et celui-ci est le vôtre, Monsieur. Ici, la carte des vins et voici également une petite clochette qui vous permettra d’appeler à tout instant

 

(EUROPE remercie avec un sourire).

 

Si vous me permettez un conseil et si Monsieur et Madame sont friands de fruits de mer, je leur recommande, en premier plat, des fraîcheurs d’écrevisses, vierges d’agrumes avec une petite moutarde à l’estragon. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en tenant la carte ouverte devant lui)

 

 Et en ce qui concerne les poissons ?

 

 

SECOND SERVEUR 

 

En ce qui concerne les poissons, je pourrais suggérer à Monsieur des agnolottis aux petits pois et pistes accompagnés d’une crème de brousse et son jaune d’œuf coulant, le tout arrosé d’un jus de viande perlé à la truffe. Pour information, les pistes sont justes poêlés et servis en émulsion, combinés à une soupe de poisson à laquelle sont ajoutés quelques dés d’olives noires, ainsi qu’un peu d’huile d’ail et du persil

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous remercie.

 

 (Le serveur s’incline et s’éloigne. / A EUROPE, occupée à décrypter la carte)

 

Les termes doivent vous paraître un peu trop techniques. S’il vous faut des explications, Carl, le chef  cuisinier, peut même vous les donner directement.

 

 

EUROPE (en reposant le menu) 

 

En effet, mais je préfère encore me laisser surprendre. 

 

(Elle tourne la tête vers les autres tables). 

 

Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’autres convives ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais parce que j’ai réservé…

 

 

EUROPE  (le souffle coupé) 

 

Vous voulez dire que vous avez réservé pour tout le restaurant ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, bien sûr. C’est pour que nous puissions être tranquilles. (Europe tourne la tête dans l’autre sens et remarque les deux serveurs côte à côte, qui les surveillent). Vous avez déjà choisi ? 

 

 

EUROPE 

 

Euh… Oui. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON agite la clochette de service. Le PREMIER SERVEUR arrive avec un carnet à la main. Le serveur note les commandes des convives. Le serveur repart. D’un plan d’ensemble on passe à un plan rapproché. MONSIEUR CASTILLON dans un geste d’étirement, étend son bras de sorte que sa main retombe sur le dossier de la chaise de la jeune femme. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Allons, à présent, parlez-moi un peu de vous. Vous êtes universitaire, je crois…

 

 

EUROPE  

 

J’ai obtenu un contrat d’un an, pour l’instant, pour exercer dans une université française et, si vous voulez vraiment tout savoir, cette nuit je me trouvais dans le Centre de Recherche de cette université, avec le professeur dont je suis l’assistante.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (irrité)

 

Ah… vous fréquentez des personnes de ce milieu ? Des individus qu’on appelle des cerveaux et qui, en vérité, n’utilisent leurs cerveaux que pour ce qu’ils ont envie de voir. Ces gens-là réclament sans arrêt des sommes astronomiques, mais en ce qui concerne leurs travaux de recherche, ils ne veulent en faire qu’à leur tête.

 

 

EUROPE (prudente) 

 

Mais vous ne pensez pas que les découvertes et inventions sont ce qui soutient l’économie de tout un pays ? Du moins, il m’a semblé entendre dire qu’une seule petite invention pouvait faire naître à elle seule, plusieurs centaines, voire même plusieurs milliers d’entreprises…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (vindicatif) 

 

Pas leurs inventions à eux ! Leurs inventions ne rapportent rien ou seulement dans trois cents ans. Ah… Et puis il y a une mouche !

 

 

EUROPE (qui ne comprend pas) 

 

Une mouche ?  

 

(Elle regarde)

 

Où ça ? Je ne vois aucune mouche. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (le regard levé vers un lustre) 

 

Vous ne la voyez pas en ce moment, parce qu’elle est en train de faire le tour de la salle. Mais juste avant, elle est passée tout près du lustre et elle repassera quand elle aura fini son tour. 

 

 

Il secoue la clochette de service.

 

Le PREMIER SERVEUR arrive aussitôt.

 

 

PREMIER SERVEUR  

 

C’est à quel sujet, Monsieur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (irrité) 

 

Il y a une mouche qui se promène dans cette salle. 

 

 

PREMIER SERVEUR (étonné) 

 

Une mouche dans cette salle ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (s’énerve) 

 

Je ne vous raconte pas des histoires ! Et je vous demande séance tenante de m’enlever cette bestiole qui n’a rien à faire ici.

 

 

PREMIER SERVEUR 

 

Nous nous en occupons tout de suite, Monsieur. Normalement, nous faisons attention à ce qu’aucun insecte ne pénètre, mais la mouche a dû entrer en même temps que Monsieur.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (vexé) 

 

Pardon… Je ne vous ai pas très bien entendu…

 

 

PREMIER SERVEUR (confus et hésitant) 

 

Je viens de vous dire… Et bien que cette mouche… a dû entrer au moment où dans nos cuisines, nous avons fait sortir quelques rebuts alimentaires…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en exagérant ostensiblement un effet de soulagement)  

 

Ah, cette fois, j’ai pu vous comprendre. Je pensais vous avoir entendu dire des propos qui m’insultaient.

 

 

PREMIER SERVEUR (rougit et balbutie) 

 

Ce ne serait nullement dans mon intention d’émettre la moindre critique à l’égard de Monsieur. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en tapant du point sur la table) 

 

Alors, qu’est-ce que vous attendez pour partir à la chasse à cette mouche ! 

 

 

PREMIER SERVEUR (en sursautant)  

 

Tout de suite, Monsieur. Je me charge immédiatement d’appeler le service d’hôtellerie.  

 

 

Le PREMIER SERVEUR s’éloigne. L’instant d’après, une équipe de nettoyage vient investir les lieux, armée de balais, plumeaux et chiffons. L’équipe de nettoyage se répartit afin de pouvoir réussir à capturer la mouche. EUROPE retient un rire et se tourne vers MONSIEUR CASTILLON.

 

 

EUROPE 

 

Si vous êtes, comme vous l’avez dit tout à l’heure, le propriétaire du taureau d’Europe, alors c’est que vous devez savoir où cet animal se trouve.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (avec un sourire) 

 

Tout à fait…

 

 

EUROPE (soulagée) 

 

Cela veut donc dire qu’il est encore en vie. Et où est-il ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Cela vous intéresse, on dirait… 

 

 

EUROPE

 

Oui, c’est vrai…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je ne tiens pas à le révéler et je ne tiens pas non plus à ce qu’on essaye de récupérer cet animal à mon insu. 

 

 

EUROPE 

 

Je souhaite seulement connaître l’endroit où il se trouve. Et vous devez déjà savoir qu’avec les machines du Centre de Recherche, il m’est possible d’obtenir la réponse que vous ne voulez pas me donner. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en maugréant) 

 

Voilà à quoi les chercheurs perdent leur temps ! Nous devons nous ruiner à payer des impôts pour ces individus qui sont incapables de s’assurer une autonomie financière, et en plus c’est pour que cet argent soit gaspillé dans des recherches inutiles. (Il soupire). Bien… puisqu’il en est ainsi, je vais vous dire où il se trouve. Cela permettra peut-être quelques économies sur le budget de la recherche. A l’heure actuelle, ce taureau qui vous intéresse tant, a trouvé une protection chez un producteur de cinéma, en Grande-Bretagne. Ce producteur aimerait d’ailleurs pouvoir utiliser ce taureau comme acteur dans un tournage. 

 

 

EUROPE (en se penchant vers MONSIEUR CASTILLON pour parler doucement)  

 

Je voudrais encore savoir une chose. Était-ce ce même taureau qui s’était échappé à Sangatte et qui a tué des immigrés ? Vous avez dû entendre les informations, comme moi. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

D’abord ce n’était pas des immigrés mais des sans-papiers. Ensuite, je n’ai pas le droit de vous dire que l’endroit coïncide avec le lieu où nous avons récupéré le taureau, mais maintenant vous le savez quand même et donc, vous devez continuer à faire comme si vous ne le saviez pas. 

 

 

EUROPE 

 

Des innocents sont morts, Monsieur Castillon. Appelez-les comme vous voulez, c’était des malheureux, de toute façon, et une tragédie supplémentaire s’est ajoutée à la tragédie de leur vie. Et celui qui les a tué, c’est votre taureau. Il a tué des innocents, comme il l’a fait auparavant, en Espagne et au Portugal. Votre taureau tue à chaque fois qu’il change de pays. Et si vous n’intervenez pas le plus rapidement possible, il va continuer et c’est vous, Monsieur Castillon, qui allez finir par devenir le principal responsable de ces massacres… Vous ne pouvez pas l’ignorer…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Eh… Mademoiselle Spartanikès, je vous en prie, laissez-moi au moins m’expliquer avant de m’accabler. Déjà, qui vous dit que je n’interviens pas ? Et qui vous dit que cela dépend seulement de moi ?

 

 

EUROPE

 

Mais si vous êtes le propriétaire…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, seulement, je ne vous ai pas encore tout raconté…

 

 

EUROPE

 

Qu’avez-vous donc à me raconter ? La première fois où nous nous sommes parlés, vous m’avez assuré qu’il n’y avait pas de rapport, jusque-là, entre vous et la légende d’Europe.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui, c’est exact. A ce détail près que je connais la signification légendaire de ce taureau. Et si j’ai décidé un jour, de l’acheter, c’est pour ça. Seulement voilà, tous les papiers n’étaient pas en règle et il fallait lui faire traverser la frontière espagnole. Alors, j’ai renoncé à l’expatriation de cet animal et j’ai fini par le confier à un pauvre type du coin. Et quand je dis « confier », disons que je le lui avais pratiquement donné car je ne m’en occupais plus du tout. Du coup, il lui a même fait refaire des papiers…

 

 

EUROPE 

 

Cela veut-il dire que vous n’êtes plus vraiment le propriétaire de ce taureau ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Bien sûr que non ! Je suis le seul à avoir des papiers authentiques. Et c’est moi seul qui ai déboursé !

 

 

EUROPE

 

Mais alors, pourquoi y avoir renoncé aussi rapidement ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

C’est une longue histoire…

 

 

La conversation est interrompue par la venue du PREMIER SERVEUR, qui vient vers MONSIEUR CASTILLON en présentant un chiffon ouvert.

 

 

PREMIER SERVEUR 

 

Je tenais à informer Monsieur de Castillon, que nous avons réussi à avoir la mouche.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (agacé) 

 

Je ne m’appelle pas « de Castillon », mais « Castillon » tout court, sans la particule !

 

 

PREMIER SERVEUR 

 

Je vous prie de m’excuser pour cette maladresse du langage, Monsieur… Castillon. Quant à la fautive, la voilà…  

 

 

Le serveur présente dans le creux d’un torchon les restes d’une mouche écrasée.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (avec dégoût) 

 

Oui, oui, ça suffit… Alors, ôtez de ma vue cette horreur et veillez, la prochaine fois, à ne pas écorcher mon nom. 

 

 

PREMIER SERVEUR (en s’éloignant) 

 

C’est entendu, Monsieur…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (à EUROPE)

 

Où en étions-nous ? 

 

(Il se souvient) 

 

Oui, ce taureau que j’avais abandonné à la frontière…

 

 

EUROPE

 

Que vous avez voulu acquérir, puis abandonner, puis récupérer… c’est bien ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, c’est bien ça. Mais commençons par le commencement si vous le voulez bien. Comme vous avez pu le constater, je suis à la tête d’une fortune considérable et ce qui m’intéresse dans l’argent, ce n’est pas l’argent lui-même, mais le pouvoir qu’il m’assure. Je sais que ma philosophie ne plaît pas forcément, mais il est un fait que l’argent représente pour moi, le plus parfait et le plus absolu des pouvoirs. Évidemment, ce ne sont pas des idées très démocratiques, mais c’est l’entière vérité et ni vous, ni moi n’y pouvons quelque chose. Il existe cependant une petite astuce pour permettre au pouvoir de l’argent d’acquérir la toute-puissance du pouvoir absolu et évidemment, celui qui passe à côté de cette astuce, reste vulnérable, même s’il est le détenteur d’une des plus grosses fortunes du monde.

 

 

EUROPE

 

Et quelle est cette astuce ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Le pouvoir de la magie.

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est le seul pouvoir que ne permet pas directement l’argent.

 

 

EUROPE 

 

Vous voulez dire qu’en combinant les potentialités surnaturelles du pouvoir de la magie aux apports matérialistes que permet ordinairement l’argent, vous obtenez ainsi un pouvoir absolu ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, c’est à peu près ça, sauf que je vous ai bien précisé auparavant que c’est l’argent qui me permet d’acquérir cette magie.

 

 

EUROPE 

 

Et de quelle façon ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

De quelle façon ? Mais de la façon la plus évidente qui soit ! En me faisant le plus grand collectionneur au monde de talismans.

 

 

EUROPE 

 

Et les talismans que vous avez collectionnés jusque-là vous ont conforté dans vos convictions du départ ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (irrité de se justifier) 

 

Ils ne m’ont pas conforté, ils m’ont permis d’aboutir.

 

 

EUROPE 

 

Vous voulez dire que vous détenez ce pouvoir absolu ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, même si cette idée vous dérange, Mademoiselle.

 

 

EUROPE 

 

Oh non, ce n’est pas qu’elle me dérange…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Sachez alors, qu’il m’a fallu parcourir le monde entier pour partir à l’acquisition des plus précieux talismans existants actuellement, soit un ensemble de vingt et un modèles, qui viennent du Sénégal, de la côte d’Ivoire, de la Patagonie, de l’Inde ou encore du Tibet… Mais ce sont vingt et un modèles que j’ai gardés sur un total de plus de cent acquisitions. J’ai commencé par tous les expérimenter : les talismans qui n’ont révélé aucune efficacité ont été abandonnés et les autres continuent de faire partie de ma collection.

 

 

EUROPE

 

Et le taureau d’Europe, fait-il partie de vos vingt et un talismans ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

    Non, mais je tiens fermement à ce qu’il devienne la vingt deuxième pièce.

 

 

EUROPE 

 

Parce que vous avez commencé par l’abandonner en le croyant inefficace.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, tout à fait. En voyant que ce taureau me posait des problèmes dès le franchissement de la frontière, je me suis dit que cet animal ne valait rien et c’est pour ça que j’ai décidé de l’abandonner sur place. Mais en fait, c’était une grave erreur.

 

 

EUROPE 

 

Et comment avez-vous compris votre erreur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Quand le taureau a commencé à faire ses premières victimes. J’ai tout de suite compris qu’il y avait là quelque chose hors du commun. 

 

 

EUROPE 

 

  Et mon rôle dans tout ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous êtes la vraie Europe, je vous l’ai dit.

 

 

EUROPE 

 

Ce qui signifie ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous devez déjà comprendre. Je suis quelqu’un de disponible. J’ai été marié deux fois. Ma première femme était une Américaine et la seconde, une Tahitienne. Mais dans les deux cas, ce fut un échec. J’ai dû divorcer. Maintenant, je suis seul. Les femmes que je rencontre lors des soirées entre amis ne m’intéressent pas. Elles sont toutes ordinaires et souvent vulgaires. Ce qui me manque, c’est une vraie compagne, intelligente, étonnante et ravissante, comme vous l’êtes. Une confidente, en somme.

 

 

EUROPE 

 

Je veux bien croire, Monsieur Castillon, que je peux être un excellent compromis entre votre première femme Américaine et l’autre, Tahitienne, mais quel rapport avec le taureau ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous l’offrirai en plus du reste, si vous acceptez d’être la femme de ma vie. Et alors, on n’aura plus rien à craindre de cet animal. 

 

 

EUROPE  

 

Ce qui signifie, n’est-ce pas, que vous disposez vous-mêmes du pouvoir d’empêcher cet animal de nuire à tout instant. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non. Il me reste quand même quelques limites infrangibles. Je n’ai pas le pouvoir de ressusciter les morts, ni de me rendre invisible ou immortel et ni même de vous imposer de m’aimer.

 

 

EUROPE (en posant sa main sur celle de MONSIEUR CASTILLON) 

 

Je vous en prie. S’il est vrai que vous ressentez quelque chose pour moi, alors je vous demande et même vous conjure de ne pas laisser ce taureau faire de nouvelles victimes. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Quelle drôle d’entêtée vous êtes, ma parole ! M’entendez-vous, si je vous dis qu’à présent le sort des prochaines victimes dépend uniquement de vous ? Pourquoi, d’après vous, me suis-je dépêché de vous rencontrer, si ce n’était pour éviter une nouvelle tragédie ?

 

 

EUROPE (en retirant sa main)  

 

Je ne vois pas comment c’est possible. Votre proposition ressemble surtout à un chantage et cela suffit pour que je n’accepte pas.  De plus, je dois vous avouer que j’ai bien du mal à adhérer à votre théorie du pouvoir absolu. Que ces talismans aient certaines petites efficacités dans un domaine ou un autre, ça se peut… Mais un pouvoir absolu…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en regardant la jeune femme dans les yeux) 

 

Oui, je vous comprends et je ne vous en veux pas. Auquel cas, ce que je vous propose est de me lancer un défi.

 

 

EUROPE 

 

Quelle sorte de défi ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

N’importe lequel. Un défi qui vous montrerait que mes talismans n’ont pas seulement de petites efficacités comme vous le pensez.. 

 

 

EUROPE (en détournant la tête) 

 

Êtes-vous sûr de ne pas me prendre pour naïve ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Qu’imaginez-vous ?

 

 

EUROPE 

 

Si je devais me fier aux premiers élans de mon cœur, je vous demanderais évidemment certains gestes de compassion, comme par exemple, héberger, nourrir et soigner ceux qui vivent dans la rue. Mais pour vous, il suffit simplement de débloquer de grosses sommes qui permettront de produire juste le moment nécessaire, le spectacle attendu. Et bien sûr, pour vous remercier, je n’aurai plus d’autres choix que celui de vous épouser. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous considère intelligente, comme je viens d’ailleurs de vous le dire. Et je ne cherche pas à vous piéger. Si ce genre de défi ne vous convient pas, alors optez pour des défis d’un autre genre.

 

 

EUROPE 

 

Vraiment ? Vous m’autorisez à n’importe quel défi absurde ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, si vous y tenez.

 

 

EUROPE

 

Bien, dans ce cas, je crois avoir une idée. Dans quelques jours une équipe de rugbymen doit quitter Dublin pour se rendre à Saint-Pétersbourg. J’ai entendu ça aux informations. Alors, mon défi serait que leur avion, à mi-trajet, effectue un demi-tour et retourne sur sa base de départ. Pourrez-vous réaliser ce défi ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, cela me paraît possible. Je sais ce que vous pensez. Vous devez vous dire que trop d’argent me fait perdre la raison. Mais j’accepte votre défi, puisque c’est ce qui me donnera la possibilité de vous prouver que je suis quelqu’un de sincère et de saint d’esprit. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON s’interrompt car un sommelier vient vers lui. Le sommelier présente une bouteille de vin. MONSIEUR CASTILLON lit l’étiquette et répond d’un signe affirmatif de la tête. Le sommelier débouche la bouteille et fait goûter le vin à MONSIEUR CASTILLON qui répond par un nouveau signe affirmatif de la tête. Le sommelier sert EUROPE. Arrivent les deux serveurs, qui apportent les plats. Le PREMIER SERVEUR pose la première assiette devant EUROPE qui a choisi le plat aux écrevisses qui lui avait été précédemment recommandé. (Plan d’ensemble où le son est coupé, ou juste murmures inaudibles).  En plan rapproché, visage d’EUROPE qui fait part de son ravissement.

 

 

EUROPE  (en regardant le dressage de son assiette)

 

Magnifique ! C’est un vrai chef d’œuvre !

 

 

Le SECOND SERVEUR arrive tandis que le PREMIER SERVEUR s’éloigne et pose la seconde assiette devant MONSIEUR CASTILLON. EUROPE fixe son regard sur le dressage de l’assiette de MONSIEUR CASTILLON, aux ingrédients méconnaissables et au milieu de laquelle l’émulsion ressemble à un crachat. 

 

 

 

Scène 72 – CUISINES RESTAURANT – INT/NUIT

 

Cuisines du restaurant Étoile de la Providence. Sur une table, l’assiette de MONSIEUR CASTILLON. Les cuisiniers, à tour de rôle, se penchent sur l’assiette et crachent au milieu du plat. 

 

 

 

Scène 73 – RESTAURANT – INT/NUIT

 

Salle de Restaurant Étoile de la Providence. La séquence 73 prolonge la fin de la séquence 71. Par un raccord d’images, le dressage de la séquence 73 se superpose à celui de la séquence précédente. En plan rapproché, visage d’EUROPE qui tente de dissimuler une envie de rire soudaine et incontrôlable. 

 

 


 
 
posté le 02-11-2014 à 23:27:38

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 4

 

 

 

 

Scène 74 – PARIS QUARTIER LATIN –  EXT/JOUR

 

Paris. Quartier Latin. Vitrine de boutique de livres anciens, dont certains livres avec enluminures posés sur des lutrins. Dans le reflet de la vitrine, silhouette d’EUROPE. EUROPE vue de dos, devant la vitrine, dans un plan d’ensemble. Elle poursuit son chemin et se dirige vers la terrasse d’une brasserie dont la façade, peinte en vert, avec une marquise et une enseigne en fer forgé, présente un charme stylé de l’ancien temps. Elle traverse la terrasse et entre dans la brasserie.

 

 

 

Scène 75 – BRASSERIE QUARTIER LATIN – INT/JOUR

 

Une brasserie aménagée avec style. Un parquet, des poutres apparentes… Sur les murs des posters de la Belle Époque et des niches aménagées en bibliothèque, contenant des ouvrages reliés. Léger brouhaha dans la salle, principalement occupée par des étudiants. EUROPE choisit une place sur une banquette. Une fois installée, elle reste un moment attentive à la présence de ses voisins de table : quatre étudiants, d’un côté, qui parlent de leurs études et, en face, une femme d’un style un peu bohème, seule également. Elle remarque, contre le mur, la niche avec les livres. Elle saisit un livre au hasard, mais ne trouve pas le temps d’ouvrir la page.

 

 

VOIX du GARÇON de CAFÉ

 

Et pour Madame, ça sera ?

 

EUROPE redresse la tête et remarque le GARÇON de CAFÉ.

 

 

EUROPE

 

Un café, s’il vous plaît.

 

Le garçon s’en va. Elle ouvre le livre, jette un œil sur la couverture, lit : « Traité de psychanalyse ». Elle feuillette des pages, s’arrête sur un chapitre pour le lire. Le GARÇON de CAFÉ pose le café sur la table. Elle reste plongée dans sa lecture.

 

 

 

Scène 76 – PARIS QUARTIER LATIN –  EXT/JOUR

 

Paris. Une rue du Quartier Latin. EUROPE marche dans la rue en direction d’une station de métro. Elle s’arrête devant un groupe de jeunes mendiants et leurs chiens pour leur laisser une pièce. Elle continue son chemin, descend l’escalier de la station de métro.

 

 

 

Scène 77 – COULOIR CENTRE RECHERCHE – INT/NOIR

 

Couloir éclairé par des néons qui mène au Centre de Recherche (idem séquence 37). EUROPE glisse une carte magnétique dans le boîtier de la porte en fer. La porte en fer coulisse. Elle avance jusqu’à l’autre porte, à double battants en bois. Elle tape un code sur le digicode. La porte s’ouvre avec un bruit de déclic.

 

 

 

Scène 78 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. Dans l’espace de l’entrée, PIERRE GERMONT et MAXENCE miment une scène de corrida. Debout au milieu, un pied en avant, PIERRE GERMONT tient dans une main un paquet de copies disposées en éventail et, bras tendu, il secoue l’ensemble à ras le sol, comme une cape de corrida. Face à lui, MAXENCE se tient dans le rôle du taureau, courbé vers l’avant, avec, pour faire les cornes, deux crayons positionnées à l’horizontal contre sa tête. PIERRE GERMONT tourne brièvement la tête et remarque la présence de son assistante.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tiens bonjour. 

 

 

EUROPE

 

Bonjour. Je crois bien que j’ai oublié mon appareil photo, aujourd’hui. 

 

 

Le professeur continue de surveiller « son taureau ». MAXENCE poursuit son rôle avec application et se met à gratter le sol d’une chaussure. EUROPE se laisse emporter par un rire. MAXENCE, crayons en avant, fonce vers la cape en papier qui virevolte. Des « olé » se mettent à retentir, suivis de rires. PIERRE GERMONT rassemble ses copies et MAXENCE abaisse ses crayons. Le professeur rejoint son assistante.

 

 

EUROPE 

 

Si vos étudiants savaient ça…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Parlez-moi plutôt de votre soirée. 

 

 

EUROPE

 

Et bien, en ce qui concerne le restaurant, c’est plutôt avec un dictionnaire de français qu’il aurait fallu y aller. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

La cuisine ne vous a pas plu ? 

 

 

EUROPE 

 

Oh si… bien au contraire. Le seul problème, c’est que je ne sais pratiquement pas quels ingrédients j’ai pu manger.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Votre dictionnaire ne vous aurait pas beaucoup aidée. C’est de toute façon une terminologie qui appartient à la seule nomenklatura des chefs de cuisine. 

 

 

EUROPE 

 

Il m’a dit où se trouve le taureau.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Il est en Angleterre, chez un  producteur de cinéma. 

 

 

EUROPE

 

Vous le savez déjà ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il fallait bien que j’envoie un courrier pour avertir cette personne du danger qu’il court avec cet animal.

 

 

Le professeur s’éloigne pour récupérer, quelques bureaux plus loin, d’autres paquets de copies, placés dans des enveloppes. EUROPE le rejoint.

 

 

EUROPE 

 

Alors, permettez-moi de vous dire que si vous ne vous occupez pas de ce taureau plus directement, la situation risque de devenir compliquée pour moi.

 

 

PIERRE GERMONT (interrompt son geste et se retourne) 

Il vous a fait des avances ?

 

 

EUROPE 

 

Oui.

 

Une moue pensive vient figer le visage du professeur.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je n’en ai plus pour longtemps avec mes affaires. Vous me raconterez ça une fois que nous serons seul à seul. 

 

 

 

Scène 79 – COULOIRS BÂTIMENT PRINCIPAL AVEC ASCENSEUR  – INT/JOUR

 

PIERRE GERMONT et son assistante marchent d’un pas décidé dans les couloirs de l’université. Le professeur a un bras encombré de dossiers. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Que s’est-il passé ?

 

 

EUROPE 

 

Ce n’est pas compliqué. Il veut m’épouser. Il se dit propriétaire du taureau et me fait un chantage.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et bien sûr, avec la fortune dont il dispose, il s’estime au-dessus des lois. 

 

 

EUROPE 

 

Il ne m’a pas parlé de ça. Il a prétendu que son taureau agissait à la manière d’un talisman et que la principale personne responsable, ce serait désormais moi, si je refusais, et non pas lui…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous ne voyez pas qu’il vous a raconté ça pour noyer le poisson ?

 

 

EUROPE 

 

Mais je vous ai pas dit que je l’avais cru.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Mais peut-être avez-vous besoin de temps pour réfléchir à sa demande.

 

 

EUROPE  

 

Oh, vous savez déjà qu’il ne m’intéresse pas. Nous n’avons rien de compatible. Ce serait vraiment céder à la facilité. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, je sais bien. Mais vous êtes libre, malgré tout

 

(Ils arrivent devant les portes d’un ascenseur, échangent un regard complice, puis un sourire. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Le professeur indique d’un geste).

 

Après vous.

 

EUROPE s’introduit la première dans la cabine. En la rejoignant, le professeur glisse son bras libre autour de sa taille. 

 

 

 

Scène 80 – ASCENSEUR – INT/NOIR

 

Cabine d’ascenseur.

 

 

PIERRE GERMONT (en appuyant sur le bouton du rez-de-chaussée) 

 

Ce n’est pas avec le taureau que la confrontation doit se faire. C’est avec l’homme. 

 

 

EUROPE 

 

Le problème, c’est qu’il vous détestera au premier regard. Et plus encore, si vous dites qui vous êtes.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Normal. C’est un jaloux.

 

 

EUROPE

 

Parce que je vous préfère à lui ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a ça, mais pas seulement. Ces gens-là, généralement, sont jaloux du talent des autres et, plus particulièrement, ils n’aiment pas les créateurs et tout ce que représente le fait de créer. Créer, c’est faire comme Dieu. On peut y voir un pouvoir  quasi-divin, qui est en contradiction avec le pouvoir que permet l’argent.  

 

L’ascenseur arrive dans un léger hoquet. Tous deux quittent la cabine.

 

 

 

Scène 81 – HALL BÂTIMENT PRINCIPAL – INT/JOUR

 

Couloirs du rez-de-chaussée. PIERRE GERMONT et son assistante avancent côte à côte, en direction des portes de sortie.

 

EUROPE

 

Mais il prétend que vos inventions ne sont pas rentables et que vous ne savez pas être autonomes.

 

 

PIERRE GERMONT   

 

Évidemment. Il cherche à nous prendre en défaut. D’après vous, pourquoi oblige-t-on des inventeurs à débourser des millions pour faire breveter leurs inventions ?

 

 

EUROPE 

 

Je m’en doute. Pour que les brevets soient achetés par de riches financiers, comme ça, l’invention n’appartient plus à ceux qui inventent mais à ceux qui ont de l’argent. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous avez deviné. De cette façon, on peut penser que l’argent permet tout, mais en fait, à la base, on a glissé dans notre constitution, des lois qui permettent aux voleurs de voler. 

 

 

EUROPE (pensive) 

 

Vous devez avoir raison. Cet homme semble obnubilé par des idées de pouvoir. Et pour que sa fortune lui assure un pouvoir absolu, il a décidé de se faire le plus grand collectionneur de talismans au monde.

 

 

PIERRE GERMONT (en haussant les épaules et en levant les yeux)

 

Et voilà où mène la fortune ! 

 

(Ils arrivent devant les portes vitrées de la sortie. PIERRE GERMONT pousse une porte et se met de côté pour laisser passer son assistante). 

 

La folie des grandeurs n’est pas qu’une vue de l’esprit. C’est vraiment une folie. 

 

Il sort à son tour. 

 

 

 

Scène 82 –  CAMPUS – EXT/JOUR

 

PIERRE GERMONT et son assistante marchent sur une allée du campus en direction du bâtiment de Linguistique.

 

 

EUROPE

 

Il y a quand même une chose que je ne comprends pas. C’est ce taureau. Pourquoi est-ce à chaque fois la même tragédie qui se produit ? 

 

PIERRE GERMONT 

 

Parce que ces massacres sont la seule manière que ce taureau a trouvé pour communiquer sa spécificité symbolique. C’est la grande énigme des lois du langage.

 

 

EUROPE

 

Oui, mais alors, que veut-il communiquer au juste ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ce taureau, ne vous parle-t-il donc pas ?

 

 

EUROPE (avec un sourire) 

 

Si ce taureau pouvait parler, je pense que ça serait plus facile. 

 

(Elle jette un regard vague vers le bâtiment d’en face). 

 

Oui, bien sûr, ce n’est pas n’importe quel taureau. C’est le taureau d’Europe.

 

(Elle reste un instant pensive avant de poursuivre).

 

Je voudrais savoir une chose, Monsieur Germont. Une fois, vous m’avez tenu un discours très intéressant sur le langage, qui disait que les événements ont une influence sur les mots. Mais qu’en est-il alors, au sujet des mots qui se créent ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

A quel mot pensez-vous ?

 

 

EUROPE 

 

A celui d’Europe, bien sûr.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous voulez savoir ce qui a rendu ce prénom célèbre ?

 

 

EUROPE

 

Oui, je m’interroge à ce sujet. Est-il possible qu’à l’origine ce soit juste une passion amoureuse ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui, c’est possible et c’est même très probable. 

 

Ils atteignent les portes du bâtiment et entrent à l’intérieur.

 

 

 

Scène 83 – HALL BÄTIMENT de LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. EUROPE et le professeur traversent le hall en direction de l’ascenseur. 

 

 

EUROPE 

 

Il a déjà existé de très belles passions amoureuses, qui n’ont pourtant pas laissé autant de traces dans le langage. Pourquoi est-ce différent avec cet amour-là ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Parce que ce sont les amours de Jupiter. Où voulez-vous en venir ?

 

 

EUROPE

 

Oh… simplement, je me disais que ce taureau était peut-être l’expression d’un inconscient. Tout à l’heure, j’ai parcouru un livre très intéressant sur le sujet. Un traité de la psychanalyse.

 

Ils arrivent devant l’ascenseur. PIERRE GERMONT appuie sur le bouton. Les portes s’ouvrent.

 

 

PIERRE GERMONT (en faisant signe à EUROPE d’entrer) 

 

Poursuivez…

 

La jeune femme entre dans l’ascenseur suivi du professeur qui vient se placer juste en face d’elle. Les portes se referment.

 

 

 

Scène 84 – ASCENSEUR – INT/NOIR

 

Cabine d’ascenseur. PIERRE GERMONT se trouve face à son assistante, dans une proximité troublante. De sa main disponible, il appuie sur le bouton.

 

 

EUROPE (troublée, baisse les yeux) 

 

Et bien, vous avez déjà dû entendre comme moi, ces discours qui vous expliquent ce qui peut se produire quand des désirs et des pulsions sexuelles sont refoulés.  

 

 

PIERRE GERMONT

 

Que disent ces discours ?

 

 

EUROPE 

 

Et bien que le refoulement peut aller jusqu’à la pulsion de mort.

 

L’ascenseur arrive à l’étage, mais PIERRE GERMONT ne réagit pas, bloquant en même temps son assistante, au moment où s’ouvrent les portes. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

  Quel refoulement ?

 

 

EUROPE (en le regardant) 

 

Un refoulement provoqué par des interdits. On ne sort pas ?

 

 

PIERRE GERMONT (avec un sourire) 

 

Vous n’avez pas fini vos explications. Quels interdits ? 

 

Les portes se referment.

 

 

EUROPE (troublée) 

 

Oh, mais vous savez bien. Vous m’en avez déjà parlé. Nous ne sommes pas libres l’un, l’autre… Et si nous restons là, la lumière va s’éteindre.

 

 

PIERRE GERMONT (souriant)

 

Et bien qu’elle s’éteigne.

 

EUROPE regarde son interlocuteur dans les yeux avec une soudaine intensité du regard. La lumière s’éteint. PIERRE GERMONT prend son assistante par la taille avec sa main libre, la presse contre lui et l’embrasse sur les lèvres. Il ouvre la porte de l’ascenseur. La lumière revient. EUROPE, sous le coup de l’émotion, ne réagit pas. 

 

 

 

Scène 85 – COULOIR BÂTIMENT LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Couloir à l’étage du bâtiment de linguistique. PIERRE GERMONT retient la porte de l’ascenseur pour permettre à son assistante de sortir. Elle quitte l’ascenseur. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Malheureusement, ce sera le seul que vous allez recevoir de ma part. 

 

(Il prend une clef et se dirige vers la porte de son bureau, suivi de son assistante).

 

Je vais m’absenter. Je ne serai pas là pendant trois semaines

 

(Il ouvre la porte et se retourne). 

 

J’ai une famille, vous le savez. Je pars en vacances.

 

 

EUROPE (en le regardant dans les yeux) 

 

Vous avez bien fait de m’embrasser. Ce baiser rendra moins insupportables vos trois semaines d’absence. 

 

 

 

Scène 86 – BALCON APPARTEMENT EUROPE – EXT/JOUR

 

Balcon de l’appartement d’EUROPE. Appuyée sur la rambarde, EUROPE observe le paysage de sa rue, pensive. Elle décide de rentrer.

 

 

 

Scène 87 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/ JOUR

 

Salon/salle à manger de l’appartement d’EUROPE. EUROPE referme la porte de son balcon. Son regard oblique vers les cartons du déménagement placés près de la fenêtre. Elle plonge la main dans le carton du dessus, en retire le vase (cartons présentés dans la séquence 25). Le vase en main, elle cherche dans la maison une place pour l’installer. Elle le pose sur un meuble. Elle revient vers les cartons. Elle déplace le carton du dessus et ouvre le carton du dessous. Elle se penche pour attraper un poste de télé à écran plat et le dégager de son emballage. Elle prend le poste de télé et le place sur un meuble bas. Elle s’occupe des branchements. Elle récupère la télécommande dans le carton, se place devant l’écran, appuie sur le bouton. L’image apparaît : il s’agit de publicités. Elle pose la télécommande sur la table basse, près du poste et s’en va vers sa cuisine.

 

 

 

Scène 88 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Cuisine appartement d’EUROPE. La jeune femme prend dans un placard une casserole et la pose sur une gazinière. Elle sort un récipient contenant une viande. Avec une fourchette, elle pique la viande et la met dans sa casserole. Elle va vers son frigidaire, l’ouvre et sort des carottes. 

 

 

 

Scène 89 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE –  INT/JOUR

 

Salon/salle à manger. Écran de télévision. L’image est celle d’un PRÉSENTATEUR de journal télévisé. 

 

 

PRÉSENTATEUR  

 

Incendie meurtrier cet après-midi, dans un studio de cinéma en Angleterre, à Blackburn, dans le Lancashire. Le responsable serait, d’après les premiers résultats de l’enquête, un taureau utilisé pour les besoins de la production. 

 

 

 

Scène 90 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE INT/JOUR

 

Cuisine appartement EUROPE. EUROPE, en train de couper ses carottes, redresse la tête et se fige. 

VOIX du PRÉSENTATEUR 

 

L’animal aurait, paraît-il, agi avec une agressivité soudaine contre un miroir réflecteur, où il aurait cru voir un autre taureau. Il aurait ainsi renversé des projecteurs et provoqué l’incendie.

 

EUROPE laisse son couteau et sort de sa cuisine.

 

 

VOIX du PRÉSENTATEUR

 

Mais tout de suite, laissons la parole à Valérie, notre correspondante. 

 

 

 

Scène 91 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Salon/salle à manger. Écran de télévision. Images montrant une vue aérienne de la ville de Blackburn avec un nuage d’incendie (EXT/JOUR). Puis des badauds devant un hangar de cinéma en feu.(EXT/JOUR). Images de l’intérieur du hangar où tout est calciné. (INT/JOUR).  

 

 

VALÉRIE  

 

Les flammes atteignant les décors qui étaient composés de matières extrêmement inflammables, se sont propagées très rapidement dans tout le hangar. Paniqués, les gens du plateau, installés sur des échafaudages, ont cherché à fuir, mais se sont retrouvés bloqués à l’intérieur, à cause du taureau, resté sur la piste. Mais un danger a remplacé l’autre, car les vapeurs toxiques, très dangereuses dans la chaleur de la fournaise, représentaient un piège redoutable. Arrivés très rapidement sur les lieux, les pompiers n’ont toutefois pas pu réanimer deux jeunes femmes, deux figurantes présentes ce jour- là…

 

 

EUROPE prend la télécommande et, d’un geste nerveux,  change de chaîne. Nouvelle image, présentant une équipe de rugbymen. L’image est commentée.

 

 

COMMENTATEUR

 

Les joueurs de l’équipe de Rugby de Dublin, mécontents. A mi-chemin, leur avion qui devait les conduire à Saint-Pétersbourg, a dû faire demi-tour. 

 

 

EUROPE appuie à nouveau sur la télécommande, cette fois, pour éteindre la télévision. Elle demeure abasourdie sur place. Elle décide finalement de prendre son téléphone. Elle compose un numéro et approche le téléphone de son oreille. 

 

 

EUROPE (d’une voix monocorde)  

 

Allô. Bonjour. Je cherche à joindre Monsieur Castillon, s’il vous plaît.  

 

 

 

Scène 92 – SALLE DE BAIN APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Salle de bains de l’appartement d’EUROPE. EUROPE, devant la glace, se coiffe. Elle pose sa brosse, prend un tube de rouge à lèvres et se met du rouge sur les lèvres. Bruit de la sonnette de l’entrée.

 

 

 

Scène 93 – ENTRÉE APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Entrée de l’appartement d’EUROPE. EUROPE arrive devant la porte d’entrée et ouvre. Derrière la porte, un CHAUFFEUR de TAXI avec une casquette.

 

 

CHAUFFEUR de TAXI 

 

Bonjour Madame. Vous êtes bien Madame Spartanikès ?

 

 

EUROPE

 

Oui, c’est moi-même.

 

 

CHAUFFEUR de TAXI

 

Je suis chauffeur de taxi. Je suis venu vous chercher de la part de Monsieur Castillon. Monsieur Castillon ne peut pas venir vous prendre devant chez vous, parce qu’il revient juste de ses vacances aux Baléares. Il m’a donc chargé de vous conduire à son aérodrome privé. 

 

 

EUROPE 

 

Je reviens tout de suite.

 

La jeune femme revient vers son salon/salle à manger en laissant la porte d’entrée grande ouverte. 

 

 

 

Scène 94 – TAXI – INT/JOUR

 

Taxi. EUROPE, installée à l’arrière du véhicule, scrute le paysage par la vitre avant du taxi. Le taxi s’engage dans une rue qui mène à un aérodrome. Sur le côté de la rue, des panneaux de signalisation spécifiques, dont l’un qui indique : « Danger avions roulants », avec le dessin d’un avion.

 

 

Scène 95 – AÉRODROME PRIVÉ – EXT/JOUR

 

Dans un plan d’ensemble, un tarmac occupé par un Cessna. Près de l’aéronef, un petit cercle d’une dizaines de personnes, parmi lesquelles se trouve MONSIEUR CASTILLON. Un peu à l’écart, une casquette sur la tête et les mains dans le dos, VICTOR se tient droit immobile. Le taxi arrive et s’arrête sur le bord du tarmac, près de la Limousine, garée sous un arbre. Le CHAUFFEUR de TAXI descend du véhicule et ouvre la portière arrière à EUROPE, qui descend à son tour. MONSIEUR CASTILLON remarque la nouvelle venue et va à sa rencontre les bras grands ouverts. Le taxi redémarre et s’éloigne. On passe d’un plan d’ensemble à un plan rapproché. Dans le plan rapproché, on remarque que MONSIEUR CASTILLON porte une chemise à fleurs et qu’il a le teint bronzé. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ah, vous êtes là, ma ravissante Europe. Quel plaisir ! 

 

(D’un geste, il invite la jeune femme à rejoindre le groupe des personnes présentes sur le tarmac).

 

Venez que je vous présente à mes amis ! 

 

 

Dans un plan d’ensemble, EUROPE serre tour à tour les mains des amis de MONSIEUR CASTILLON. Elle sourit et remercie poliment d’un mouvement de tête. Son coupé ou léger brouhaha. MONSIEUR CASTILLON et EUROPE quittent le cercle d’amis, ce qui provoque aussitôt sa dislocation. Ils se dirigent vers la Limousine. Ils sont devancés par VICTOR. VICTOR ouvre la porte arrière de la Limousine. MONSIEUR CASTILLON propose à la jeune femme de s’installer.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Après vous, Mademoiselle… 

 

(Il s’apprête à rejoindre son coin habituel, près de la fenêtre de droite, mais il s’immobilise soudainement, un genou sur la banquette et le regard fixe sur le dossier. / A VICTOR) 

 

Qu’est-ce que c’est que ça ?

 

 

VICTOR 

 

Quoi donc, Monsieur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Passez-moi votre chiffon ! 

 

(VICTOR sort du véhicule. Il tient à la main un carré de tissu en peau de chamois. Il va vers MONSIEUR CASTILLON et tend le chiffon à celui-ci, qui le saisit aussitôt d’un geste nerveux. MONSIEUR CASTILLON s’empresse d’essuyer le dessus de la banquette, ainsi que la plage arrière.) 

 

Ce n’est pas croyable ! Me voilà à peine revenu de vacances que je me retrouve moi-même à faire le ménage dans ma voiture ! 

 

(Il sort à reculons et présente le chiffon à son chauffeur). 

 

Non mais regardez-moi ça, Victor. Je n’invente pas !

 

 

VICTOR 

 

Je crois bien, Monsieur, que ces petits débris viennent du bouleau et ont été apportés par le vent au moment où le coffre a été ouvert pour y déposer vos valises.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (emporté) 

 

Et bien tout cela ne serait pas arrivé si le coffre de cette voiture n’avait pas été ouvert sous un arbre ! 

 

(Il redonne le chiffon avec dédain). 

 

Tenez, reprenez votre chiffon !

 

 

VICTOR (révérencieux) 

 

Si j’ai garé la voiture sous un arbre, c’était précisément pour répondre aux convenances de Monsieur, qui ne veut pas que le soleil tape sur les vitres.  

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Parce que vous pensez que ces deux situations ne sont pas compatibles ! Mais rien ne vous empêche, que je sache, de déplacer la voiture de quelques mètres au moment où vous avez à ouvrir le coffre pour les valises et le coffre une fois refermé, de remettre la voiture à l’ombre. 

 

 

VICTOR  

 

En effet Monsieur, je reconnais que c’est possible. Je veillerai la prochaine fois à faire comme Monsieur me demande, pour que la situation ne se reproduise pas. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

C’est que surtout, Victor, il vous aurait fallu avoir assez de jugeote pour que je ne sois pas obligé d’intervenir la première fois ! Alors, en attendant, vérifiez qu’il n’y ait pas d’autres de ces saletés à l’arrière !

 

 

VICTOR

 

Bien, Monsieur.

 

 

Le domestique s’exécute en passant le chiffon à la place où doit s’asseoir MONSIEUR CASTILLON. Il sort à reculons du véhicule pour permettre à MONSIEUR CASTILLON de s’installer pour de bon. 

 

 

 

Scène 96 – LIMOUSINE – INT/JOUR 

 

Limousine de MONSIEUR CASTILLON. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en s’installant./A EUROPE) 

 

Veuillez m’excuser, Mademoiselle, pour ce désolant spectacle. 

 

 

EUROPE  

 

Oh non, ne vous inquiétez pas pour moi. Je n’ai rien remarqué de particulier, à part votre perfectionnisme en ce qui concerne la propreté. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui, c’est vrai. J’aime que tout soit impeccable. Enfin, je connais quand même d’autres personnes, bien pires que moi, qui seraient allées vérifier les saletés que cet arbre aurait pu faire sur la carrosserie. 

 

 

EUROPE 

 

En effet, ces personnes sont bien pires… 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Bien ! Pour nous remettre de ces émotions, cela vous dirait-il de prendre un petit apéritif ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON presse sur un bouton, situé sur un coin de la table basse. Le plateau de la table coulisse, révélant à l’intérieur du pied, des bouteilles ainsi que de la vaisselle. 

 

 

EUROPE 

 

Oh, avec plaisir…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

J’ai ici, quelques bonnes bouteilles qui me viennent du monde entier. Avec, il y a aussi les verres, ainsi qu’un bac à glaçons.

 

(Il se penche pour prendre un verre et étudie un instant la netteté du cristal à la lumière. Il tend le verre à la jeune femme).

 

Tenez. Je vous conseille d’utiliser le porte verre. Le vôtre est situé sur la portière qui est près de vous. 

 

 

EUROPE 

Merci.

 

 

EUROPE cherche avec difficulté le porte verre sur la portière. Elle finit par le trouver et le déplie.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Que souhaitez-vous boire ?

 

 

EUROPE

 

Oh, je crois qu’il est pour ma part plus judicieux de vous laisser choisir. Car je ne connaîtrai jamais aussi bien que vous le contenu de ces bouteilles. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Dans ce cas…

 

 

MONSIEUR CASTILLON choisit une bouteille (un alcool d’apéritif), prend un verre pour lui et presse à nouveau le bouton pour faire revenir le plateau à sa place initiale. Il ouvre la bouteille, sert son invitée et se sert. Il enlève le chemin de table sous lequel un creux permet de caler la bouteille et pose la bouteille. Le chauffeur VICTOR attend une consigne, en gardant ouverte sa portière.

 

 

VICTOR 

 

Monsieur, souhaite-t-il qu’on y aille ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais oui, bien sûr, qu’attendez-vous ? Vous ne voyez pas qu’en laissant cette porte ouverte,vous usez la lampe ? 

 

 

VICTOR  

 

Monsieur, souhaite-t-il entrer directement au domaine ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais oui, comme d’habitude… Quand l’ampoule de cette lampe a-t-elle été changée pour la dernière fois ? 

 

 

VICTOR

 

Elle a été changée il y a environ quatre mois, en même temps que les autres ampoules. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je ne vous demande pas une période vague, Victor. Je vous demande la date précise où cette ampoule a été changée.

 

 

VICTOR 

 

C’est que… je ne me souviens pas par cœur de la date et, si je regarde dans le carnet, je vais retarder Monsieur.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (irrité) 

 

Alors, regardez dans le carnet et la prochaine fois, essayez de vous souvenir des dates.

 

 

VICTOR (en regardant dans un calepin) 

 

L’ampoule a été remplacée le 20 Mars. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Bien. Et si ça se trouve il faudra la changer avant les autres.

 

 

VICTOR (en prenant un stylo)

 

Dois-je noter, Monsieur, que cette ampoule devra être changée avant les autres ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non. Nous n’allons pas entrer dans des complications de dates, maintenant. Toutes les ampoules seront changées un mois plus tôt, voilà tout. 

 

 

VICTOR

 

Donc, je note que toutes les ampoules devront être changées le 20 Octobre à la place du 20 Novembre ? 

 

 

EUROPE (son verre en main)

 

Mais pourquoi changez-vous des ampoules qui marchent ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Pour éviter de me retrouver avec des ampoules grillées et des lampes en panne. Cela vous étonne, Mademoiselle ? 

 

 

EUROPE (repose son verre)  

 

Oui, cela m’étonne assez car toutes les ampoules ont des durées de vie de plus de dix ans et les changer au bout de quelques mois, ça me paraît excessif. Mais bien sûr, ceci n’est qu’un avis personnel…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, vous avez sans doute raison et votre avis est le bienvenu car il facilite mes décisions. 

 

(A VICTOR) 

 

Victor, en fin de compte, vous garderez la date du 20 Novembre. 

 

Il boit à son verre.

 

 

VICTOR 

 

  Entendu, Monsieur. 

 

VICTOR range le carnet et met le contact. La voiture démarre. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous voulez goûter à une autre bouteille ? 

 

 

EUROPE 

 

Non merci. C’est très bien comme ça…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Dommage que vous ne puissiez pas rester ce soir, pour partager mon dîner. 

 

 

EUROPE 

 

Oui, je regrette aussi. 

 

 

VOIX OFF de PIERRE GERMONT 

 

S’il vous propose un rendez-vous, veillez surtout à ce que celui-ci se fasse dans un lieu extérieur.

 

 

EUROPE (avec un sourire) 

 

Mais peut-être à une autre occasion… 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (de nouveau détendu) 

 

Alors, de quoi vouliez-vous me parler ? 

 

 

EUROPE 

 

Je viens vous demander un répit d’un mois pour le taureau.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Allons bon… 

 

(Il se redresse)

 

Vous voulez, si je comprends bien que le taureau s’assagisse et qu’il ne fasse plus parler de lui pendant un mois. C’est bien ça ? 

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est bien ça. Et surtout qu’il ne fasse pas de nouvelles victimes. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais je vous avais expliqué que cela ne dépendait pas seulement de moi. Ce taureau agit comme un talisman.

 

 

EUROPE 

 

Personnellement, je ne sais pas comment il agit, ni pourquoi. Mais j’ai vu que vous aviez pu relever mon défi. L’avion a bien été détourné à mi-chemin. Je ne sais pas comment vous avez procédé, ni par quels moyens, mais pour moi il est clair que cela signifie que vous pouvez aussi empêcher ce taureau de nuire.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Pas sans conditions ! Je vous le répète, Mademoiselle.

 

 

EUROPE (en jetant un œil par la fenêtre) 

 

Alors, quelles sont ces conditions ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ce répit n’est tout simplement pas possible si, par exemple, vous décidez de partir à la poursuite de ce taureau et même simplement si vous cherchez à le voir.

 

 

EUROPE (fronce les sourcils) 

 

Je ne comprends pas bien pourquoi, mais puisque vous avez l’air de savoir ce que vous dites, je suis d’accord pour accepter ces conditions. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

  Alors, dans ce cas, c’est à vous d’en faire la demande auprès de ce taureau.

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous l’invoquez. Vous lui adressez votre prière.

 

 

EUROPE 

 

Et ça marchera ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui. Parce qu’il incarne des forces surnaturelles. 

 

 

EUROPE (fixe soudainement son interlocuteur) 

 

Est-ce que j’ai, au moins, le droit de savoir où il est ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Si vous voulez. Il doit arriver prochainement au Danemark, dans la région du Jutland, où il sera mis dans une ferme refuge.

 

 

EUROPE 

 

Vous ne pouvez pas m’en dire davantage ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non. Je vous ai apporté mon aide. Mais je ne peux pas vous aider plus si je ne vous intéresse pas.

 

 

EUROPE

 

Mais pourquoi craignez-vous que je l’approche ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je tiens seulement à protéger cet animal, qui reste pour moi un précieux talisman, or je sais aussi qu’on cherche à l’abattre. 

 

 

EUROPE 

 

Mais cet animal a tué et il continue d’être dangereux.

 

 

MONSIEUR CASTILLON : Croyez-vous franchement que c’est cet animal qui tue ? Ne voyez-vous pas que c’est la bêtise des hommes ? 

 

 

EUROPE

 

Mais si vous en êtes le propriétaire, n’êtes-vous pas le premier responsable ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ah oui ? Et ceux qui, la dernière fois, dans des hangars de cinéma, on failli le faire mourir dans un incendie, simplement parce qu’ils avaient négligé des règles de sécurité, ils ne sont pas responsables, ceux-là ?  

 

 

EUROPE (prudente) 

 

Mais, Monsieur Castillon, ne croyez-vous pas qu’il faille d’abord tenir compte, dans cet incendie, des victimes humaines ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (surpris)  

 

Que dites-vous ? Il y a eu des victimes dans l’incendie ?

 

 

EUROPE 

 

Comment ça ? Vous ne le saviez pas ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON  

 

On m’a informé de l’incendie, des destructions matérielles, du taureau qu’il a fallu réanimer, mais c’est tout. 

 

 

EUROPE 

 

Mais non, ça a été pire. Deux figurantes ont été asphyxiées par les vapeurs toxiques et les secours sont arrivés trop tard pour elles. Comment avez-vous pu louper une telle information ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Comment ? Mais ce n’est pas compliqué : j’étais en vacances !

 

 

EUROPE (en se désolant)

 

Oh non…

 

 

Elle enfouit sa tête entre ses mains.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Qu’avez-vous ?

 

 

EUROPE 

 

Je croyais… En fait, je m’étais persuadée que vous aviez un contrôle total sur cet animal et qu’aucune information le concernant, ne vous échappait. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Parce que vous ne m’avez pas écouté.

 

 

EUROPE (redresse la tête) 

 

Non. C’est parce que je suis affectée par ces victimes et je n’accepte pas que l’on me rende responsable.

 

 

MONSIEUR CASTILLON jette un regard sur sa montre.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Un flash vient de commencer, il y a deux minutes, sur  Channel 14.

 

 (Glissant une main sous la banquette, il parvient, après quelques tâtonnements, à atteindre un nouveau bouton). 

 

Vous permettez que je regarde ? 

 

EUROPE assiste ébahie au déploiement d’une tablette sur le dos d’un des fauteuils avant. Derrière la tablette, un écran plat.

 

 

EUROPE 

 

Oh oui, bien sûr.

 

 

MONSIEUR CASTILLON se concentre sur les touches de sa télécommande. Plusieurs images se relayent sur l’écran, rapidement zappées. Apparaissent ensuite les images du reportage, déjà perçu par EUROPE (Idem : SEQ.91) : Images montrant une vue aérienne de la ville de Blackburn avec un nuage d’incendie (EXT/JOUR). Puis des badauds devant un hangar de cinéma en feu.(EXT/JOUR). Images de l’intérieur du hangar où tout est calciné. (INT/JOUR). S’ajoutent l’image d’un taureau couché et mal en point, sur le seuil du hangar, qui est pris en charge par des vétérinaires (EXT/JOUR), puis plusieurs vues lointaines du taureau blanc, qui dans une rue, non définie, attaque des passants. (EXT/JOUR). MONSIEUR CASTILLON monte le son de sa télécommande. Le commentaire du REPORTER est en anglais.

 

REPORTER 

 

Des murs noircis par des fumées toxiques, des débris calcinés qui jonchent le sol… Un spectacle consternant qui laisse deviner quels furent ces moments d’horreur vécus par les personnes, présentes sur place, prisonnières au milieu de cette fournaise. Toutes seront évacuées en moins de vingt minutes, mais malgré la rapidité avec laquelle sont intervenus les pompiers, deux jeunes figurantes, Diana et Élisabeth, intoxiquées par les fumées, n’ont pas survécu. A l’origine de cette tragédie, l’agressivité d’un taureau, présent pour les besoins du tournage, qui s’en serait pris au matériel d’éclairage. Un début d’engrenage stupide vers l’horreur car, si ces professionnels du cinéma se sont ensuite retrouvés prisonniers dans le studio, ce ne serait pas, à cause des flammes, comme on pourrait le supposer, mais à  cause de la présence du taureau, comme nous le racontent les témoins. Un taureau qui n’en serait pas à son coup d’essai, car son agressivité a déjà fait parler de lui… 

 

(Traduire en anglais / Mettre sous titres). 

 

MONSIEUR CASTILLON appuie sur la télécommande et l’image s’éteint.

 

 

MONSIEUR CASTILLON  (en reposant la télécommande)

 

En effet, on déplore de nouvelles victimes. Seulement, cette fois, le taureau n’est pas directement responsable. 

 

 

EUROPE 

 

Mais ce n’est pas l’avis des journalistes ! Pour eux, c’est l’agressivité du taureau qui est à l’origine du drame. Et il n’ont pas eu du mal à se faire un avis, car ils sont retombés sur des faits précédents. Monsieur Castillon, si un journaliste décide de faire le rapprochement avec toutes les tragédies qui ont eu lieu dans les autres pays européens, la chance va tourner pour vous. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non, Mademoiselle. Parce que ma chance, ce sont mes talismans !

 

 

EUROPE

 

Mais vous êtes le vrai propriétaire de ce taureau et, un jour, on va s’en apercevoir. Aussi le point commun à toutes ces tragédies, ça ne sera plus le taureau, mais vous-même… 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en haussant des épaules)  

 

Je n’y crois pas. Dans les pays du sud, il y a eu des victimes, simplement parce que des hommes n’ont pas respecté les règlements de la tauromachie. Ensuite, en France, on ne sait même pas s’il y a vraiment eu un taureau. Ce ne sont peut-être que des rumeurs. Et enfin, en Grande- Bretagne, comme je vous l’ai dit, ce n’est pas le taureau qui a fait des victimes, mais l’incendie. Alors, personne ne fera le lien, sauf des fous et tout ça finira par se noyer dans la multitude des faits divers…  

 

 

EUROPE 

 

Mais ce taureau va continuer à parcourir l’Europe, un pays après l’autre ! Y avez-vous songé ? Et au bout d’un moment, plus personne ne pourra l’ignorer…

 

 

MONSIEUR CASTILLON  se tourne vers la jeune femme et pose une main sur son avant-bras, simulant un geste de réconfort.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ma chère et belle Europe, je crois que c’est surtout à vous d’arrêter de vous tourmenter. Ne vous sentez pas coupable de ce que ce taureau entreprend avec sa sauvagerie animale. Nous sommes de toute façon, tous des assassins. Avec notre argent et nos certitudes, nous tuons. Le fait de refuser la lucidité, de mal croire à ce qui existe, de promulguer de mauvais conseils, de soutenir de médiocres personnes, d’accuser à tort. Dès le moment où l’argent que nous gagnons pourrait faire, en plus de notre bonheur, celui d’un autre, nous devenons des assassins. Certains sont assassins chaque jour qu’ils partent travailler et d’autres le sont en décidant de ne jamais agir. Nous avons toujours près de nous, de multiples désespérés qui s’apprêtent à franchir le cap du suicide. Parmi eux, beaucoup ont dû envoyer des signaux d’alerte. Et vous, que faites-vous ? Allez-vous partir à leur recherche et essayer d’en sauver quelques-uns ? Non, vous n’allez pas le faire. Alors, vous êtes complice de leur tragédie et cela est bien plus grave que notre histoire de taureau. Car, en vérité, voyez-vous, personne ne dirige cet animal.

 

 

EUROPE 

 

Mais ce n’est pas n’importe quel taureau…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (enlève sa main) 

 

C’est vrai. C’est le taureau d’Europe, l’emblème de Jupiter, mais qu’est-ce que ça change ? L’orage aussi est l’emblème de Jupiter et pourtant il est destructeur et il tue, lui aussi. Dans toutes les religions du monde, le droit de tuer fait partie du droit divin et tout le monde trouve ça normal. 

 

EUROPE

 

Oh, mais je suis d’accord avec tous vos raisonnements. Sauf que si on voyait Dieu comme un destructeur, et non pas comme un créateur, ce ne serait plus Dieu. De même, un destructeur, quel qu’il soit, ne peut pas détruire ce qui n’existe pas. Autrement dit, l’essentiel n’est pas dans ce qui se détruit, mais dans ce qui se crée, car sinon, je dois m’étonner d’apercevoir encore des gens dans ma rue et d’être moi-même encore vivante. Car si nous sommes tous des assassins, comment expliquez- vous que nous ne soyons pas déjà tous morts ? Mais maintenant, revenons surtout à notre sujet principal qui est ce taureau. Et dites moi ceci : d’après vous, pourquoi cet animal existe ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il vous attend, sans doute…

 

 

EUROPE 

 

J’aimerais savoir : vous ne voudriez pas me le vendre ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Ça non !

 

 

EUROPE 

 

En quoi est-il votre destin ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je réussis à le comprendre. Il éclaire mon chemin, alors qu’il obscurcit le vôtre : je ne peux que vous proposer de rejoindre mon chemin, qui est le chemin éclairé. 

 

 

EUROPE

 

Pensez-vous sincèrement que c’est mon destin de vous rejoindre ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui, je le pense, parce que c’est l’évidence.

 

 

EUROPE, pensive, se tourne vers la vitre teintée alors que la voiture roule lentement. Elle observe la rue : des passants pressés. Une mère avec sa poussette. Un cycliste qui zigzague entre les véhicules. Des hommes d’affaires en chemise et cravate, la veste sur l’épaule à cause de la chaleur. Une marchande de fleurs, à un angle de la rue. Des regards curieux se tournent vers la voiture. La jeune femme regarde à nouveau son interlocuteur.

 

 

EUROPE 

 

En fin de compte, je n’ai pas été convaincu par votre défi. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais c’est pourtant vous, qui l’avez choisi.

 

 

EUROPE 

 

Oui, je sais. Mais ce n’était pas assez concret. Il y a des tours de magie qui se font sous vos yeux et qui peuvent vous éblouir de la même façon. Il manque un contact direct et, en fin de compte, la possibilité de vérifier par le toucher. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

S’il vous faut un nouveau défi, j’accepte.

 

 

EUROPE

 

Oui, cependant, je ne sais pas lequel. Il faut que je réfléchisse. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Ce serait maintenant à moi, de vous poser une question.

 

 

EUROPE (surprise) 

 

Quoi donc ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Aimez-vous un autre homme ?

 

 

Les yeux de la jeune femme s’abaissent. Elle hésite. 

 

 

EUROPE 

 

Oui, mais c’est, semble-t-il, malgré moi, car il n’y a pas d’avenir possible avec lui.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il n’est pas libre ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est ça.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en levant les bras) 

 

Vous voyez ! Vous le dites vous-mêmes. Vous vous engagez dans une impasse.

 

 

EUROPE : C’est vrai.

 

Pendant quelques instants les yeux de la jeune femme viennent rencontrer le regard de son hôte. Mais celui-ci en vient à regarder devant lui.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Nous arrivons chez moi. 

 

 

EUROPE regarde à son tour. La voiture s’est engagée dans une allée bordée de peupliers. Elle roule doucement jusqu’à un portail monumental, brillant comme l’argent, en forme d’ailes de cygne. En hauteur, de chaque côté du portail, des boîtiers télescopiques de caméras et projecteurs. Au moment où le véhicule arrive à hauteur du portail, dans un déclic, les deux ailes de cygne s’ouvrent. La voiture avance sur une allée, au milieu d’un  terrain arboré.

 

 

EUROPE 

 

Le coin a l’air vraiment très agréable.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Alors, que décidez-vous ?

 

 

EUROPE (embarrassée / esquissant un sourire) 

 

Comme je vous l’ai dit, je ne vais pas rester. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Dans ce cas, je demanderai à mon chauffeur de vous ramener chez vous.

  

 

 

EUROPE 

 

Oh… Est-ce qu’il ne serait pas plutôt possible, qu’il me dépose à l’université ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais oui, bien sûr. Avec moi, tout sera comme vous le souhaitez, ma chère Europe. 

 

 

 

Scène 97 – CAMPUS –  EXT/JOUR 

 

Campus universitaire. EUROPE  avance sur une allée. Le campus est désert. Bruit de ses talons qui résonnent. 

 

 

 

Scène 98 – COULOIR CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Couloir du Centre de recherche. EUROPE avance vers la première porte et glisse sa carte magnétique dans le boîtier. La porte coulisse. Elle se dirige vers la seconde porte et tape le code.

 

Scène 99 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de recherche. EUROPE avance dans la salle et ne perçoit que le ronronnement des machines, sans remarquer aucune présence. Son regard s’arrête sur une affiche qui représente le visage d’Einstein. Dessous, la citation : « Ne faites jamais rien contre votre conscience, même si c’est l’État qui vous le demande ». Une voix d’homme qui pourrait être celle d’Einstein, dit la citation.

 

 

VOIX de NAKISSA 

 

Tiens ! Bonjour…

 

 

Surprise, EUROPE se retourne et oriente son regard en direction de la voix. Elle finit par apercevoir NAKISSA, debout, entre deux armoires, qui semble procéder à des relevés. Soulagée, EUROPE sourit. 

 

 

EUROPE 

 

Bonjour Nakissa.

 

 

NAKISSA 

 

N'allez  pas chercher quelqu’un d’autre. Il n’y a que moi. 

 

 

EUROPE 

 

On vous a laissée toute seule ?

 

 

NAKISSA (ironique) 

 

Oui, ils ont osé me faire ça, les lâches…

 

(Elle s’avance vers EUROPE). 

 

En plus de ça, je suis chargée de surveiller toutes ces machines, mais j’espère qu’il n’y aura aucun bug, parce que là, je ne sais pas ce que je fais… 

 

(Elle se met à rire). 

 

En plus, il faut que je vous dise… Ils sont venus faire le ménage, tout à l’heure. Alors, si jamais ils ont touché à un fil ou à un capteur. Et j’en ai vu qui passaient le chiffon tout près des touches et des écrans tactiles, alors là. !

 

 

NAKISSA est emportée par un nouvel éclat de rire.

 

 

EUROPE 

 

Et vous restez combien de temps ?

 

 

NAKISSA

 

En principe, jusqu’à ce que Jacques vienne me relayer. Il devrait arriver vers 23 h. Parce qu’il vous faut quelque chose ? 

 

 

EUROPE 

 

J’aimerais simplement pouvoir faire une recherche sur des archives de l’actualité. C’est possible ? 

 

 

NAKISSA 

 

Oui, je vais vous indiquer où vous mettre. C’est quel type d’archives ? 

 

 

EUROPE 

 

Il s’agit d’un reportage télévisé d’une chaîne anglaise, Channel 14.

 

 

NAKISSA (en montrant un ordinateur) 

 

Alors, installez-vous là et je vais vous montrer comment procéder.

 

 

Sur l’écran EUROPE parvient à faire apparaître les images du reportage, principalement les prises de vue où apparaît le taureau. Elle arrête les images afin de mieux les visualiser, grossit certains plans, les passe au ralentit. Puis elle éteint l’ordinateur, se lève et se tourne vers NAKISSA.

 

 

EUROPE 

 

Nakissa ?

 

 

NAKISSA relève la tête.

 

 

NAKISSA 

 

Quoi donc ? 

 

 

EUROPE 

 

Vous pensez qu’il est possible, pour moi, de m’absenter une dizaine de jours ?

 

 

NAKISSA 

 

Oui, bien sûr. Tant que vous ne ratez pas la rentrée universitaire.

 

 

EUROPE

 

Mais je n’ai pas prévenu Monsieur Germont.

 

 

NAKISSA

 

Je me charge de le faire. C’est pour prendre des vacances ?

 

 

EUROPE

 

En effet, ça serait pour prendre des vacances. 

 

NAKISSA

 

Et vous voulez partir ?

 

 

EUROPE

 

Oui. En Norvège.

 

 

NAKISSA

 

Ah ! Magnifique pays, la Norvège. Vous avez raison. Ses fjords et son soleil de minuit vont vous changer d’ici. 

 

EUROPE se dirige vers la sortie. Elle revient à l’endroit où est affiché le poster d’Einstein avec la citation.

 

 

EUROPE (en désignant le poster)

 

Il est nouveau ?

 

 

NAKISSA (en redressant la tête)

 

Quoi donc ? 

 

(Elle finit par repérer le poster)

 

Ah… l’affiche ? Oui oui… C’est Jacques qui l’a mise là il y a quelques jours… 

 

 

 

Scène 100 – GARAGE AUTOMOBILE – EXT/JOUR

 

Dans une vue d’ensemble, un garage automobile. EUROPE va à la rencontre d’un garagiste. D’un signe de la main, le garagiste lui demande de le suivre. Ils entrent dans un bâtiment.

 

 

 

Scène 101 – VOITURE LOUÉE AUTOROUTE VIA BRUXELLES – EXT/JOUR

 

EUROPE conduit une voiture. La voiture est une occasion, de taille moyenne, à la carrosserie un peu abîmée. Elle roule à travers la campagne. La voiture est sur l’autoroute. Apparaissent les panneaux indiquant : « Bruxelles ». Musique

 

 

 

Scène 102 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de recherche. NAKISSA, devant un ordinateur, place un casque sur sa tête. Le casque est équipé d’un micro.

 

 

NAKISSA (en ajustant le micro)

 

Allô ! Mademoiselle Spartanikès est partie pour la Norvège. Une dizaine de jours. Elle a pris une voiture. En ce moment, elle traverse la Belgique. 

 

 

 

Scène 103 – VOITURE LOUÉE  AUTOROUTE ALLEMAGNE – EXT/JOUR

 

EUROPE, dans sa voiture, roule sur une autoroute allemande. Musique.

 

 

 

Scène 104 – SALLE CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. JACQUES, devant un ordinateur, avec sur la tête, comme NAKISSA, un casque équipé d’un micro.

 

 

JACQUES (parlant dans le micro) 

 

Vous m’entendez ? Europe Spartanikès est en Allemagne. Elle se dirige vers Kiel.

 

 

 

Scène 105 –  FERRY en MER du NORD – EXT/NUIT

 

Un ferry en mer. EUROPE sur le pont du ferry, accoudée au bastingage, respire l’air du grand large. Musique.

 

 

 

Scène 106 – SALLE du CENTRE de RECHERCHE –  INT/NUIT

 

Salle du Centre de recherche. NAKISSA, devant un ordinateur, place un casque sur sa tête et parle dans un micro (comme dans les séquences précédentes).

 

NAKISSA 

 

Mademoiselle Spartanikès a embarqué à Kiel. Son ferry arrivera demain à Oslo. 

 

 

 

Scène 107 – CENTRE VILLE OSLO – EXT/JOUR

 

EUROPE flâne dans le centre-ville d’Oslo. Le panneau « OSLO » apparaît. Musique.

 

 

 

Scène 108 – VOITURE LOUÉE / ROUTE de MONTAGNE en NORVÈGE – EXT/JOUR

 

EUROPE, en Norvège, roule sur une route de montagne. Musique.

 

 

 

Scène 109 – MAISON en NORVÈGE – EXT/JOUR

 

Norvège. EUROPE, devant une maison peinte en bleue, qui fait pension, discute avec une femme. Elle s’éloigne un moment pour rejoindre sa voiture. Elle revient vers la femme avec ses bagages. La femme l’invite à entrer.

 

 

 

Scène 110 – VOITURE LOUÉE / ROUTE de MONTAGNE en NORVÈGE –  EXT/JOUR

 

EUROPE, en Norvège roule sur une route de montagne. Elle passe sous de longs tunnels. 

Musique.

 

 

 

Scène 111 – BATEAU de TOURISTES sur FJORD NORVÈGE – EXT/JOUR

 

EUROPE, à Bergen, sur un bateau de touristes, visite un fjord. Son regard se tourne vers les cascades. Elle aperçoit un marsouin. Musique. 

 

 

 

Scène 112 – VOITURE LOUÉE, FORÊT de NORVÈGE – EXT/JOUR

 

En Norvège, EUROPE roule sur une route de campagne vers le nord. Elle traverse des forêts. Musique.

 

 

 

Scène 113 – VOITURE  LOUÉE / DÉBUT CERCLE POLAIRE – EXT/JOUR

 

En Norvège, panneau qui indique « Cercle polaire » en différentes langues. Non loin du panneau, la voiture d’EUROPE arrêtée sur un parking. EUROPE dort dans la voiture. EUROPE se réveille et lève la tête. Elle aperçoit un troupeau de rennes. Le paysage alentour est désertique. 

 

 

 

Scène 114 –VOITURE LOUÉE / CERCLE POLAIRE – EXT/JOUR

 

EUROPE roule au milieu d’un paysage montagneux désertique avec lacs et névés. La séquence se termine avec un plan grand ensemble. Musique.

 

 

 

Scène 115 – VOITURE LOUÉE / ILES LOFOTEN – EXT/JOUR

 

EUROPE se promène dans les Iles Lofoten. Elle pose un regard admiratif sur le paysage composé de montagnes nues, de lacs et de fjords. Elle arrive devant un bord de mer. Elle retire ses chaussures et trempe ses pieds dans l’eau. 

 

 

 

Scène 116 – RESTAURANT VILLAGE DE PÊCHEURS / NORVÈGE – INT/JOUR

 

Restaurant dans un village de pêcheurs. Heure du dîner. Assise à une table, EUROPE ouvre un dépliant touristique sur la Norvège, écrit en français. Sur le haut du dépliant, il est écrit : « Le soleil de minuit ». Un serveur arrive à sa table avec une assiette présentant une variété de poissons. EUROPE referme le dépliant et commence son repas.

 

 

 

Scène 117 – VILLAGE DE PÊCHEURS / NORVÈGE – EXT/JOUR

 

Village de pêcheurs. EUROPE sur le port, observe à l’horizon, le soleil de minuit. 

 

 

 

Scène 118 – VOITURE LOUÉE / CAMPING en NORVÈGE – EXT/JOUR

 

EUROPE, en voiture, entre dans un camping. Elle gare sa voiture près d’un Bungalow.

 

 

 

Scène 119 –  PRAIRIE en NORVÈGE – EXT/JOUR

 

EUROPE est accoudée sur la barrière d’une prairie où sont parqués des rennes. Elle est pensive. Elle couche sa tête sur la barrière. Bruit d’un meuglement. Elle redresse la tête, surprise. Elle regarde en direction du troupeau de rennes, ne voit aucun bovin. Elle a l’idée de regarder dans sa poche. Elle en sort un téléphone portable, dont la sonnerie est un bruit de vache. Elle regarde le nom qui s’affiche : MONSIEUR VERNEUIL. Elle mord sa lèvre inférieure. A l’expression de son visage, on devine qu’elle se sent fautive. Elle rappelle aussitôt.

 

 

EUROPE : Allô… Monsieur Verneuil. Ici, Mademoiselle Spartanikès. Oui, je sais, j’aurais dû être présente, aujourd’hui même, à votre séminaire de phonétique. Je suis vraiment désolée de ne pas vous avoir prévenu. En fait, je pensais rentrer plus tôt de mon voyage. Je suis en Norvège. En fait, je ne serai là que la semaine prochaine. Non, pas avant. C’est entendu, Monsieur Verneuil. Et vraiment, toutes mes excuses. Au-revoir Monsieur Verneuil.

 

 

 

Scène 120 – VOITURE LOUÉE / FORÊT de SAPINS – EXT/JOUR

 

EUROPE, en voiture,  roule à vive allure sur une route qui traverse une épaisse forêt de sapins.

 

Voix OFF de PSEUDO EINSTEIN (idem SEQ.99) 

 

Ne faites jamais rien  sans votre conscience, même si c’est l’État qui vous le demande.

 

 

Un gnou surgit sur la route.

 

 

 

Scène 121 – VOITURE LOUÉE / FORÊT de SAPINS – EXT/JOUR

 

En raccord avec la séquence précédente, le taureau blanc d’Europe surgit sur une route de campagne.

 

 

 

Scène 122 – VOITURE LOUÉE / FORÊT de SAPINS – INT/JOUR

 

Suite de la séquence 120. EUROPE appuie d’un coup sec sur le frein. Crissement de pneus. La voiture s’arrête brusquement. EUROPE bascule vers l’avant, puis vers l’arrière. Elle aperçoit le gnou, de l’autre côté de la route, qui s’enfonce tranquillement dans la forêt. Soupir de soulagement.

 

 

 

Scène 123 – VOITURE LOUÉE sous CIEL GRIS en CAMPAGNE – EXT/JOUR

 

Norvège. EUROPE roule sur une route de campagne sous un ciel très gris. EUROPE scrute le ciel. Premières gouttes de pluie. Elle met les essuie-glace. La pluie s’intensifie.

 

 

 

Scène 124 – PORT d'EMBARQUEMENT en NORVÈGE – EXT/JOUR

 

Port d’embarquement. Pluie et vent. EUROPE attend au milieu d’une file de voitures. En arrière plan, un car ferry avec les portes de parking ouvertes. Un caissier avec casquette et imperméable, muni d’une machine à billets, remonte la file des voitures. EUROPE ouvre sa portière, abritant sa tête avec un sac plastique. Elle va vers le caissier. Elle lui tend un billet. 

 

 

 

Scène 125 –  VOITURE LOUÉE /  SOUTE d'UN FERRY –INT/JOUR

 

A l’entrée du ferry, pluie et vent. EUROPE, guidée par des gardiens de parking, entre dans la soute du ferry. Elle gare sa voiture.

 

 

 

Scène 126 – SELF RESTAURANT d'UN FERRY – INT/JOUR

 

Self restaurant à l’intérieur du ferry. EUROPE fait glisser un plateau sur le rail du restaurant au milieu d’une file de passagers. Elle choisit des plats, prend des couverts. Avec les secousses d’une tempête extérieure, les verres s’entrechoquent et parfois les passagers chancellent un peu. Arrivée à la caisse, elle tend une carte bleue. Un appel par haut-parleur, signale en plusieurs langues, (Norvégien, Danois, Anglais) que l’accès aux ponts est interdit en raison de la tempête. Avec prudence, EUROPE prend son plateau et, d’un pas chancelant, choisit une table proche d’un hublot. Par le hublot, elle aperçoit les vagues qui se déchaînent. La pluie se mêlant à l’embrun, vient fouetter les carreaux. EUROPE regarde un instant le hublot, puis commence son repas. 

 

 

 

Scène 127 – BOUTIQUES du FERRY – INT/JOUR

 

EUROPE se promène au milieu des boutiques du ferry. Elle s’arrête devant une librairie papeterie. Elle remarque une carte routière du Danemark sur un présentoir. Elle prend la carte et entre dans le magasin.

 

 

 

Scène 128 – SALON BAR du FERRY – INT/JOUR

 

Salon bar du Ferry. EUROPE d’un pas chancelant, se dirige à l’intérieur d’un spacieux salon bar. Près du bar, un pianiste joue une musique classique. Derrière, des hublots à travers lesquels on continue à apercevoir la tempête. EUROPE trouve une place sur un canapé confortable.  Elle déplie la carte.

 

 

VOIX de MONSIEUR CASTILLON 

 

Il doit arriver prochainement au Danemark, dans la région du Jutland, où il sera mis dans une ferme refuge.

 

 

EUROPE promène son doigt sur la carte et l’arrête sur le nom : Jutland. Un bruit incongru l’oblige à redresser la tête. Le bruit est celui d’un passager qui, à quelques mètres de la jeune femme, est pris de vomissements. Le passager vomit sur la moquette. Une équipe de nettoyage arrive aussitôt et fait asseoir le malade sur un fauteuil. EUROPE replie la carte. Pendant toute la séquence, musique jouée par le pianiste. 

 

 

 

Scène 129 – VOITURE LOUÉE / PORT au DANEMARK – EXT/JOUR

 

Sortie du ferry. Retour du beau temps. EUROPE, en voiture, sort de la soute du ferry. Elle passe un panneau qui annonce en plusieurs langues : « Bienvenue au Danemark ». Elle franchit le poste de douane, qui est désert. 

 

 

 

Scène 130 – VOITURE LOUÉE / CAMPAGNE DANEMARK –  EXT/JOUR

 

EUROPE arrive à une intersection en pleine campagne, au milieu de champs cultivés. A l’intersection, des panneaux. Elle arrête sa voiture à la hauteur des panneaux. Elle jette un œil sur sa carte routière, étalée sur le fauteuil d’à-côté. Elle redémarre. 

 

 

 

Scène 131 – VOITURE LOUÉE / JUTLAND AU DANEMARK – EXT/JOUR

 

EUROPE roule sur une route de campagne, alors que le soleil se couche au milieu des nuages. Elle passe lentement devant un panneau routier sur lequel est inscrit : « JUTLAND ». Un autre panneau routier indique une ville voisine : VIBORG. 

 

 

 

Scène 132 – VOITURE LOUÉE, CAMPAGNE DANEMARK – EXT/NUIT

 

EUROPE roule sur une route de campagne. Elle arrive dans un village et remarque un cycliste avec son vélo à la main. Elle s’arrête à hauteur du cycliste, sort de la voiture avec la carte pour lui demander un renseignement. Le cycliste indique une direction.

 

 

 

Scène 133 – VOITURE LOUÉE VILLAGE DANEMARK – EXT/NUIT

 

EUROPE roule doucement dans une rue de village. En se penchant, elle remarque les pales de plusieurs éoliennes, faiblement éclairées. Elle repère des bâtiments de ferme en briques rouges, dont certaines fenêtres sont éclairées. Derrière les bâtiments, des pâtures avec des bovins : des Primes Holstein. Elle gare sa voiture à proximité. 

 

 

 

Scène 134 – FERME  de JESPER / DANEMARK –  EXT/NUIT

 

Façade d’un bâtiment de ferme. EUROPE ouvre un petit portail et se dirige vers la porte d’entrée. Après un instant d’hésitation, elle appuie sur la sonnette. Aboiement d’un chien. La porte s’ouvre. Dans l’entrebâillement, un jeune homme blond, JESPER, retient un dogue par le collier. Il est rapidement rejoint par un autre, plus âgé, le PÈRE de JESPER. Bruit d’un poste de télé allumé. EUROPE, embarrassée, sort une photo du taureau d’Europe. Elle s’exprime en anglais, avec difficulté, en s’aidant d’une gestuelle. 

 

EUROPE (en montrant la photo) 

 

Bonsoir. J’espère ne pas vous déranger. Je cherche cet animal. Il paraît qu’il est dans votre ferme. C’est un taureau blanc, avec une tache noire sur le front…

 

(Traduire en anglais).

 

Les deux hommes échangent un regard. 

 

Le PÈRE de JESPER (à son fils) 

 

On peut lui montrer.

 

(traduire en danois)

 

JESPER (à son père) 

 

Je m’en occupe. 

 

(traduire en danois).

 

 

Le PÈRE de JESPER (à son fils) 

 

Alors, prends la lampe de poche. 

 

(traduire en danois).

 

 

JESPER attrape une lampe de poche suspendue à l’entrée, repousse le chien et avance tandis que son père referme la porte. JESPER rejoint EUROPE et lui tend une main pour se présenter.

 

 

JESPER (en anglais) 

 

I’m JESPER. I live here with my father. You ?

 

 

EUROPE (en anglais/serrant la main)

 

I’m Europe Spartanikès.

 

D’un signe de la main JESPER invite la jeune femme à le suivre. Il allume sa lampe de poche. Tous deux contournent la maison.

 

 

 

Scène 135 – CHEMIN DEVANT PATURES au DANEMARK –  EXT/NUIT

 

Un chemin boueux, qui longe des pâtures. Au loin, des éoliennes. JESPER avance sur le chemin, suivi d’EUROPE, équipée seulement de bottines non adaptées à la boue. Par moments, le jeune homme se retourne pour voir si son accompagnatrice peut continuer à avancer. JESPER s’arrête. Il balaye la pâture, occupée par un troupeau de bovins, avec le faisceau lumineux de sa lampe de poche. Il pointe un doigt vers l’avant et recommande à la jeune femme de s’approcher. EUROPE commence à chercher ce qu’il lui montre du doigt, mais ne voit rien de spécial. JESPER braque le faisceau de sa lampe sur le front du taureau. Dans la lumière, se révèle la tête blanche avec la tache noire sur le front. EUROPE plaque ses mains sur son visage.

 

 

EUROPE (en proie à l’émotion)

 

Mais oui, c’est lui !… (traduire en grec / mettre sous titres). 

 

Son regard fixe sans relâche l’animal. Elle est littéralement subjuguée. JESPER commence à manifester des signes d’impatience. 

 

 

JESPER

 

  Je ne peux pas le vendre. Il n’est pas à moi. S’il vous intéresse, je vous mets en contact avec son propriétaire. Mais, pour l’instant il doit rester ici, car c’est un animal très stressé.

 

 (traduire en anglais / mettre sous-titres)

 

 

EUROPE (se tourne vers JASPER) 

 

Je connais son propriétaire. 

 

(Elle regarde à nouveau le taureau). 

 

Vous savez qu’il est dangereux ?

 

 (traduire en anglais / mettre sous-titres). 

 

 

JESPER

 

Non, il n’est pas dangereux. Il est seulement perturbé, parce qu’il a été maltraité. Mais ici, il va se refaire une santé. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE 

 

Pour cette nuit, je ne sais pas où dormir. Est-ce qu’il est possible de dormir ici ? 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER

 

Oui, à Viborg, la ville la plus proche, vous avez des hôtels.

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE 

 

Non, je voulais savoir si dans votre ferme, il y avait une chambre. Il me faut juste un lit et je peux payer, si vous voulez

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER (avec un signe négatif de la main) 

 

Non, vous n’allez pas bien dormir, ici. Il vaut mieux aller à Viborg. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE 

 

Et pourquoi je vais mal dormir ? 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER 

 

Parce que, dans les champs du voisin, cette nuit, il y a une « rave partie » de prévue. Vous allez être dérangée par de la musique technétronique toute la nuit. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE 

 

Oh non, ce n’est pas grave. Ce n’est pas que j’aime vraiment ce genre musique, mais je suis vraiment fatiguée et je pense que je pourrais même m’endormir sous le feu d’un bombardement. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER 

 

Bon. Dans ce cas. Je vais en parler à mon père. On pourra peut-être vous passer une chambre dans une dépendance. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE (en anglais) 

 

Oh… thank you very much !

 

Ils reprennent le chemin en direction de la maison. 

 

 

 

Scène 136 – CHAMBRE DÉPENDANCE DANEMARK – INT/NUIT 

 

Chambre de la dépendance, située au premier étage. Seule la lumière de chevet est allumée. Assise sur le lit en chemise de nuit, EUROPE sort un téléphone portable et une bouteille d’eau d’un sac de voyage qui se trouve à ses pieds. Elle pose les affaires sorties sur une table de nuit. Elle se lève pour fermer la fenêtre, jette un œil au passage, sur le paysage, tire les rideaux. Elle glisse ses pieds dans ses draps, s’allonge, éteint la lumière. Elle s’endort. Au loin, les bruits d’une fête, avec un discours de bienvenue lancé dans un haut-parleur suivi d’une musique techno. 

 

 

 

Scène 137 – CHAMBRE DÉPENDANCE DANEMARK –  INT/JOUR

 

Chambre de la dépendance. Crépuscule du matin. EUROPE dort. A travers les rideaux, une lumière bleue qui tourne dans la chambre. A l’extérieur, des chants d’oiseaux et des bruits feutrés de voix. Les paupières de la jeune femme se mettent à bouger. Elle entrouvre les yeux et aperçoit la lumière bleue. Elle se redresse soudainement sur son lit, l’air hagard. Elle regarde vers la fenêtre, se lève finalement pour aller voir. En soulevant le rideau, elle remarque un camion de pompier et une ambulance arrêtés devant la maison de JASPER et de son père. Elle remarque que la lumière bleue est celle du gyrophare de l’ambulance. Près des voitures, plusieurs personnes parlent paisiblement, dont JESPER. EUROPE est tétanisée par cette vision. Elle décide soudainement, de ne pas perdre de temps. Elle enlève hâtivement sa chemise de nuit, enfile un chemisier et un pantalon, se précipite vers la sortie. 

 

 

 

Scène 138 – FERME JESPER DANEMARK – EXT/ JOUR

 

Façade de la maison de JESPER et de son père. EUROPE arrive précipitamment devant la maison. L’ambulance et la voiture de pompier ont disparu. Le groupe des personnes qui discutaient s’est dispersé. JESPER s’apprête à rentrer chez lui.

 

 

EUROPE (appelant) 

 

Jesper !

 

 

JESPER se retourne et va à la rencontre d’EUROPE. 

 

 

EUROPE 

 

Que s’est-il passé ?

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER 

 

Il y a eu un accident, cette nuit. L’ambulance vient d’emmener mon père. Il est dans le coma. C’est à cause de votre taureau. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE

 

Comment c’est arrivé ?

 

 (traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JESPER 

 

Le chien s’est mis à aboyer dans la nuit. Mon père est sorti. Il est allé voir les bêtes car il a remarqué qu’elles étaient agitées. C’est alors qu’il a aperçu le taureau blanc. Celui-ci attaquait les autres bêtes du troupeau. C’est à cause de la musique, qu’il est devenu agressif comme ça. Alors, mon père a cherché à le séparer du reste du troupeau. Et c’est là que c’est le produit le drame. Le taureau l’a bousculé et lui est passé sur le corps. Il s’est retrouvé dehors, en liberté. A côté, le concert de la rave party battait son plein. Personne n’avait rien remarqué. Pendant plus d’une heure, le taureau s’est promené librement, dans la nuit. C’est alors qu’il a surgi soudainement au milieu du regroupement musical, entraînant aussitôt une cohue et des mouvements de panique. Sa présence a été immédiatement signalé, mais le massacre qu’il a provoqué a été presque aussi  rapide. Déjà, deux jeunes décédés et l’on s’attend à ce que le chiffre augmente. Mon père, lui-même, n’est pas tiré d’affaire. Je suis très inquiet à l’idée qu’il ne puisse pas s’en sortir. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE

 

Je vous comprends. Je vous souhaite bien du courage, pour votre père. 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

 

Scène 139 – HALL HÔPITAL DANEMARK – INT/JOUR

 

Danemark. Hall d’hôpital. EUROPE arrive dans le hall. Elle va à l’ACCUEIL.

 

 

EUROPE 

 

Excusez-moi, Madame. J’aimerais savoir où se trouvent les blessés de la Rave party qui ont été victimes d’un taureau, durant la nuit. 

 

 

Dame de l’ACCUEIL 

 

C’est dans le bâtiment 6, mais si vous n’êtes pas un proche, vous n’avez pas le droit d’entrer. 

 

 

EUROPE 

 

Je vous remercie. 

 

 

Elle quitte le comptoir de l’accueil et se dirige d’un pas décidé vers un couloir. 

 

(traduire les dialogues en anglais / mettre sous-titres).

 

 

 

Scène 140 – COULOIR HÔPITAL DANEMARK – INT/JOUR

 

Couloir de l’hôpital. EUROPE avance dans le couloir. En face, une INFIRMIÈRE EN CHEF, qui arrive dans l’autre sens. L’INFIRMIÈRE EN CHEF arrête la jeune femme d’un geste énergique.

 

 

INFIRMIÈRE en CHEF 

 

Non Madame… Vous ne pouvez pas entrer ! Nous n’attendons aucune visite ! 

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

EUROPE fait demi-tour.

 

 

Scène 141 – HÔPITAL DANEMARK – EXT/JOUR

 

Devant l’hôpital. Déçue, EUROPE descend les marches extérieures de l’hôpital. Elle s’arrête, se retourne vers les portes d’entrée de l’hôpital, réfléchit à une solution. Près des portes, un homme la regarde. C’est un JOURNALISTE. Il lui adresse un sourire taquin.

 

 

JOURNALISTE 

 

Alors, vous aussi, vous avez été refoulée. Bâtiment 6, c’est ça ? 

 

EUROPE répond par un sourire.

 

 

EUROPE

 

Vous êtes journaliste ? 

 

 

JOURNALISTE

Pas vous ? 

 

 

EUROPE 

 

Non. Moi, je m’intéresse au taureau. 

 

 

EUROPE, un instant, s’éloigne pour voir s’il n’y a pas une autre entrée.  

 

 

JOURNALISTE 

 

Vous perdez votre temps. Il n’y a pas d’autres entrées. Moi aussi, j’ai eu l’idée de regarder. 

 

 

EUROPE (en revenant) 

 

Mais si vous êtes journaliste, peut-être que vous savez où se trouve maintenant, le taureau. 

 

 

JOURNALISTE (avec un soupir) 

 

D’ordinaire, je ne file jamais mes tuyaux. Mais comme vous m'avez l'air sympathique je veux bien vous faire une fleur. 

 

 

(Arrachant une feuille à un calepin de poche, le journaliste griffonne un mot : NORDEN. Puis il tend le papier à la jeune femme.) 

 

Tenez… C’est le nom de la boîte qui a récupéré le taureau.

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

EUROPE prend le papier.

 

 

 

Scène 142 – COPENHAGUE – EXT/JOUR

 

Copenhague. Plan de la « petite sirène ». EUROPE, dans une rue, interroge des passants et des commerçants en leur présentant le nom indiqué, sur le papier, par le journaliste. Chacun, par des mouvements négatifs de la tête ou des gestes marquant leur impuissance, montre qu’il ne peut pas renseigner la jeune femme. EUROPE entre dans le hall de la gare.

 

 

 

Scène 143 – HALL de GARE COPENHAGUE – INT/JOUR

 

Hall de la gare. EUROPE arrête un COUPLE de VOYAGEURS.

 

 

EUROPE (en montrant le papier / en anglais)

 

Excuse-me. Do you know the Society called NORDEN ? 

 

 

COUPLE  de VOYAGEURS (avec un mouvement de bras / en anglais) 

 

No… Sorry…

 

EUROPE, désespérée, regarde les voyageurs de toute part sans savoir quelle direction prendre. Finalement elle va vers un BALAYEUR.

 

 

EUROPE (en montrant le papier / en anglais)

 

Do you know where is NORDEN society ?

 

 

 

BALAYEUR (secoue négativement la tête / en anglais) 

 

Sorry… 

 

(Le BALAYEUR indique à la jeune femme, le point d’accueil de la gare./ traduire en danois). 

 

Par ici, vous aurez des renseignements.

 

L’HÔTESSE du POINT d’ACCUEIL lit le papier présenté par la jeune femme.

 

 

HÔTESSE du POINT d’ACCUEIL 

 

Oui, je connais cette société. Elle est située à la périphérie de Göteborg, en Suède. Mais pour y aller, ce n’est pas le train qu’il faut prendre. C’est le bateau. 

 

 

 

Scène 144 – LIBRAIRIE FERRY – INT/JOUR

 

Librairie papeterie à l’intérieur d’un ferry. EUROPE arrive devant le magasin et repère, sur un présentoir, une carte routière de la Suède. Elle prend la carte et entre dans le magasin. (Répétition de la séquence 127). 

 

 

 

Scène 145 – PONT du FERRY – EXT/JOUR

 

EUROPE, qui tient en main la carte routière, pousse une porte et va sur le pont du ferry. Elle veut déplier la carte, mais est gênée par le vent. Elle cherche un abri, mais le vent continue de secouer la carte. Un passager vient l’aider. Elle le remercie d’un mouvement de tête. 

 

 

 

Scène 146 – VOITURE LOUÉE / GÔTEBORG, SUÈDE – EXT/ JOUR

 

Göteborg. EUROPE, en voiture, traverse la ville. 

 

 

 

Scène 147 – VOITURE LOUÉE ZONE INDUSTRIELLE SUÈDE – EXT/JOUR

 

EUROPE quitte la ville et se retrouve sur des routes qui traversent une zone industrielle. Sur une pancarte, elle repère le panneau : NORDEN. Elle prend la direction indiquée. 

 

 

 

Scène 148 –  VOITURE LOUÉE / ZONE INDUSTRIELLE DEVANT SOCIÉTÉ NORDEN – EXT/JOUR

 

Dans une zone désertique et peu hospitalière, EUROPE aperçoit des murs surélevés et fortifiés, derrière lesquels, sur un mât, est inscrit le nom : NORDEN. Elle gare sa voiture le long du mur et continue à pied afin de contourner le bâtiment.

 

 

 

Scène 149 – ZONE INDUSTRIELLE DEVANT SOCIÉTÉ NORDEN – EXT/JOUR

 

Entrée de la Société Norden. Un grand portail froid et inhospitalier devant lequel se trouve un groupe de manifestants avec des pancartes et des banderoles. Sur la banderole est écrit : « Non à la torture animale » (en suédois / mettre sous-titre). Quelques manifestants, assis sur des tabourets, jouent du tam-tam,  sifflant en  rythme, avec des sifflets dans la bouche.

 

 

GROUPE de MANIFESTANTS  (qui scande ) 

 

Non, non, à la torture animale. Norden, nous aurons ta peau. Non non à la torture animale… 

 

(en suédois).

 

EUROPE s’approche en se bouchant les oreilles. Elle arrive vers un JEUNE MILITANT.

 

 

JEUNE MILITANT (élevant la voix) 

 

Cette société utilise des animaux de laboratoire  pour tester ses appareils

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE (élevant la voix) 

 

Mais même un taureau ?

 

 (traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

JEUNE MILITANT (élevant la voix) 

 

Le taureau va leur servir à tester leur nouvelle gamme de saunas amincissants. Le taureau sera d’abord gavé d’aliments gras, qui seront destinés à le faire grossir. Puis il sera soumis à d’épouvantables chaleurs, afin de le faire maigrir

 

(traduire en anglais / mettre sous-titres).

 

 

EUROPE remercie le militant. Elle prend du recul pour évaluer l’imposante hauteur du portail. Comprenons qu’elle est dans une impasse, elle retourne à sa voiture.

 

 

 


 
 
posté le 03-11-2014 à 01:22:20

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 5

 

 

 

 

Scène 150 – VOITURE LOUÉE / ALLÉE chez MONSIEUR CASTILLON – EXT/JOUR

 

Allée qui mène à la propriété de MONSIEUR CASTILLON. EUROPE, dans sa voiture, roule doucement. Elle arrive au portail en forme d’ailes de cygne. Dans un déclic, le portail s’ouvre. La voiture s’engage dans la propriété.

 

 

 

Scène 151 –  VOITURE LOUÉE, COUR de PARC chez MONSIEUR CASTILLON – EXT/JOUR

 

La voiture arrive dans une grande cour au milieu d’un parc arboré et dans lequel se trouve un splendide manoir du XVIII ème siècle, légèrement surélevé sur un socle d’escaliers en pierre blanche. Devant le manoir, une calade de galets formant une vaste terrasse, délimitée par des balustres et ornée de potiches. EUROPE sort de la voiture en laissant la portière ouverte et scrute les hautes portes-fenêtres du manoir, en espérant y voir MONSIEUR CASTILLON. Une porte fenêtre s’ouvre, mais il s’agit d’un DOMESTIQUE en livrée blanche, qui descend les marches, hâtivement, sans la regarder. Elle croit, malgré tout, que le DOMESTIQUE vient lui parler, mais celui-ci s’engouffre par l’ouverture de sa portière et s’installe à la place du conducteur. EUROPE va à l’autre fenêtre pour essayer de lui parler.

 

 

EUROPE 

 

Mais que faites-vous ?

 

 

DOMESTIQUE 

 

Comme me l’a demandé Monsieur, je m’occupe d’aller ranger la voiture de Madame dans son garage personnel. 

 

 

EUROPE, par la fenêtre remarque les cartes, papiers d’emballage et miettes de pain qui salissent l’intérieur de son véhicule. Elle tord ses lèvres, se sent honteuse, mais recule néanmoins, pour laisser partir sa voiture. Elle se retourne vers le manoir. La porte-fenêtre s’ouvre à nouveau. Il s’agit cette fois de L’INTENDANTE : une vieille femme portant un châle sur ses épaules. EUROPE monte les marches pour aller à la rencontre de la vieille femme.

 

 

L’INTENDANTE (les mains tenant son châle) 

 

Bonjour Madame. Je suis Madame Tramoisy, l’intendante de ce domaine. Monsieur Castillon m’a chargée de vous recevoir. Il n’a pas encore tout à fait fini son travail. 

 

 

L’INTENDANTE tient la porte ouverte pour EUROPE, qui entre dans le manoir.

 

 

 

Scène 152 –  SALLE DE BILLARD MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/JOUR

 

Manoir. EUROPE regarde les moulures du plafond, puis les boiseries, panneaux sculptés ornés de rinceaux et de gerbes fleuries. Elle fait progressivement descendre son regard, jusqu’à l’élément central de la pièce : un billard. L’INTENDANTE lui désigne un canapé Régence aux pieds galbés. 

 

 

L’INTENDANTE

 

Asseyez-vous ici, je vais prévenir Monsieur Castillon. 

 

 

EUROPE, après hésitation, s’assoit sur le canapé. Elle se retrouve seule dans la pièce. A cause de la bassesse du canapé, elle ne peut pas apercevoir le dessus du billard. A côté d’elle, un faune sur un acrotère grec. En se penchant, elle réussit à apercevoir l’enfilade des salles, mais la demeure semble étrangement silencieuse. Elle libère un soupir d’impatience. Puis un léger bruit de porte. MONSIEUR CASTILLON entre dans la salle.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (distant) 

 

Bonjour Mademoiselle…

 

 

EUROPE se lève aussitôt.

 

 

EUROPE

 

Bonjour Monsieur Castillon. Je voulais vous dire que j’étais vraiment désolée…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (distant/ interrompt) 

 

Allons dans mon boudoir.

 

 

MONSIEUR CASTILLON sort de la salle de billard suivi de la jeune femme.

 

 

Scène 153 – BOUDOIR MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/JOUR

 

Le boudoir. Les mêmes boiseries. Des moulures. Au-dessus des portes, des colombes sculptées entre fleurs et rubans. Des représentations de vases de fleurs et coupes de fruits sur les panneaux de bois. Entre deux hautes fenêtres sont représentés une lyre et une corne d’abondance. Pour le reste, des évocations plus abstraites, avec oves, rinceaux et trophées. MONSIEUR CASTILLON désigne un coin de la salle, dans lequel un canapé d’angle, en cuir noir, anachronique est assorti à une table basse blanche, en marbre de Carrare.

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Asseyons-nous ici.

 

Ils s’assoient sur le canapé noir. Le reste du mobilier, en bois sculpté doré, reprend le style Régence. Des fauteuils cannés, guéridons en hêtre sculpté, une bibliothèque murale, une console avec dessus, une pendule de caractère, surmontée d’une cloche et de son jacquemart. 

 

 

EUROPE 

 

Je suis vraiment désolée ! Même si je n’ai pas tenu ma promesse, je n’ai pas cherché à agir contre vous. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (d’un ton glacé)

 

Vous ne m’avez ni cru, ni fait confiance.

 

 

EUROPE 

 

Je n’avais pas le choix. Je me suis rendu compte qu’il fallait que je rencontre ce taureau. Sans quoi il m’était impossible de me faire un jugement précis sur cette affaire.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Dans ce cas, il fallait me prévenir.

 

 

EUROPE 

 

Mais j’étais déjà partie !

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Allons… Vous n’allez pas me faire croire que votre petite virée dans le Nord n’était pas destinée, dès le départ, à rencontrer cet animal.

 

 

EUROPE

 

J’admets. Je ne savais si j’allais en avoir le courage. Mais je m’étais fait de fausses idées sur vous. Je vous croyais entièrement responsable, mais je me suis rendu compte que nous en étions, l’un comme l’autre, au même point. Je comprends que vous ayez envie de protéger la vie de ce taureau. L’abattre ne permet pas de résoudre le mystère de son comportement. Il reste, de toute façon, un animal d’exception. Et à présent, je pense même que vous avez mené l’affaire avec brio. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous avez donc constaté qu’il réagissait par rapport à vous ? 

 

 

EUROPE (en laissant tomber son regard)

 

Oui, je l’ai constaté.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous l’avais bien dit. 

 

 

EUROPE 

 

A présent, je n’en doute pas.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en frottant ses mains sur les jambes de son pantalon) 

 

Bien… 

 

(réconforté)

 

Que diriez-vous d’un petit cocktail maison ? Avec curaçao, rhum blanc, lait de coco, liqueur de banane et…

 

 

EUROPE (interrompant/le regard fixé sur le visage de son hôte)

 

Est-ce que vous me pardonnez ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

A condition que vous fassiez honneur à mon cocktail.

 

 

EUROPE

 

Oh, mais c’est vous qui  faites honneur !

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Dans ce cas, deux cocktails maison.

 

 

EUROPE marque d’un sourire et d’un mouvement de tête son approbation.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous allez voir, c’est très rafraîchissant.

 

 

EUROPE

 

Mais… votre personnel n’est pas au courant. Voulez-vous que je me charge de le prévenir ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est gentil de votre part de vouloir jouer les dames de maison, mais mon personnel est déjà informé.

 

 

EUROPE (d’un air taquin) 

 

Ah… Mais vous aviez donc déjà tout prévu !

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais pas du tout !

 

Surprise, EUROPE se redresse.

 

 

EUROPE

 

Alors, comment peuvent-ils savoir ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en posant un bras sur un canapé) 

 

Il y a ici des micros qui permettent de retransmettre mes propos à tout moment, dans les cuisines.

 

 

EUROPE (raidie par la nouvelle) 

 

Vous voulez dire que nos propos et tout ce que je viens de dire à l’instant ont été entendus dans vos cuisines ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON  (en se redressant) 

 

Au premier abord, ça peut paraître un inconvénient. Mais cet inconvénient n’est rien à côté des avantages que cela procure. Je n’ai pas besoin d’appeler, ni de me déplacer pour demander quoi que ce soit et le service est tout de suite plus rapide. De plus, c’est une sécurité très utile dans de multiples situations.

 

 

EUROPE 

 

Je veux bien le croire, mais cela ne vous gêne pas que votre vie privée et que tout ce qui  puisse vous être personnel, tombent dans des oreilles étrangères ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

  Des oreilles étrangères, c’est beaucoup dire… Croyez-vous que l’on puisse vraiment cacher quelque chose à son personnel ? 

 

(moue dubitative d’EUROPE). 

 

S’il n’y avait pas ce système-là, alors les gens d’ici apprendraient les nouvelles en écoutant aux portes. Là, au moins, ça a l’avantage d’être clair. Et plus on cache aux autres et plus les autres ont envie de savoir.

 

(EUROPE se laisse emporter par un éclat de rire). 

 

Qu’avez-vous ? Vous n’êtes pas d’accord ?

 

 

EUROPE 

 

Mais c’est que tout de même, il existe des moments particulièrement intimes…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Cela veut-il dire que vous avez déjà songé à avoir ce genre d’intimité avec moi ?

 

 

EUROPE (le regard coulissant) 

 

Je pense qu’il n’est pas impossible que ça arrive. 

 

 

Les pupilles de MONSIEUR CASTILLON se remplissent d’un scintillement de bonheur.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Maintenant, vous savez. Il n’y a qu’à demander de débrancher…

 

Un frappement fait se redresser MONSIEUR CASTILLON. Une JEUNE FILLE coiffée d’un chignon entre en poussant une desserte. Sur la desserte, deux verres avec un seau en argent. Dessous, des bouteilles.

 

 

JEUNE FILLE 

 

Et voici, pour Monsieur et Madame, le cocktail maison. 

 

(Elle dépose avec prudence les verres sur la table). 

 

Si Monsieur ou Madame souhaitent un complément, ils n’auront qu’à se servir avec la louche que voici dans ce petit seau. Et s’ils souhaitent modifier leur mélange, ils ont, dans la partie du dessous, toutes les bouteilles nécessaires… Faut-il autre chose à Monsieur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Non rien d’autre, ça ira. Je vous remercie.

 

 

La JEUNE FILLE s’éloigne à reculons avant de disparaître. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en levant son verre)

 

A notre futur !

 

 

EUROPE 

 

Oh… Vous êtes un peu rapide…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

C’est bien une réaction féminine. Toutes les femmes veulent faire languir les hommes. Mais avez-vous pensé, vous les femmes, que si ça va trop vite pour vous, c’est que ça va trop lentement pour nous, les hommes ?

 

 

EUROPE 

 

Eh bien, c’est quand même nous les femmes qui avons raison.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Et pourquoi ça ?

 

 

EUROPE 

 

Parce qu’en allant plus lentement, nous arrivons quand même en premier. C’est comme avec la tortue de Monsieur La Fontaine. Parce que vous, vous êtes des lièvres…

 

 

MONSIEUR CASTILLON  se met à rire à gorge déployée.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (enthousiaste) 

 

Quelle personne surprenante vous faites. Quel caractère et quelle finesse d’esprit vous avez… C’est extraordinaire… 

 

(Il la regarde dans les yeux). 

 

De toute façon, je n’avais pas précisé quel genre de futur. 

 

 

EUROPE (lève son verre à son tour)

 

Alors, à notre mystérieux avenir. (Elle goûte une gorgée). Ouh la ! J’ai l’impression que vous voulez déjà me faire tourner la tête.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous n’aimez pas ?

 

 

EUROPE 

 

Oh si… C’est tout à fait succulent.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (le verre tenu entre deux doigts) 

 

Vous croyez, sans doute, ne pas avoir encore rencontré l’homme qui vous rendra heureuse, mais peut-être que la seule chose qui fait de l’ombre à votre bonheur, c’est ce taureau blanc, qui vous manque… 

 

 

EUROPE 

 

J’ai besoin de savoir quel est mon destin.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais remarquez-vous déjà que votre destin vous rapproche irrémédiablement de moi ? 

 

 

EUROPE

 

C’est possible. Je ne dis pas le contraire.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Et moi, je dis que ce taureau, qui est si mal vu en ce moment, pourrait devenir, pour vous, le meilleur des porte-bonheur. 

 

 

EUROPE (en abaissant le regard)

 

J’aimerais bien le croire…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Alors, pourquoi refusez-vous de croire ce qui vous ferez plaisir ?

 

 

EUROPE prend une nouvelle gorgée de son cocktail et pose son verre.

 

 

EUROPE 

 

Peut-être que mes sentiments, dans le futur, pourront changer en votre faveur. Mais certains points de ma vie continuent de rester obscurs et, surtout, j’ai encore du mal à vous croire. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais je vous ai déjà proposé de me mettre à l’épreuve. Et n’ai-je pas réussi à accomplir ce que vous m’avez demandé ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, je sais bien. Mais comme je vous l’ai déjà expliqué, cela n’a pas suffi à me convaincre. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Pourtant, quel autre pouvoir que celui d’un talisman, aurait pu produire un tel résultat ?

 

 

EUROPE 

 

Le problème, c’est qu’on ne peut pas être vraiment convaincu, quand ce n’est pas juste sous vos yeux, de manière concrète. (Elle réfléchit). Oui, c’est ça… Il faudrait que je puisse voir directement et même toucher. Et si c’était, par exemple, un objet parfaitement impossible… je serai vraiment obligée d’admettre qu’il est devant moi…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Demandez-moi la lune, si vous voulez… ou un bout du moins.

 

 

EUROPE

 

Un bout de lune, ce n’est pas impossible. On en a déjà ramassé des échantillons, que je sache…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Alors, la Toison d’or…

 

 

EUROPE 

 

La Toison d’or ? 

 

(Elle regarde le fond de son verre qui est presque vide). 

 

Cela voudrait dire quoi ? Actuellement, avec tous les procédés chimiques qui existent, je ne serais pas étonnée qu’on change de la laine en or…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Alors quoi d’autre ? Le Graal 

 

 

EUROPE 

 

Le Graal… Expliquez-moi comment je vais réussir à distinguer la coupe du Graal, de n’importe quels autre coupe ou ciboire de luxe ? Si ça se trouve vous n’auriez qu’à chercher dans votre argenterie. 

 

(Elle se met à rire, puis redresse la tête, saisie par une pensée). 

 

Cependant, vous me faites penser à quelque chose.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est vrai ? A quoi ?

 

 

EUROPE 

 

En Autriche, à Wien, il existe un musée qui regroupe les trésors de la famille impériale des Hasbourg. Ce musée est tellement envahi par les touristes qu’il faut être à la première heure si on veut voir les pièces essentielles de la collection, et c’est ce que j’ai fait, un jour. Parmi les pièces essentielles, il existe deux reliques totalement mythiques et très bien protégées. La première s’appelle La Licorne, mais il ne s’agit que d’une représentation, en taille réelle, de la corne de l’animal légendaire. L’autre pièce est une coupe en agate, datant de l’époque antique et que beaucoup considèrent comme étant le vrai Graal. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous voulez que je fasse venir, jusqu’à vous, ces deux reliques ?

 

 

EUROPE 

 

Et bien, compte tenu de vos prétentions, je pourrais m’étonner, Monsieur Castillon, que ces deux reliques ne soient pas déjà chez vous ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Et pourquoi ça ?

 

 

EUROPE 

 

Parce que ces deux reliques, depuis le XVI ème siècle, sont considérées comme des talismans.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Des talismans ? Et quel pouvoir on leur attribue ? De protéger le pays ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est tout à fait ça.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais ma parole, ils doivent être certainement d’une très belle efficacité !

 

 

EUROPE

 

Alors, pourquoi ne sont-ils pas déjà chez vous ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en levant les bras) 

 

Pourquoi ? pourquoi ? Mais vous connaissez déjà mon défaut. Je vais toujours chercher très loin, ce que je peux trouver plus près !

 

 

EUROPE 

 

Êtes-vous sûr que c’est la vraie raison ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Et pourquoi ça ne le serait pas ?

 

 

EUROPE 

 

Pourquoi ? Mais parce que depuis le XVIème siècle ces deux reliques ont une interdiction absolue de quitter le territoire autrichien et sont également interdites d’image.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Cela ne m’effraie pas.

 

 

EUROPE 

 

Vous voulez dire que cela vous paraît possible de vous les procurer ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Tout à fait, si vous me motivez à le faire. 

 

 

EUROPE 

 

Mais vous allez provoquer une révolte dans tout un pays !

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il ne faudra pas que cela s’ébruite, évidemment. Un bon prétexte et quelques pièces de remplacement devraient pouvoir faciliter notre affaire.  

 

 

EUROPE 

 

En ce qui me concerne, je dois vous prévenir tout de suite. Vous ne pourrez pas me tromper avec des copies ou artefacts.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais que voulez-vous que je fasse, moi-même, de copies de talismans ? 

 

 

EUROPE 

 

Et je tiens à vous préciser que ces expertises devront être réalisées par mes propres soins. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais si vous y tenez ! 

 

 

EUROPE arrête son regard sur le visage de son hôte, afin de s’assurer qu’il parle sérieusement.

 

 

EUROPE

 

Je n’en reviens pas ! Vous prétendez, avec un parfait aplomb, faire venir dans votre domaine les joyaux les plus protégés de l’héritage impérial des Habsbourg ! Est-ce votre cocktail qui vous incite à faire de telles déclarations ? 

 

Elle se met à rire.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (sérieux)

 

Est-ce le vôtre, de cocktail, qui vous incite à rire de ma proposition très sérieuse ? Je pense même pouvoir vous procurer ces deux trésors dans des délais très rapides. 

 

 

EUROPE 

 

Admettez quand même que vous allez rencontrer des difficultés et vous heurter à des obstacles…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

En effet, il y a un obstacle auquel je me heurte déjà. Je ne sais pas ce que cela peut entraîner comme décision, de votre part.

 

 

EUROPE (le regard vague) 

 

Comme décision ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Est-ce que cela sera le dernier défi ou en faudra-t-il encore un autre après ? 

 

 

EUROPE (en regardant vers une porte-fenêtre à l’autre bout de la pièce) 

 

Non ce sera le dernier. Vous m’autorisez à me lever ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais oui, bien sûr…

 

 

Son verre à la main, EUROPE quitte le canapé de cuir, traverse le boudoir et s’arrête devant une des porte fenêtres.

 

 

EUROPE (regarde la vue) 

 

C’est calme, c’est agréable…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Vous n’aurez rien de mieux ailleurs.

 

Dans une soudaine virevolte, elle fixe son hôte.

 

 

EUROPE 

 

Des fiançailles, ça vous va ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (surpris)

 

Vous acceptez donc ?

 

 

EUROPE 

 

Oh, mais c’est à vous d’accepter.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Comment ça ? Je dois vous préciser que je vous accepte comme ma fiancée ?

 

 

A son tour, MONSIEUR CASTILLON se lève. Souriant, il porte les bras vers l’avant et se dirige vers son invitée. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais ma belle Europe… Comment je pourrais refuser une fiancée comme vous ? 

 

(Il baisse les bras).

 

Voulez-vous que je m’occupe de la bague ?

 

 

EUROPE  

 

Oh non, pas encore…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Quant au taureau, je viens d’avoir une idée.

 

 

EUROPE (étonnée) 

 

C’est vrai ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Pourquoi ne pas le faire retourner dans son pays d’origine ?

 

 

EUROPE

 

Mais oui ! Vous avez tout à fait raison… Sa véritable place est au Portugal. Et vous acceptez de vous occuper de ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Dès demain, mais à une condition.

 

 

EUROPE 

 

  Et quelle est cette condition ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Que vous restiez ce soir, pour le dîner.

 

 

EUROPE (avec un sourire attendri) 

 

Mais… Avec plaisir…

 

 

 

Scène 154 – SALLE A MANGER,  MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/NUIT

 

Salle à manger du manoir de MONSIEUR CASTILLON. Dans un plan rapproché, EUROPE est à un bout de table, le dos à une porte-fenêtre. Elle mange un potage. Un SERVEUR aux GANTS BLANCS et tenant un journal sur un plateau, va à sa rencontre et se penche pour lui parler.

 

 

SERVEUR aux GANTS BLANCS 

 

Monsieur Castillon demande à Madame, si le velouté aux poireaux et écrevisses, lui convient.

 

 

EUROPE 

 

Dites-lui que je le trouve délicieux.

 

 

SERVEUR aux GANTS BLANCS (en présentant le plateau avec le journal) : Par ailleurs, Monsieur Castillon vous propose un peu de lecture, si vous le souhaitez, pour pouvoir  patienter agréablement entre deux plats. Cette revue, qui s’intitule : « Si j’étais pauvre » est le bi-quotidien auquel est abonné Monsieur Castillon.

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce que ça veut dire : « bi-quotidien » ?

 

 

SERVEUR aux GANTS BLANCS : Cela veut dire, Madame, qu’il y a deux parutions par jour. L’une le matin, vers les 8 heures et l’autre, le soir, vers les 19 heures. Et la revue : « Si j’étais pauvre… » dispose d’un service spécial de distribution, qui permet à tous les abonnés, comme Monsieur Castillon, d’avoir des nouvelles fraîches deux fois par jour. 

 

 

EUROPE

 

Vous remercierez Monsieur Castillon. Mais vous lui direz aussi que je n’aime pas mélanger la fraîcheur des nouvelles avec la fraîcheur du repas. Dites-lui également, qu’au moment du repas, je préfère les discussions de vive voix, plutôt que la lecture. 

 

 

Dans un contre-champ, le SERVEUR aux GANTS BLANCS s’incline, puis s’éloigne et va à l’autre extrémité d’une table immensément longue, au bout de laquelle MONSIEUR CASTILLON mange son potage. Le serveur se penche vers MONSIEUR CASTILLON qui arrête ses mouvements de cuillère pour écouter. MONSIEUR CASTILLON transmet un message à son tour, au domestique qui, se redresse et revient vers EUROPE.

 

 

SERVEUR aux GANTS BLANCS (présente  à nouveau le plateau avec le journal) 

 

Monsieur Castillon me charge de vous dire qu’il vous recommande vivement de consulter ce numéro de la revue : « Si j’étais pauvre », car il me dit que cette revue contient une information toute fraîche, qui pourrait beaucoup vous intéresser et même vous concerner.  

 

EUROPE prend la revue et l’ouvre. Elle a un sursaut en remarquant un article. Elle se met à lire à voix basse. 

 

 

VOIX off d’EUROPE 

 

« A la faveur de la nuit, usant cordes et baudriers, les activistes étaient partis à l’assaut de la forteresse… »

 

 

 

Scène 155 – SOCIÉTÉ NORDEN EN SUÈDE –  EXT/NUIT

 

Suède. A l’intérieur de l’enceinte de la société NORDEN. Des activistes avec des cagoules et foulards attaque des ouvertures de bâtiments avec des pieds-de-biche et tenailles. L’activiste qui est en tête, tient une lampe de poche. Le lieu est mal éclairé. Des fenêtres sont fracassées, des fils arrachés. Une porte est dynamitée. Un singe s’échappe d’un local, en poussant des cris… Une partie de sa tête qui est rasée, montre une cicatrice. Entre deux bâtiments, dans l’ombre, une barrière est soudainement projetée. Apparaît le taureau blanc. Le taureau se jette sur l’activiste qui tient la lampe de poche. La lampe de poche roule par terre. 

 

 

VOIX off d’EUROPE

 

« Sitôt libéré, le taureau n’avait exprimé aucun signe de reconnaissance envers ses héroïques libérateurs, préférant défendre la cause de Norden, plutôt que la sienne. Sans doute le syndrome de Stockholm, puisque l’on n’était pas très loin de la ville en question. »

 

 

 

Scène 156 – SALLE A MANGER, MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/NUIT

 

 

EUROPE (lisant à voix basse) 

 

L’activiste ne fut pas la seule victime. Il y en eut deux autres, en dehors de l’enceinte. Deux marins. Ces marins, toute leur vie, s’étaient beaucoup méfiés de la mer, des iceberg, des tempêtes, du froid… Des orques, quelques fois, mais jamais des taureaux.

 

 

SERVEUR aux GANTS BLANCS (à EUROPE) 

 

Monsieur Castillon tient aussi à s’expliquer au sujet de la longue table. Il pense que quand on a l’occasion partager une table avec une personne aussi agréable et ravissante que Madame, il faut que cette table soit la plus belle et la plus grande possible.

 

 

EUROPE  (au SERVEUR aux GANTS BLANCS)

 

Dites à Monsieur Castillon que, finalement, je garde sa revue.

 

 

EUROPE  pose la revue près de son assiette. Le domestique s’éloigne. 

 

 

Scène 157 – BUREAU DIRECTEUR BATIMENT de LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. Assise sur la chaise habituellement réservée à PIERRE GERMONT, EUROPE, devant l’ordinateur, fait de la saisie informatique. Elle ferme l’ordinateur, rassemble ses feuilles et se lève. Elle quitte la pièce et referme derrière elle. En dernier plan, la porte avec le bruit de la clef dans la serrure.

 

 

 

Scène 158 –  SECRÉTARIAT DE LINGUISTIQUE – INT/JOUR

Secrétariat de linguistique. La porte du secrétariat est ouverte. La secrétaire MARTINE, derrière un bureau, effectue une comptabilité. Elle lève la tête. EUROPE, qui est dans le couloir, arrive vers elle. 

 

 

EUROPE (tend une clef) 

 

Tenez, Martine. Je vous laisse la clef du bureau de linguistique. Je dois rejoindre le séminaire de Monsieur Verneuil

 

 

 

Scène 159 – SALLE de THÉÂTRE –  INT/JOUR

 

Salle du séminaire de MONSIEUR VERNEUIL, avec l’estrade qui occupe une partie de la pièce. MONSIEUR VERNEUIL se tient près de la porte d’entrée, qui est entrouverte. Il discute avec des étudiants. Sur les chaises, d’autres étudiants sont assis, dont LEILA. (Mêmes figurants que séquence 50). Bruit de quelqu’un qui frappe. EUROPE agrandit un peu plus l’ouverture de la porte et entre dans la salle. MONSIEUR VERNEUIL délaisse ses interlocuteurs pour aller à sa rencontre. Ils se serrent la main.

 

 

EUROPE 

 

Je vous assure, Monsieur Verneuil, j’ai vraiment été très confuse de ne pas vous avoir prévenue de mes absences. Je sais que j’ai eu un comportement complètement irresponsable. Mais je me suis retrouvée dans une affaire très compliquée, qui m’a complètement déboussolée.

 

 

MONSIEUR VERNEUIL 

 

Écoutez, ce n’est pas grave, Mademoiselle Spartanikès. L’essentiel est que vous soyez là aujourd’hui. Vous n’avez plus beaucoup de temps, maintenant, pour faire des progrès, mais c’est à vous de décider de vous y mettre. Personnellement, je ne peux rien faire pour vous aider, si vous sentez que ce travail n’est plus une priorité pour vous.

 

 

EUROPE 

 

Oh mais si… Je tiens beaucoup à faire des progrès, je vous assure, Monsieur Verneuil. Maintenant, je vous promets, je me concentre essentiellement sur ce sujet-là et je vais faire tout mon possible pour rattraper mon retard.

 

 

MONSIEUR VERNEUIL 

 

Bravo Mademoiselle ! C’est déjà bien si les intentions y sont. J’attends de voir les résultats. Vous pouvez vous asseoir. Le cours commence seulement dans quelques minutes.

 

 

EUROPE avance entre les chaises. Elle remarque LEILA et vient s’asseoir à côté d’elle.

 

 

EUROPE 

 

Alors, finalement, vous êtes toujours là ?

 

 

LEILA

 

Oui, c’est pas facile. Mais je m’accroche. Et vous ? Vous avez laissé tomber ?

 

 

EUROPE 

 

Non. J’ai simplement préféré partir.

 

 

LEILA

 

Moi, j’aurais bien aimé partir. Me faire des petites vacances au soleil. Revoir mon village de là-bas. Le bled, comme on dit. Mais le voyage était trop cher. Alors, c’était quoi, la solution ? Venir ici, pour me perfectionner. 

 

 

EUROPE (ébahie) 

 

En tout cas, vous avez fait de drôles de progrès. 

 

 

LEILA 

 

Oui, mais ça n’est pas encore très naturel. A chaque fois que je parle, je dois réfléchir et faire des efforts pour pas reproduire mes fautes. Toujours, il me faut réfléchir et faire des efforts.

 

 

EUROPE

 

Je suis enseignante ici. Enfin, du moins, je vais l’être à partir de la rentrée. C’est moi qui devrais vous donner l’exemple et pourtant, c’est vous qui me le donnez… 

 

 

LEILA 

 

Ah, vous êtes enseignante ?  Vous enseignez quoi ?

 

 

EUROPE 

 

La linguistique.

 

 

LEILA 

 

La linguistique ? Je ne sais même ce que ça veut dire, ce mot.

 

 

EUROPE

 

La linguistique, ce sont les sciences du langage. Le séminaire que nous donne Monsieur VERNEUIL, fait partie du domaine de la linguistique.

 

 

LEILA 

 

Et c’est pour votre travail que vous venez ici ?

 

 

EUROPE

 

Oui, tout à fait.

 

 

LEILA 

 

Alors toutes les deux, c’est pareil. Moi aussi, c’est pour le travail.

 

 

EUROPE 

 

Je suis certaine qu’on va plus facilement vous accepter. J’ai remarqué, maintenant, que vous vouvoyez…

 

 

LEILA 

 

Oui, j’ai appris que parfois ça ne se faisait pas du tout. Mais moi je ne le savais pas ! Dans la culture d’origine de mes parents, le vouvoiement ça n’existe pas et dans leur village, là-bas, tout le monde se tutoie. Et même les personnes importantes ! 

 

 

EUROPE

 

Ici, c’est très différent… Ça peut être perçu comme un manque de respect.

 

 

Bruit de quelqu’un qui frappe. EUROPE se retourne et voit la secrétaire MARTINE. MARTINE la remarque à son tour et lui fait signe de venir.

 

 

LEILA 

 

Mais moi je ne pensais pas du tout que c’était irrespectueux à ce point-là. Je pensais que c’était juste une petite nuance dans la langue. Après, quand j’ai appris, j’ai eu honte…

 

 

EUROPE (en se levant) 

 

Excusez-moi. Je vous laisse un instant.

 

 

EUROPE se faufile entre les chaises pour rejoindre la secrétaire dans le fond de la pièce. Celle-ci tient une enveloppe à la main.

 

 

MARTINE (A voix basse / en remettant l’enveloppe) 

 

C’est un télégramme pour vous. Tenez.

 

 

 

Scène 160 – SALLE DE BILLARD, MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/JOUR

 

Salle de billard du manoir de MONSIEUR CASTILLON. MONSIEUR CASTILLON fait seul une partie de billard. Penché sur le billard, il est concentré sur son prochain coup. EUROPE se tient debout près de lui.

 

 

EUROPE 

 

Monsieur Castillon, je vous en conjure ! Ne m’envoyez plus de télégramme à l’université. Il existe actuellement tellement d’autres moyens de me prévenir… 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Je trouve pourtant que la méthode employée correspond tout à fait à la nouvelle. 

 

(Il tape sur la boule)

 

Et voici un carreau…

 

 (Il se redresse, jette un regard vers EUROPE). 

 

Vous devriez vous asseoir.

 

 

EUROPE regarde derrière elle et remarque le canapé Régence où elle avait patienté la fois précédente (séquence 152). Elle s’assoit. MONSIEUR CASTILLON contourne la table de billard pour avoir la place qui lui permet la meilleure stratégie de jeu. 

 

 

EUROPE

 

Cette nouvelle a de l’importance, je suis d’accord, mais elle n’a rien d’urgent.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Tout ce qui est important est urgent.

 

Il reprend position pour jouer.

 

 

EUROPE

 

Ah oui ? Je considère que le jour de mon enterrement sera un moment important. Et pourtant, je ne tiens pas à ce qu’il soit urgent.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en se redressant) 

 

Mais qu’est-ce qu’il vous prend ?

 

 (Un sourire apparaît sur le coin de ses lèvres). 

 

Je vous fais venir pour des fiançailles et vous me parlez d’enterrement, vous qui, de toute façon, êtes éternelle ! Vous permettez un instant. Je tente un coulé.

 

 

MONSIEUR CASTILLON s’incline au-dessus de la table et positionne sa queue de billard. EUROPE tente de d’apercevoir le jeu en redressant la tête, mais elle ne voit rien à cause de la position trop basse du canapé. Bruit de boules qui s’entrechoquent. MONSIEUR CASTILLON se redresse et affiche un air satisfait.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Voilà qui est fait !

 

 

EUROPE 

 

Vous avez dû dépenser une fortune.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Dépenser ? Vous voulez plutôt dire : obtenir. 

 

(Il redresse la queue de billard pour tailler la craie du bout). 

 

Me voilà à présent détenteur du plus inestimable des trésors. Le Graal… à la source des plus belles légendes de notre monde !

 

 

EUROPE 

 

Et bien, je suppose que ça doit être formidable, pour vous, que vos dépenses les plus somptueuses ne risquent en rien d’ébranler l’édifice.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je ne fais que remplacer un investissement par un autre. En quoi y a-t-il une dépense ? Je n’ai rien dépensé du tout, je vous dis !

 

 

EUROPE 

 

Vraiment ? Alors, vous ne faites que troquer ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Et bien, si vous voulez…

 

 

MONSIEUR CASTILLON reprend une position pour jouer. EUROPE adopte un air pensif.

 

 

EUROPE

 

C’est curieux, car la perception de l’argent change totalement selon les moyens qu’on a. En fin de compte, la frénésie pour l’argent existe surtout chez ceux qui en ont le plus besoin. Mais pas pour ceux qui en ont, comme vous. Vous, vous dépensez des fortunes sans inquiétude. Cela vous paraît banal. Les échanges restent invisibles. Vous avez toujours la même demeure, les mêmes voitures, le même personnel et, je suppose aussi le même aéroport privé où se trouve votre avion… Et cependant, vous voilà détenteur d’un nouveau trésor.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est normal, car je pioche dans la partie inutile de mes investissements.

 

 (Il tape sur la boule)

 

  Ah zut ! Raté… 

 

 

EUROPE 

 

Et pensez-vous qu’en piochant, vous atteindrez un jour le fond ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en se redressant) 

 

Le fond ? Vous voulez plutôt parler de la cime…

 

 

EUROPE

 

Parce que vous continuez encore à vous enrichir ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Forcément. Plus les investissements sont importants et plus ils rapportent. Et plus ils rapportent…

 

 

EUROPE (quitte le canapé) 

 

Vous voulez dire qu’il existe une spirale aspirante ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Cela vous étonne ? Mais le pouvoir de l’argent, c’est justement ça !  

 

 

MONSIEUR CASTILLON décide encore de changer de place. Mais il hésite). Avec l’argent, n’importe quoi d’insignifiant peut acquérir une valeur phénoménale. Et inversement, si vous le souhaitez. Et si vous pouvez transformer n’importe quel objet sans qualité en objet de culte, et je ne parle pas des personnes, cela vous rapporte encore bien plus. Et ainsi de suite. MONSIEUR CASTILLON finit par trouver le bon angle et se positionne devant la boule blanche.

 

 

EUROPE 

 

Alors, cela veut-il dire que vous n’aurez jamais la possibilité de toucher à une bonne partie de votre fortune ? 

 

 

Image de la boule blanche, propulsée par la queue, qui heurte une autre boule. L’autre boule cogne un rebord, puis un autre avant de s’immobiliser. MONSIEUR CASTILLON  redresse la tête et fixe un instant le visage de son invitée.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Et comment voulez-vous que ça soit possible, si déjà je ne peux pas m’empêcher de m’enrichir ? 

 

 

EUROPE

 

Vraiment ? Et savez-vous au moins quel pourcentage de votre fortune réussirez-vous à utiliser pour vous-même ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Pour moi-même et pour mes proches, vous voulez dire… Pas plus de 30% c’est certain…

 

 

EUROPE (prend appui contre le billard) 

 

Est-ce que cela veut dire que vous ne pourrez jamais toucher à 70% de votre fortune ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ma chère Europe, je ne vais pas vous reprendre sur un calcul aussi simple.

 

 

MONSIEUR CASTILLON pense poursuivre sa partie, mais il se rend compte que son invitée occupe la place de son prochain angle de frappe. 

 

 

EUROPE 

 

Oui, mais moi cependant, je peux vous reprendre sur ce que vous venez de me dire. Pourquoi ne choisissez-vous pas, tout simplement, de vous débarrassez des 70% que vous n’utiliserez jamais ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (irrité) 

 

Mais… vous ne comprenez pas… Ces 70% feront 70% si je ne touche à rien.

 

 

EUROPE

 

Oui et de la même façon que si vous vous débarrassez des sommes auxquelles vous êtes sûrs de ne jamais toucher, vous aurez alors une probabilité d’utiliser 100% de votre argent restant.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Parce que vous voudriez me voir comme un simple consommateur ? Vous voudriez me voir faire partie de cette caste de gens qui ne pensent qu’à consommer du matin jusqu’au soir, sans avoir d’autres buts dans la vie ? Être, autrement dit, comme une vache qui s’engraisse sous le soleil ? Mais je ne veux pas d’une existence comme celle- là ! Je veux que l’argent soit autre chose que ça ! je vous l’ai déjà dit, d’ailleurs… Pour moi, l’importance de l’argent est d’être un pouvoir. Pourriez-vous reculer, s’il vous plaît ?

 

 

EUROPE (en s’écartant) 

 

Mais comment la partie de votre fortune qui vous est inutile, pourrait-elle correspondre, pour vous, à un pouvoir ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en levant les bras) 

 

Parce que votre pouvoir, c’est ce que vous pesez financièrement.

 

 

EUROPE 

 

Mais si ce poids vous est inutile…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais même inutile, un poids reste un poids ! 

 

(MONSIEUR CASTILLON  prend position pour poursuivre son jeu. Il se redresse et pose la queue de billard contre le mur.) 

 

Voilà, c’est fini. Ça n’a pas été trop long ?

 

 

EUROPE

 

Oh, non…

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Alors, ce que je vous propose, maintenant, c’est de vous conduire jusqu’à ma chambre forte où se trouve notre merveilleux trésor. Vous êtes d’accord ?

 

 

 

Scène 161 – VESTIBULE, MANOIR de MONSIEUR CASTILLON –  INT/JOUR

 

Vestibule du manoir de MONSIEUR CASTILLON. Sous un escalier en marbre vert qui s’enroule autour d’une colonne, dans un entresol, une porte close en fer, équipée d’un écran et d’un clavier aux touches de couleurs. MONSIEUR CASTILLON se dirige vers la porte, puis se retourne pour faire signe à son invitée.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est ici. 

 

(Il descend les marches qui conduisent à la porte et sort une clef. EUROPE avance en regardant le plafond. Elle finit par remarquer, au-dessus de la porte, des caméras. Les doigts de MONSIEUR CASTILLON appuient sur les touches de couleurs. De l’autre main, il ouvre la porte, qui révèle une importante épaisseur). 

 

Entrez donc.

 

EUROPE s’avance vers une entrée qui présente un escalier s’enfonçant dans une pièce tapissée de tentures rouges. Elle montre un air inquiet.

 

 

 

Scène 162 – CAMPUS –  EXT/NUIT

 

Pelouse du Campus. EUROPE et PIERRE GERMONT, assis sur la pelouse, discutent paisiblement. (Reprise d’une partie de la séquence 57).

 

 

EUROPE 

 

Vous pensez que je me mets en danger ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, vous pourriez. Dans ce cas, s’il vous propose un rendez-vous, veillez surtout à ce que celui-ci se fasse dans un lieu extérieur.

 

 

 

Scène 163 – CHAMBRE FORTE / MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/NOIR

 

 EUROPE descend les dernières marches de l’escalier et entre dans la pièce entièrement tapissée de tentures rouges. L’éclairage est uniquement artificiel étant donné qu’il n’y a aucune fenêtre. La pièce est constituée d’une longue table inamovible, sans pied et couverte d’un verre. Par le verre apparaît la lumière d’un éclairage intérieur. Dans un angle, le second meuble est une vitrine, éclairée de l’intérieur, elle aussi. Près de la vitrine, un petit clavier mural, avec des touches numérotées. EUROPE s’approche prudemment de la table lumineuse. Elle se penche et remarque « La corne de la Licorne » : une canine de narval de plus de deux mètres de long. 

 

 

EUROPE 

 

C’est la corne de la licorne ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON (qui arrive dans son dos) 

 

Oui… Jolie, non ? 

 

(EUROPE se tourne pour s’approcher de la vitrine.) 

 

Faites attention de ne pas toucher la vitre. C’est plein de systèmes d’alarme. 

 

 

EUROPE 

 

Et derrière cette vitre ultra protégée, ce serait le Graal qui nous viendrait d’Autriche. Laissez-moi voir au moins…

 

 (Elle se retourne) 

 

En effet, ça  ressemble à ce que j’avais vu à Wien…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous voulez l’avoir entre les mains ?

 

 

EUROPE 

 

Je veux bien.

 

 

MONSIEUR CASTILLON  (en s’approchant du clavier mural). 

 

Laissez-moi d’abord désactiver le système d’alarme.  

 

 

MONSIEUR CASTILLON enfonce une nouvelle clef sous le clavier mural et compose un code en tapotant sur les touches numérotées. Délicatement, il ouvre la vitre du meuble, prend la coupe et la pose entre les mains de son invitée.

 

 

EUROPE (en étudiant l’objet) 

 

En effet, c’est une très belle pièce. De l’époque antique, je n’en doute pas…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Malheureusement, je ne vais pouvoir vous l’offrir. Mais ne vous en faites pas, je saurai me rattraper par la suite.

 

 

EUROPE 

 

Oui, je comprends. Ces pièces font maintenant partie de votre collection de talismans.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui, grâce à vous, ma collection est maintenant de 23 pièces. Et bientôt, avec le taureau, cela fera vingt-quatre.

 

 

EUROPE 

 

Le taureau est-il, comme prévu, retourné dans son pays d’origine ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

En effet, c’est bien ce que j’avais demandé. Mais hélas non. Il est parti en Lituanie.

 

 

EUROPE (avec une intonation de déception) 

 

Oh non ! Mais comment ça se fait ? Vous m’aviez pourtant fait cette promesse !

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Je n’y suis pour rien ! Cela vient de l’erreur d’une administration. Je ne sais pas laquelle. Française, probablement. Il y a eu une confusion entre les terme de deux nationalités : « Lusitanien » et « Lituanien ». Le taureau est donc devenu Lutanien, à la place de Lusitanien. Et maintenant, il est bloqué à Purnuskes.

 

 

EUROPE 

 

Purnuskes, vous dites ? Qu’est-ce que c’est ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Purnuskes est un petit village de rien de tout, en Lituanie au nord de Vilnius. Mais pour certains, Purnukes est un petit village très important, car il serait le centre de gravité de l’Europe. Cela veut dire que si vous prenez l’Europe géographique avec sa partie russe et que vous la faite tomber. Et bien l’Europe tombera sur Purnukes. Voilà où on en est, dans la stupidité des symboles. 

 

(Les mains d’EUROPE ont un instant de tremblement qui font vaciller un moment la coupe). 

 

Quant à vous, faites attention de ne pas faire tomber ce trésor inestimable… 

 

 

EUROPE 

 

Oh, ne vous inquiétez pas. J’y veille comme une mère poule sur son poussin.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Quant à la poule. Heu non, je veux plutôt dire le taureau, les Lituaniens ont décidé de le mettre dans le Parc de l’Europe de Purnukes. Dans ce parc, vous avez plein de sculptures géantes, un peu étranges, qui sont censées parler de l’Europe. 

 

 

EUROPE  

 

Cette erreur administrative est une lamentable méprise ! A cause de ça, les Lituaniens ne savent même pas quel danger ils courent, j’imagine… 

 

(Elle lève la coupe pour la montrer à MONSIEUR CASTILLON). 

 

Alors maintenant, changeons de sujet et expliquez moi comment je fais si je souhaite la faire expertiser.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous voulez seulement faire expertiser la coupe ?

 

 

EUROPE 

 

Oui. Parce que cette dent de narval me paraît intransportable.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais la coupe l’est aussi, intransportable. Je veux dire qu’elle doit être transportée dans des conditions extrêmement particulières.

 

 

EUROPE 

 

Êtes-vous en train de me dire que c’est aux experts, de se déplacer ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Certainement pas ici, en tout cas. Car personne ne doit savoir où se cache un tel trésor. Vous oubliez qu’il est censé appartenir au patrimoine d’un pays étranger. Nous devons donc monter une petite mise en scène qui explique la présence des reliques hors de leur territoire. Pour cela, nous ne devons pas les séparer. Ensuite, pour les déplacer, nous avons besoin d’une voiture blindée et d’une escorte…

 

 

EUROPE (d’un ton vif / en brandissant la coupe vers on hôte) 

 

Tenez !

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Mais que décidez-vous ?

 

 

EUROPE

 

De renoncer…

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en reprenant la coupe avec des gestes prudents) 

 

Mais pourquoi ? 

 

 

EUROPE

 

Parce que c’est impossible que cela se fasse dans de telles conditions. Et en plus, le taureau n’est même pas retourné chez lui. 

 

(Elle fixe du regard son hôte). 

 

Je crois malheureusement qu’il faudra repousser à une date lointaine notre beau projet de fiançailles. 

 

 

Scène 164 – GARE RER – INT/JOUR

 

Gare RER vue dans le miroir d’un photomaton. EUROPE arrive vers le miroir. Devant le miroir, elle vérifie le tracé de son rouge à lèvres, replace quelques mèches. L’angle de vue change au moment où elle laisse le miroir et sort de la gare. 

 

 

 

Scène 165 – COULOIR BÂTIMENT LINGUISTIQUE –  INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Couloir du bureau de linguistique. EUROPE arrive dans le couloir. Elle avance vers la porte du bureau. Une fois devant la porte, elle reprend son souffle et frappe. Elle attend, frappe encore, attend à nouveau. Elle entend un bruit de porte au bout du couloir. Elle reconnaît MARTINE, la secrétaire. MARTINE vient vers elle en tenant une pile de courrier dans une main. 

 

 

MARTINE 

 

Monsieur Germont n’est pas encore là ?

 

 

EUROPE 

 

Non. Je viens de frapper. 

 

 

MARTINE 

 

Moi, je venais lui apporter son courrier. Bon tant pis.

 

MARTINE s’apprête à retourner vers le secrétariat.

 

 

EUROPE 

 

Non… Vous n’avez que me le laisser…

 

 

MARTINE (en se retournant à nouveau) 

 

Vous êtes certaine ?

 

 

EUROPE 

 

Oui. Ne vous en faites pas.

 

La secrétaire remet les lettres à l’assistante, la salue et s’éloigne. EUROPE jette un œil sur le courrier. Elle se dirige vers l’ascenseur, appuie sur le bouton…

 

 

 

Scène 166 – CAMPUS –  EXT/JOUR

 

Campus universitaire. Journée ensoleillée. EUROPE, qui tient toujours le courrier à la main, repère un banc vide près de l’entrée du bâtiment. Le banc est exposé au soleil. EUROPE rejoint le banc et s’assoit. Elle ferme les yeux pour goûter à la douceur des rayons solaires. 

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT

 

Alors ? Ce bain de soleil ? 

 

(EUROPE sursaute. La voix vient de son dos. Elle se retourne et remarque PIERRE GERMONT, dont le teint est un peu hâlé. Le regard d’EUROPE devient rayonnant.) 

 

Vous êtes ma messagère du jour, paraît-il.

 

 

EUROPE 

 

Oh… Mais je ne comprends pas… Par où êtes vous passé ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

J’étais dans les bâtiments, mais dans une salle voisine, avec des collègues, pour planifier nos prochains emplois du temps. Je vous ai entendu arriver.

 

 

EUROPE

 

Comme j’ai cru que vous n’étiez pas là, j’ai pensé que je serais mieux à vous attendre ici.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Faites voir si on y est bien… 

 

(Il prend place sur le banc, auprès de son assistante, étend un bras sur le dossier derrière le point d’appui de la jeune femme). 

 

C’est vrai, on n’y  est pas mal du tout. Puisque je vous tiens, je dois vous parler d’une réunion de prérentrée, qui aura lieu le 5 septembre, à 14 heures, en A2.

 

 

EUROPE 

 

Le 5 septembre, 14 heures, en A2, je n’oublierai pas. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Sinon, comment ça s’est passé pour vous ?

 

 

EUROPE 

 

J’ai finalement décidé de partir. Je suis allée en Scandinavie.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je suis déjà au courant.

 

 

EUROPE 

 

Je m’en doutais. Mais je pense que vous n’êtes pas au courant de la nouvelle suivante.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ah ? Et quelle est cette nouvelle ? 

 

 

EUROPE 

 

Peut-être, un projet de fiançailles.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tiens donc ! Voilà qui annonce de beaux jours devant vous.

 

 

EUROPE 

 

Oh, mais ce n’est qu’un projet éventuel…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

J’espère que ma présence sur ce banc ne risque pas de le compromettre.

 

 

EUROPE 

 

Oh non, du tout. Je ne suis même pas encore décidée.

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est donc un vague projet établi pour de lointaines calendes, grecques peut-être.

 

 

EUROPE (avec un sourire amusé) 

 

Oui, c’est exactement ça.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et quel est donc l’heureux élu de vos incertitudes ?

 

 

EUROPE 

 

Monsieur Castillon. Vous vous souvenez ? L’homme à la Limousine. 

 

Elle voit le visage du professeur se fermer.

 

 

PIERRE GERMONT

 

La Limousine qui était une voiture et non pas une vache. 

 

(Il enlève son bras du banc. / Ses lèvres se resserrent dans un pli de contrariété). 

 

Donnez-moi mon courrier.

 

 

EUROPE 

 

Oh, Monsieur Germont, je vous en prie, n’allez pas croire…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Quoi donc ? Que vous êtes devenue une femme vénale ?

 

 

EUROPE

 

Je ne suis pas devenue vénale, croyez-moi !

 

Elle lui donne le courrier. Il se lève.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

A quoi me faut-il croire ? Vous aviez un avis bien différent sur cette personne avant que je vous laisse. Qu’est-ce que vous aviez dit sur lui, déjà ? 

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est vrai, je le soupçonnais de vouloir vous nuire et même d’être responsable des massacres provoqués par son animal. Mais ce n’est pas le cas. Monsieur Castillon est quelqu’un de sensible et de raffiné…

 

 

PIERRE GERMONT (l’interrompant) 

 

Disons plutôt que ça ne vous intéresse plus de savoir à qui vous avez affaire. Vous vous fiez à des apparences flatteuses, comme cela peut vous arranger, en ne voulant pas voir que ces gens-là ne sont pas des enfants de chœur. Car en dehors des beaux discours qu’ils peuvent vous tenir, dans des salons feutrés, devant une tasse de thé, ce sont des individus sans état d’âme, qui n’auront pas le moindre scrupule dans le monde des affaires et qui sont même capables de devenir féroces quand il s’agit de défendre leurs intérêts.  

 

 

EUROPE 

 

Mais non, je vous assure que Monsieur Castillon, même s’il est souvent excessif et aussi, assez maniaque, n’a pas ce côté sombre des crapouilles de la finance. C’est vrai qu’il semble ne plus avoir du tout conscience du monde dans lequel il vit, mais j’en suis sûre, ce n’est pas quelqu’un de foncièrement mauvais.  

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et bien dans ce cas, c’est très bien. Cet homme cherche à rester correct. C’est tout à son honneur. Mais avez-vous songé à l’hypothèse où ses discours seraient inhibés, uniquement par crainte de vous déplaire ? Surtout quand il s’agit de courtiser une jolie femme comme vous…

 

 

EUROPE 

 

Mais comment voulez-vous que je juge quelqu’un sur de simples hypothèses ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous ne lui avez jamais posé de questions ? 

 

 

EUROPE

 

Si, bien sûr. Je l’ai questionné sur son rapport à l’argent. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et sur son rapport au pouvoir ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, aussi…

 

 

PIERRE GERMONT

 

  Et il défend les valeurs de la démocratie ? 

 

 

EUROPE oriente son regard vers le sol. Elle hésite à répondre.

 

 

EUROPE 

 

Non, pas vraiment…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et il a dit ça à une Athénienne. Bravo !

 

 

EUROPE 

 

Mais on peut en effet critiquer les dérives des démocraties modernes…

 

 

PIERRE GERMONT (l’interrompant) 

 

Parce que bien sûr, vous pensez qu’il va pouvoir préférer le modèle ancien, qui ne choisit aucun chef politique et condamne la thésaurisation !

 

 

EUROPE 

 

Monsieur Germont, je ne voulais pas vous contrarier.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Écoutez-moi. Vous êtes libre… Libre de vous fiancer et même de vous marier avec qui vous voulez… Après tout, cela ne me regarde pas. Mais en tout cas, ne négligez pas  travail ici. J’ai appris que vous étiez partie vingt jours, alors que vous aviez seulement signalé une période d’absence de dix jours.

 

 

EUROPE  

 

J’étais vraiment désolée que ça arrive. Je ne suis jamais comme ça, d’habitude, mais c’était à cause du taureau…

 

 

PIERRE GERMONT (interrompant) 

 

La raison m’est complètement égale. Vous deviez, en plus, prévenir Monsieur Verneuil, et vous ne l’avez même pas fait. 

 

 

EUROPE

 

Comprenez bien que j’ai été complètement chamboulée par l’histoire de ce taureau. Et ensuite, j’ai essayé de faire tout mon possible, pour rattraper mon retard. D’ailleurs, vous ne trouvez pas que j’ai fait d’importants progrès ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je ne dis pas le contraire. 

 

 

EUROPE 

 

Je peux prononcer votre phrase maintenant : « Mon chéri, je te chouchoute, te susurre des choses secrètes et te chuchote des choix insensés. »

 

 

PIERRE GERMONT (en jetant un œil sur son courrier) 

 

Je vous conseille, malgré tout, de continuer jusqu’au bout.

 

 

EUROPE

 

Oh, mais bien sûr ! A présent, je ne loupe plus un seul cours. 

 

 

PIERRE GERMONT (en s’éloignant) 

 

Bon… et bien dans ce cas, mes meilleurs vœux de bonheur pour vos prochaines fiançailles et… n’oubliez pas la réunion du 5.

 

 

EUROPE (alors que le professeur entre dans le bâtiment)

 

Monsieur Germont ! 

 

 

 

PIERRE GERMONT ne réagit pas à l’appel de son assistante. La porte vitrée se referme derrière lui. EUROPE, attristée, plonge sa tête entre ses mains. 

 

 

VOIX OFF d’EUROPE 

 

Monsieur Germont, je voulais vous dire que je me suis occupée du taureau. J’ai appelé, en Lituanie, les responsables du Parc de l’Europe de Purnuskes. Je me suis fait passer pour une journaliste…

 

 

Image qui se brouille.

 

 

 

 


 
 
posté le 03-11-2014 à 01:37:11

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 6

 

 

 Scène 167 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon/Salle à manger. EUROPE a un combiné téléphonique à l’oreille.

 

 

EUROPE 

 

Allô ! Vous êtes le responsable du Parc de l’Europe. Bonjour Monsieur. Je suis journaliste. J’enquête au sujet du taureau…

 

 

 

Scène 168 – PARC de L'EUROPE en LITUANIE – EXT/JOUR

 

Parc de l’EUROPE – Image d’un taureau blanc qui court, dans un parc, entre des sculptures contemporaines géantes : des faux troncs en acier, une tête de géant posée sur l’herbe, un labyrinthe confectionné avec de vieux postes de télé, un champignon géant, des arbres avec des visages en relief… Des touristes paniqués fuient l’animal.  On en entend aucun son, aucune parole. Effet de ralenti. Musique étrange. Scène rêvée. 

 

 

Scène 169 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon/Salle à manger. Reprise de la SEQU. 167. EUROPE poursuit sa conversation téléphonique. Elle a un stylo à la main et un bloc-notes devant elle.

 

 

EUROPE 

 

Et vous pouvez me donner le nom des victimes ? Trois touristes… Carl Soljeskov…

 

Alors qu’elle note les noms, l’image se brouille.

 

 

 

Scène 170 – CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus universitaire. Image brouillée, en raccord avec la SEQU. précédente. Reprise de la SEQU. 166. EUROPE, sur le banc, qui a la tête entre ses bras, redresse la tête. A cette instant, deux étudiantes passent devant le banc. Elle les reconnaît : ce sont l’ÉTUDIANTE AU GOBELET et l’ÉTUDIANTE À lA POCHETTE, qui, la première fois, leur avait parlé du taureau blanc. EUROPE quitte le banc et va à la rencontre des deux étudiantes.

 

 

EUROPE

 

Mesdemoiselles, s’il vous plaît… 

 

(Les deux étudiantes se retournent). 

 

Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi. Vous étiez en train de parler d’un taureau, dans une corrida, au Portugal. Et je vous avais interrompues…

 

 

L’ETUDIANTE AU GOBELET 

 

Oui. C’était à la cafétéria.

 

 

EUROPE 

 

Figurez-vous que, moi-même, je suis l’affaire de ce taureau et, par d’autres sources d’informations, j’ai appris que son propriétaire voulait faire retourner l’animal dans son pays d’origine.

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

Vous vous intéressez aux taureaux ?

 

 

EUROPE 

 

Disons… C’est aux victimes que je m’intéresse. Vous êtes au courant, qu’il y en a eu d’autres, ensuite, dans d’autres pays…

 

 

L’ETUDIANTE 

 

Oui, en France et en Angleterre.

 

 

EUROPE 

 

Mais pas seulement ! Il y a eu aussi des victimes au Danemark et en Suède. Et avant, en Espagne… 

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET (choquée) 

 

C’est vrai ! Mais c’est atroce !

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

Des victimes du Danemark, j’en ai entendu parlé, moi aussi. Mais pas des autres.

 

 (Elle regarde son amie). 

 

Et pour l’Angleterre, je n’étais pas au courant. 

 

 

EUROPE 

 

Les dernières personnes victimes de cet animal, c’est en Lituanie et c’est tout récent. Le taureau était dans un parc. Des employés chargés de l’entretien du parc, l’ont laissé sortir par inadvertance. Les victimes sont trois touristes qui se promenaient…  

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET (la main sur le visage)

 

Pas possible !

 

 

L’ÉTUDIANTE À LA POCHETTE  (sidérée) 

 

Mais c’est dingue !

 

 

EUROPE

 

Oui, c’est très étrange. D’après vous, pourquoi ce taureau fait autant de victimes ?

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET (avec un haussement d’épaules) 

 

Mais bien sûr que ce n’est pas le taureau qui fait des victimes. 

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

Ça évidemment… Personne ne peut soutenir une thèse pareille… On sait forcément que c’est quelqu’un…

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Oui, c’est un serial killer, comme on dit. Il utilise le taureau comme une couverture… 

 

 

L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE

 

Parce qu’il a un mode opératoire, comme tous les serial killer… Mais personne n’est dupe…

 

 

EUROPE (distante)

 

En effet, ce n’est pas crédible… Je voulais juste avoir votre avis. C’est gentil, à vous, de me l’avoir donné… Je vous remercie…

 

 

L’ÉTUDIANTE AU GOBELET

 

Alors, bonne enquête. Vous êtes de la police ? 

 

 

EUROPE

 

Oh non, pas du tout. J’enseigne ici.

 

 

EUROPE adresse un sourire aux deux étudiantes. Les deux étudiantes s’éloignent. 

 

 

 

Scène 171 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon/salle à manger. Sur un mur du salon, six fiches punaisées, qui correspondent aux six pays qui recensent des victimes du taureau. EUROPE, une septième fiche à la main, s’approche du mur. Elle punaise la septième fiche. 

 

 

EUROPE (A elle-même) 

 

Et voilà, pour ce qui est de la Lituanie… 

 

 

Elle recule, attrape une chaise de son salon, s’assoit de façon à être face aux sept fiches punaisées. Elle demeure immobile, avec un air réfléchi. 

 

 

VOIX OFF de L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Mais bien sûr que ce n’est pas le taureau qui fait des victimes. C’est un serial killer, comme on dit. Il utilise le taureau comme une couverture… 

 

 

VOIX OFF de L’ÉTUDIANTE A LA POCHETTE 

 

Parce qu’il a un mode opératoire, comme tous les serial killer… Mais personne n’est dupe…

 

 

VOIX OFF de L’ÉTUDIANTE AU GOBELET 

 

Vous êtes de la police ? 

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT

 

Et… n’oubliez pas la réunion du 5.

 

 

 

Scène 172 – ENTRÉE APPARTEMENT d'EUROPE INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Entrée. Près d’une clef suspendue, un éphéméride avec le chiffre 4. Le miroir de l’entrée se trouve à côté. EUROPE avance devant le miroir. Elle prend la clef suspendue et arrache la feuille de l’éphéméride. En dernier plan, le chiffre 5. Bruit de la porte d’entrée qui se referme.

 

 

 

Scène 173 – RUE DEVANT IMMEUBLE d'EUROPE – EXT/JOUR

 

Rue qui est devant l’immeuble d’EUROPE. EUROPE sort de l’immeuble et marche sur le trottoir selon son chemin habituel. Arrive la Limousine de MONSIEUR CASTILLON. EUROPE s’arrête et se retourne. La voiture arrive doucement à sa hauteur. 

 

 

VOIX de MONSIEUR CASTILLON

 

Mademoiselle Spartanikès !

 

 (EUROPE se retourne et remarque que la vitre teintée de la Limousine n’est qu’à moitié baissée, si bien qu’elle ne voit qu’un bout du crâne de son passager. / MONSIEUR CASTILLON s’énerve). 

 

S’il vous plaît Victor ! La vitre ! Vous ne l’avez pas assez baissée… Mais bon sang, regardez un peu ce que vous faites ! 

 

(La vitre remonte). 

 

Victor, vous m’agacez ! Vous… 

 

(Une fois la vitre entièrement remontée, on n’entend plus le son de la voix de MONSIEUR CASTILLON. EUROPE retient un rire dans le creux de sa main. L’instant d’après, la vitre s’abaisse dans un coulissement normal.) 

 

Excusez mon énervement, Mademoiselle… Mais voyez-vous, je me demande bien à quoi peut servir un véhicule hautement sécurisé avec un chauffeur aussi incompétent que celui-là !

 

 

EUROPE

 

A part ça, vous allez bien…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non, parce que je n’ai plus de nouvelles de vous depuis un certain temps. Je me languis. Pourquoi ne répondez-vous plus à mes appels ? Moi qui serais prêt à décrocher la lune, pour vous ? 

 

 

EUROPE 

 

C’est vrai, je m’en excuse. Mais je crois qu’on est revenu au point de départ. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Comment ça, au point de départ ? Vous voulez dire que vous ne voulez plus de moi ? 

 

 

EUROPE 

 

Disons plutôt que je me désengage, car je n’arrive toujours pas à vous croire. Et je crains malheureusement qu’il n’y ait rien à faire pour cela. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais je vous ai apporté toutes les preuves possibles. Vos vœux ont été écoutés et appliqués à la lettre. Je vous ai mis dans vos mains, ce que vous m’avez demandé. 

 

 

EUROPE 

 

Peut-être. Mais le second défi, en fin de compte, n’était pas mieux choisi que le premier. J’ai encore avancé une proposition trop vite et sans réfléchir.  

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Et bien, si ça ne tient qu’à cela, prenez un peu de temps pour réfléchir et proposez-moi un troisième défi. 

 

 

EUROPE 

 

Oh non ! Je vous ai déjà tellement ennuyé avec ça. J’ai tellement honte de mon ingratitude…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Et bien, justement, un troisième défi pourrait arranger la situation. 

 

 

EUROPE 

 

Vous croyez vraiment que ça peut arranger ? Moi, je pense au contraire que ça risque d’aggraver…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Pas du tout. Car cette fois, c’est qui vous dis qu’il n’y aura pas une quatrième fois.

 

 

EUROPE

 

Mais vous n’avez pas peur que ma réaction soit la même pour le troisième défi ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Comme vous le dites vous-même, vous devez prendre le temps de réfléchir… 

 

 

EUROPE répond par un sourire un peu réservé.

 

 

EUROPE 

 

Et le taureau ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Il reviendra dans son pays d’origine, comme je vous l’ai dit.

 

 

EUROPE

 

Et là ? Où est-il ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

En Pologne. Mais cette fois, il est isolé. Il est dans un désert. Le désert de Bledow. 

 

 

EUROPE 

 

Et pourquoi est-il là ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Il doit représenter la constellation du taureau. A côté, sur le sol, on reproduira la constellation, comme si l’espace du désert devenait celui du ciel. Et d’autres constellations seront ajoutées, à côté.

 

 

EUROPE

 

Et en quel honneur ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il s’agit de rendre hommage à Copernic.

 

 

EUROPE (avec un sentiment de lassitude) 

 

Monsieur Castillon, vous savez très bien, comme moi, comment cette situation va se terminer, une fois de plus. La différence entre vous et moi, c’est que moi, je n’en peux plus… Je suis à bout, je vous assure !

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Vous oubliez, Mademoiselle, que c’est moi qui viens vous voir pour vous proposer une nouvelle solution. Mais vous vous entêtez…

 

 

EUROPE 

 

Mais d’abord, pour votre solution, il me faut une autre idée de défi, c’est ça ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

Oui, c’est ça ma belle Europe. Et vous verrez que je suis quelqu’un digne de confiance. 

 

 

EUROPE laisse apparaître un sourire, cette fois plus affirmé.

 

 

EUROPE 

 

Entendu. Je vais réfléchir à ce nouveau défi. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON sourit à son tour. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Alors, je ne vais vous faire perdre plus de votre temps. 

 

(Il la salue à distance.) 

 

A notre prochain rendez-vous, Mademoiselle…

 

 

EUROPE 

 

Au-revoir, Monsieur Castillon.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Victor, vous pouvez remonter la vitre. Ne vous trompez pas, cette fois-ci

 

 

La vitre remonte doucement, tandis que la voiture s’éloigne.

 

 

VOIX d’une PASSANTE 

 

Et bien, vous en avez de la chance, de fréquenter des gens comme ça ! 

 

 

EUROPE se retourne et reconnaît la personne. 

 

 

EUROPE 

 

Ah, bonjour Madame… vous êtes une voisine, je crois… 

 

 

La PASSANTE 

 

Oui, je suis dans votre immeuble. C’est quelqu’un de votre famille ?

 

 

EUROPE 

 

Ah non, pas du tout !

 

 

La PASSANTE 

 

Enfin, excusez-moi d’être indiscrète. C’est que la vie devient tellement difficile, en ce moment…

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est vrai. La vie devient difficile. 

 

 

Les deux femmes échangent un sourire et se séparent.

 

 

 

Scène 174 – HALL BÂTIMENT DE LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Hall du rez-de-chaussée. EUROPE ouvre la porte d’entrée et, d’un pas rapide, traverse le hall en direction de l’ascenseur. Au même instant, une autre femme, entre par une autre entrée et se dirige dans la même direction. La femme est VERONIQUE COURVILLE, une enseignante ravissante, à la chevelure blond vénitien qui ondule jusque sur ses épaules. Le teint de son visage est légèrement halé. Elle est habillée avec goût et sa silhouette fine porte les vêtements avec élégance. Dans un plan d’ensemble en plongée, les deux femmes, qui sont seules dans le grand hall, convergent vers l’ascenseur. S’ensuit un gros plan où les mains des deux femmes tentent en même temps d’appuyer sur le bouton de l’ascenseur. Les deux mains se heurtent l’une à l’autre. 

 

 

EUROPE 

 

Oh, je suis vraiment désolée… 

 

 

VERONIQUE COURVILLE

 

Vous allez peut-être à la réunion de prérentrée, vous aussi ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, tout à fait…

 

 

VERONIQUE COURVILLE (tend une main)

 

Enchantée, je suis Véronique Courville. J’enseigne la sociologie en même temps que la linguistique.

 

 

EUROPE (serre la main) 

 

Enchantée, Europe Spartanikès.

 

 

VERONIQUE COURVILLE 

 

Désolée, je n’ai pas le souvenir de vous avoir déjà vue.

 

 

EUROPE 

 

C’est normal, c’est la première année que je suis là. Je suis Grecque et je suis arrivée ici au début de l’été.

 

 

VERONIQUE COURVILLE (appuie le bouton de l’ascenseur) 

 

Vous avez déjà enseigné dans votre pays ?

 

 

EUROPE 

 

Heu, non, pas vraiment… Je débute également dans l’enseignement tertiaire. 

 

(Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. /  En se plaçant de côté) 

 

Allez-y, je vous en prie.

 

 

VÉRONIQUE COURVILLE et EUROPE entrent dans l’ascenseur. Les portes de l’ascenseur se referment.

 

 

 

Scène 175 – SALLE de COURS AMÉNAGÉE en SALLE de RÉUNION –  INT/JOUR

 

Salle de cours, aménagée pour la réunion de prérentrée. Deux longues rangées de tables, placées en U. Certaines personnes sont assises. D’autres, encore debout, discutent entre elles. Brouhaha. Parmi les personnes présentes : PIERRE GERMONT, JACQUES, MONSIEUR JOUBERT, MONSIEUR VERNEUIL… Dans un premier plan, l’intérieur de la pièce est visible à partir du cadre de la porte, qui est grande ouverte. Arrive VÉRONIQUE COURVILLE, suivie d’EUROPE. VERONIQUE COURVILLE fait le tour des tables, serre rapidement des mains et s’assoit, en face d’EUROPE qui prend une des premières chaises disponibles. EUROPE fixe la silhouette de VERONIQUE COURVILLE, tandis que celle-ci parle avec ses voisines de table, puis son regard se tourne et remarque PIERRE GERMONT, discutant avec JACQUES. Une autre enseignante, MADAME CARLINGTON, encore debout décide de prendre la parole publiquement.

 

 

MADAME CARLINGTON 

 

Bien, il serait temps, je pense, que la réunion commence ! 

 

Le brouhaha s’atténue légèrement. 

 

 

MADAME DURUIS, voisine de VERONIQUE COURVILLE, se lève pour prendre la parole à son tour.

 

 

MADAME DURUIS 

 

Tout à fait d’accord, Madame Carlington. Mais il faudrait déjà que chacun prenne place.

 

 

MADAME CARLINGTON 

 

Oui, sauf qu’il nous voir comment on se place. Car ensuite il faut qu’on réussisse à s’entendre…

 

 

VERONIQUE COURVILLE  

 

Oh écoutez, chacun se place comme il veut. C’est beaucoup mieux comme ça.

 

Peu à peu, les enseignants se rapprochent des chaises. Certains prennent place. 

 

 

MADAME CARLINGTON 

 

Ce que je propose, c’est que Pierre et Jacques se mettent en bout de table. Ils ont des voix qui portent, ce serait beaucoup mieux… 

 

 

JACQUES (qui interrompt sa conversation avec PIERRE GERMONT) 

 

Si le Directeur du département ne voit pas d’inconvénient, je suis même d’accord pour commencer à lancer la première patate chaude. 

 

Quelques rires. JACQUES prend une chaise de la table du bout et s’assoit.

 

 

MONSIEUR VERNEUIL 

 

On n’établit pas un « ordre du jour » ?

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant de sa chaise / à MONSIEUR VERNEUIL) 

 

Ça ne sert à rien, il n’est jamais respecté.  

 

(Peu à peu, chacun s’assoit, sauf PIERRE GERMONT / Le brouhaha continue). 

 

Ça serait bien s’il y avait un peu de silence. 

 

(Le brouhaha s’atténue / A MONSIEUR VERNEUIL). 

 

J’ai quand même noté les points essentiels.

 

EUROPE fixe à nouveau VERONIQUE COURVILLE qui, à cet instant-là, décide de prendre la parole.

 

 

VERONIQUE COURVILLE 

 

Moi, je ne suis pas d’accord pour laisser Jacques parler en premier. Parce que s’il commence à parler…

 

 

JACQUES (interrompant) 

 

Qu’est-ce qui vous inquiète Madame Courville ? Mes coups de gueule ?

 

 

VERONIQUE COURVILLE 

 

Non, pas du tout. Mais vous allez nous reparler une fois encore, j’en suis sûre, des problèmes de gaines à changer…

 

 

MONSIEUR VERNEUIL 

 

Ah, les gaines !

 

S’ensuivent des clameurs et des rires.

 

 

VERONIQUE COURVILLE  

 

Or ce sujet ne concerne pas tout le monde, mais seulement la Recherche…

 

 

JACQUES 

 

Parce que vous croyez, Madame COURVILLE, que c’est un sujet où il faut se la fermer ? 

 

 

MADAME DURUIS 

 

Surtout, c’est un sujet qui est dépassé… 

 

 

JACQUES 

 

Que dites-vous, Madame Duruis ? Si vous pensez que le sujet est dépassé, alors je vous conseille, ce soir même, quand vous aurez à préparer le repas, de choisir entre l’éclairage de votre cuisine et l’utilisation de votre cuisinière. Et après ça, vous nous direz quel goût aura le potage… 

 

Des rires.

 

 

MADAME DURUIS 

 

Mais maintenant, il paraît que vous avez des tas de machines qui fonctionnent sans branchements, et même simplement avec l’éclairage artificiel, pour certaines…

 

 

JACQUES 

 

Et l’éclairage artificiel, il arrive comment ? 

 

 

MADAME DURUIS

 

J’en déduis simplement que si vous avez moins besoin de branchements, vos gaines elles vont être moins importantes… 

 

 

JACQUES 

 

Bravo Madame Duruis… C’est exactement avec des discours comme le vôtre qu’on arrive à l’incurie !

 

 

MADAME DURUIS 

 

N’exagérez rien, Jacques. Mes discours, quels qu’ils soient, ne pourront rien changer au sort de vos gaines.

 

 

JACQUES (en levant les bras de dépit) 

 

Et maintenant, il s’agit de mes gaines. Comme si le problème m’était personnel.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Une nouvelle fois, j’aimerais qu’on revienne à un peu de calme. 

 

PIERRE GERMONT tapote du stylo contre la table. Le silence se fait.

 

 

JACQUES

 

Mais c’est l’avenir de la recherche qui est en jeu, dans cette histoire… Pas le mien !

 

 

PIERRE GERMONT (en fixant Jacques)

 

Le conseil est valable pour toi également. Nous avons quand même besoin  d’un peu de sérénité, si nous voulons avancer, dans un domaine où un autre.

 

(JACQUES se garde de parler à nouveau). 

 

Bien…  

 

(Il s’assoit) 

 

Moi, ce que je propose, c’est de commencer par le plus simple, c’est-à-dire le choix des salles…

 

 

EUROPE fixe à nouveau VERONIQUE COURVILLE. Le son est interrompu. Musique. Tour à tour, les personnages s’expriment avec d’importantes gestuelles. Certains ont des tics d’agacement. D’autres bâillent et montrent des signes de fatigues. PIERRE GERMONT regarde sa montre. La musique s’interrompt. Le son revient.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Bon, l’essentiel a été dit, il me semble. Et on a déjà passé pas mal de temps à discuter. Je crois qu’il serait raisonnable de s’arrêter là. A moins que quelqu’un y voit un inconvénient…

 

 

VOIX d’un des ENSEIGNANTS :  Non, non… il n’y a aucun inconvénient à clore… 

 

 

Soudain vacarme de chaises avec un nouveau brouhaha. EUROPE quitte sa place en même temps que les autres. Elle attend que PIERRE GERMONT la rejoigne. Elle ne remarque pas que MONSIEUR JOUBERT s’approche d’elle. 

 

 

MONSIEUR JOUBERT  

 

Mademoiselle… 

 

(Elle sursaute) 

 

J’aimerais bien vous présenter à une de mes collègues, Madame Carlington, enseignante en littérature appliquée. 

 

(Il la prend par le bras pour la conduire vers l’enseignante / Il appelle). 

 

Madame Carlington ! Venez… que je vous présente l’assistante de Monsieur Germont. 

 

(MADAME CARLINGTON s’avance vers eux).

 

Mademoiselle SPARTANIKÈS, qui est arrivée de Grèce un peu avant les vacances est native d’Athènes.

 

 

MADAME CARLINGTON

 

Pour nous, c’est une ville mythique. Il n’y a pas si longtemps, l’apprentissage du grec était obligatoire pour tous les enseignants. Quand ils l’ont supprimé, ainsi que le latin et l’enseignement des humanités, dans les collèges et les lycées, tout s’est effondré…

 

 

Tout en faisant l’effort d’écouter, EUROPE oriente son regard vers PIERRE GERMONT. Elle remarque alors que VÉRONIQUE COURVILLE s’approche du professeur de façon très familière.

 

 

VÉRONIQUE COURVILLE 

 

Alors, Pierre ! Comment vas-tu ?

 

 

Le trouble s’affiche sur le visage d’EUROPE.

 

 

MONSIEUR JOUBERT (à MADAME CARLINGTON) 

 

Le modèle classique a commencé à s’effriter dès le milieu du XIXème siècle.

 

 

MADAME CARLINGTON 

 

Oui, c’est normal. Avant cette époque, on avait encore peur de revenir au modèle du Moyen-Âge. Mais avec le développement des sciences et des technologies, cette hantise a disparu et du coup, le modèle classique est apparu comme inutile.

 

 

EUROPE (maladroite) 

 

Oui, et sans doute est-il vraiment devenu inutile, car il s’est beaucoup trop éloigné du modèle d’origine. 

 

(Remarquant le silence de ses interlocuteurs, elle essaye de se rattraper). 

 

Je ne veux pas dire qu’il ne faut plus l’enseigner, mais au contraire, il faudrait selon moi, l’enseigner dès la maternelle, comme ça, on n’aurait plus à chercher les origines de la civilisation dans les vestiges d’Athènes

 

(Elle regarde à nouveau en direction de PIERRE GERMONT, puis fait mine de regarder l’heure). 

 

Excusez-moi, il me faut y aller. 

 

EUROPE se retourne et se dirige précipitamment vers la sortie.

 

 

 

Scène 176 –  COULOIR de la SALLE de RÉUNION – INT/JOUR

 

Couloir de la salle de réunion. EUROPE avance chancelante dans le couloir. Elle ouvre la porte d’une autre salle de cours, qui est vide et s’y engouffre aussitôt.

 

 

 

Scène 177 – SALLE de COURS VIDE – INT/JOUR

 

Salle de cours. EUROPE arrive dans la salle et se plaque contre un mur. Elle pousse un soupir. Elle remarque la vitre en face. Elle s’avance vers la vitre pour regarder le paysage. Bruit d’un grincement de porte. Elle se retourne dans un sursaut. Dans l’ouverture du battant, elle aperçoit PIERRE GERMONT.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Alors, on se sauve ?

 

 

EUROPE regarde à nouveau la vitre. 

 

 

EUROPE

 

Je ne voulais pas vous déranger. Vous étiez en train de discuter avec une de vos collègues. 

 

 

PIERRE GERMONT (en repoussant le battant dans son dos) 

 

Faut-il que je vienne vous retirer les épines que vous avez dans le cœur, chaque fois que je me mets à bavarder avec une jolie femme ? 

 

(Il s’approche de son assistante.) 

 

Véronique est une amie de longue date. Même ma femme la connaît. 

 

EUROPE se retourne et attarde son regard sur le visage du professeur. 

 

 

EUROPE 

 

Vous avez remarqué ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Votre jalousie ? S’il n’y avait que moi. 

 

 

EUROPE 

 

Vous voulez dire que les autres aussi ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui. Tout le monde…

 

 

EUROPE (accablée et honteuse) 

 

Oh, mon dieu !

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant à son tour de la fenêtre pour regarder le paysage) 

 

Le problème de l’enseignement supérieur est qu’on y trouve pas mal de gens  perspicaces. Même si l’endroit a aussi son lot d’abrutis…

 

 

EUROPE

 

Et c’est très certainement à ce lot que je dois, maintenant, appartenir. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Certainement pas, parce que sinon, je ne vous aurais pas choisie comme assistante.

 

 

EUROPE (répète dans un soupir) 

 

          Oui, comme assistante.

 

 

PIERRE GERMONT se tourne vers elle et pose une main sur son épaule afin que son regard rencontre le sien.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pensez-vous que si je devenais votre amant, vous seriez moins méfiante ?

 

 

EUROPE 

 

Oh, mais vous ne comprenez pas… Il y a des rêves qui sont tenaces. On a beau se raisonner. Rien n’y fait… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et votre projet de noces ?

 

 

EUROPE 

 

De fiançailles, vous voulez dire…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

D’accord, ce sont des fiançailles. Ne brûlons pas les étapes…

 

 

EUROPE (en abaissant le regard) 

 

Oh, qu’importe de toute façon, ce n’est plus au programme.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pour lui également ?

 

 

EUROPE 

 

Ça, je n’en sais rien. Mais en tout cas je lui ai déjà fait comprendre que mon cœur n’est pas libre. Seulement, il essaye de me convaincre qu’il est capable de prodiges. Il m’embrouille avec ses prétentions.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et à cause de ce qu’il vous affirme, vous restez hésitante. C’est ça ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est ça. Et j’ai aussi agi avec l’énergie du désespoir. Parce que malgré mes sentiments pour vous, vous m’avez fait comprendre que je ne serai jamais quelqu’un d’autre que votre assistante. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je vous ai dit simplement que je ne voulais pas abuser de ma position. Si un jour, vous deviez devenir ma maîtresse, alors dans ce cas, vous ne serez plus mon assistante.

 

 

EUROPE

 

Parce que vous pensez que mon poste d’assistante est forcément le plus important des deux ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous allez bientôt enseigner comme maître de conférence. Sans vouloir jouer avec les mots, vous n’allez pas tout gâcher et renoncer à votre poste de maître, pour devenir ma maîtresse. 

 

 

EUROPE 

 

J’en serais bien capable.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Mais moi je n’y tiens pas. 

 

(Il s’éloigne de son interlocutrice). 

 

De plus, je pense que vous ne pourrez pas vous défaire comme ça de vos promesses d’engagement à des fiançailles avec votre Monsieur Tatillon.

 

 

EUROPE (en riant) 

 

Castillon !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Parce que votre Monsieur Tatillon ne va pas vouloir renoncer, lui. A la limite, il s’en fiche de savoir ce que sont vos sentiments. Il veut avoir Europe pour lui. Et il va tout entreprendre pour ça. Surtout que vous lui en avez donné l’espoir.

 

 

EUROPE 

 

Vous avez raison, c’est bien possible.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est bien possible et il est même pratiquement certain qu’il vous fait surveiller. 

 

 

EUROPE (surprise) 

 

Vous croyez ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est tout à fait le style de ces gens-là de dépenser des fortunes dans des détectives privés.

 

 

EUROPE 

 

Je ne peux pas nier. C’est en effet dans son style. Mais alors, s’il se permet d’agir ainsi…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

S’il se permet d’agir ainsi, vous ne pourrez pas faire grand-chose contre lui.

 

 

EUROPE 

 

Mais cela peut vouloir dire que vous risquez, vous aussi, d’être impliqué. S’il apprend que nous sommes souvent ensemble…

 

 

PIERRE GERMONT  (en regardant son interlocutrice) 

 

Mais vous ne vous souvenez pas qu’avant les vacances, je vous avais fait une proposition ?

 

 

EUROPE 

 

Oui, de le rencontrer. 

 

(Elle joint ses mains dans un geste aussi machinal que nerveux et tord ses doigts). 

 

Pour être franche avec vous, cette solution me fait peur, mais de loin, je pense que cette confrontation est ce qu’il y a de mieux à faire…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Moi aussi, mais je voudrais quand même savoir ce que vous en  attendez.

 

 

EUROPE 

 

Et bien, au moins, j’aimerais obtenir des preuves plus concrètes sur les faits divers commis par ce taureau. Car toutes les informations que j’obtiens sont floues. Par exemple, on ne me présente jamais d’images où il charge.

 

 

PIERRE GERMONT  

 

C’est normal. C’est pour ne pas choquer.

 

 

EUROPE 

 

De plus, les seules images qui le présentent, ne sont pas authentiques. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Comment ça ?

 

 

EUROPE 

 

Pendant votre absence, Nakissa m’a laissé visionner une vidéo de reportage au Centre de Recherche. Je l’ai regardée en détail et j’ai remarqué que sur le sol, les ombres portaient sur différents endroits. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ce qui voulait dire qu’il y avait des projecteurs.

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’était un extrait de film. Et très certainement s’agissait-il d’un extrait de la fiction du producteur anglais. Mais celui-ci est passé comme un vrai reportage.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Alors là, si vous saviez ! C’est très courant de tricher avec l’image dans les reportages d’actualité.

 

 

EUROPE 

 

C’est possible, mais moi, en attendant, je ne peux pas me faire une idée précise. C’est comme avec les blessés. J’aurais bien aimé pouvoir parler avec des rescapés de ce t aureau, mais je n’ai pas pu les rencontrer.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Là aussi, c’est normal. Ce taureau est ce qu’on appelle « un meurtrier ». Il a généralement tendance à s’acharner sur ses victimes et c’est pour ça qu’il y a peu de rescapés.

 

 

EUROPE 

 

Oui, mais dans ce cas, pourquoi n’ai-je pas pu voir, non plus, des familles de victimes ?

 

 

PIERRE GERMONT (dans un soupir) 

 

Je comprends votre désarroi. Vous êtes surtout affectée à l’idée que ce taureau soit un tueur, car c’est le beau et sémillant taureau du mythe d’Europe. Votre travail d’investigation serait pour vous un espoir de lui redonner une virginité dans les actes. Cependant, les faits sont là…

 

 

EUROPE 

 

Non. Je n’ai pas de preuves véritables ! Rien ne me prouve que c’est le taureau qui a tué ! Peut-être que le véritable tueur n’est pas un taureau, mais une personne, qui se sert de cet animal pour masquer ses crimes et ne pas être inquiété. Monsieur Germont, nous ne sommes que trois à défendre l’hypothèse du taureau tueur : moi, Monsieur Castillon et vous-même. Pour moi, ça va de soi. Pour Monsieur Castillon, je comprends. Mais vous ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

La raison est simple. Vous savez bien que j’ai déjà pu voir ce taureau de près.

 

 

EUROPE

 

Oui, je sais. Et qu’est-ce que ça explique ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et bien, dans ce que je vous ai raconté, il y a un détail, un peu macabre, que je n’ai pas tenu à vous préciser. Ce taureau avait du sang séché au bout des cornes. 

 

 

EUROPE 

 

Vous êtes sûr ?…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Non, je ne suis pas sûr. Je n’ai pas fait analyser les taches pour savoir s’il s’agissait vraiment de sang humain. Et même si je l’avais fait, rien ne prouve que ce sang n’a pas été rajouté par la suite… Mais ce détail me fait fortement supposer qu’il n’y a pas eu de mises en scène et que les victimes, certaines du moins, ont reçu des coups de cornes qui leur ont été fatal…

 

 

EUROPE 

 

Je comprends…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Maintenant, j’aimerais savoir si un éclaircissement dans l’enquête est le seul point que vous voulez me voir aborder avec cet ostrogoth en Limousine.

 

 

EUROPE (hésitante) 

 

C’est à dire que… je  ne sais pas trop ce que vous êtes capable d’obtenir. Mon souhait le plus important serait bien sûr qu’on réussisse à neutraliser le taureau. Mais lui prétend qu’il n’en est pas capable.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je veux bien essayer de le forcer à neutraliser ce taureau, mais alors il y a un autre point sur lequel j’aimerais bien intervenir. 

 

 

EUROPE 

 

Lequel ?

 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Avec votre accord, qu’il renonce définitivement à son projet de fiançailles avec vous.

 

 

EUROPE, embarrassée, se retourne, va vers la fenêtre, attarde une fois encore son regard sur le paysage. Elle se tourne à nouveau vers le professeur.

 

 

EUROPE 

 

C’est une décision qui n’est pas facile, mais j’accepte… 

 

(Elle se reprend). 

 

Seulement…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Seulement quoi ?

 

 

EUROPE 

 

Vous ne comprenez pas. C’est alors de votre côté que je vais vouloir espérer…

 

 

PIERRE GERMONT  (pose une main sur son épaule et s’approche de son oreille) 

 

Je vais vous faire une confidence. Moi aussi, j’espère… Mais je ne suis pas sûr que vous saurez être assez patiente… 

 

(Il se redresse).

 

Mais maintenant il nous faut sortir d’ici, car sinon ça va encore jaser. 

 

 

 

Scène 178 – DÉSERT DE BLEDOW en POLOGNE – EXT/JOUR

 

Désert de Bledow. Tempête de sable. Le sable recouvre des alignements d’étoiles, représentant des constellations. Le vent plie une clôture, qui est en même temps recouverte par le sable. Des fétus de paille sont emportés. Les pattes du taureau marchant dans le sable alors que la tempête continue. Les traces de pas sont aussitôt effacées. 

 

 

VOIX OFF d’un POLONAIS (qui parle en français, avec un accent)  

 

Le taureau a disparu. Évaporé dans la tempête. Des hommes sont partis à sa recherche, mais sans résultat. Des jours se sont écoulés, puis une semaine. On a fini par penser qu’il n’avait pas échappé au désert et que son cadavre devait être enseveli sous une épaisseur de sable. Mais deux semaines plus tard, il est réapparu à un endroit auquel on ne s’attendait pas du tout. 

 

 

 

Scène 179 – CAMP de CONCENTRATION – EXT/JOUR

 

Camp d’extermination de l’époque nazi. Des bâtiments lugubres aux murs humides, avec de l’eau qui goutte d’un plafond. Effet d’écho. Le camp est entouré d’une enceinte, avec des barbelés et miradors au milieu d’une morne plaine… Les vues coïncident avec le commentaire. 

 

 

VOIX OFF d’un POLONAIS (qui parle en français, avec un accent)  

 

Vous devriez voir à quoi ça ressemble, ce camp de la mort. Quand vous arrivez à l’intérieur, vous avez l’impression que les ombres s’élargissent. C’est l’effroi qui vient tout envahir. Une seule teinte domine : le noir. Car la couleur y est absente. La terreur suinte sur les murs. L’air y est suffocant, car on n’y respire rien d’autre que la mort. Ce jour-là un groupe de touristes était venu visiter le lieu… 

 

 

Dans un plan d’ensemble, un groupe de touristes visitant le camp, sous les nuages bas d’un ciel de pluie. Certains ont ouvert des parapluies. Les parapluies ont des couleurs vives. 

 

 

VOIX OFF d’un POLONAIS (qui parle en français, avec un accent)

 

Un plafond de nuage bas occultait le ciel. Il pleuvait… Le groupe de touristes a avancé vers le milieu du camp, entre des baraquements en bois et c’est là que…

 

 

Surgissant de l’ombre, le taureau d’Europe fonce vers le groupe de touristes. Des cris. Mouvement confus d’images vacillantes. Des parapluies ouverts qui roulent sur le sol. Nouveau bruit de goutte à goutte, provenant d’un toit. 

 

 

 

Scène 180 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon/salle à manger. EUROPE, assise à la table est attentive à la voix, qui vient d’une pièce voisine. Sur un angle de la table, une tasse de café. Bruit d’un goutte à goutte.

 

 

VOIX OFF d’un POLONAIS (qui parle en français, avec un accent) 

 

Il y a des commémorations qu’on n’imagine pas. Deux jeunes touristes ont été tués. Ils sont morts de mort violente à l’endroit même où ont été massacrés quelques-uns de leurs ancêtres. L’homme oublie vite, mais la mémoire de l’histoire n’oublie jamais.

 

 

EUROPE

 

C’est quand même dommage que ce soient eux qui soient morts. 

 

 

VOIX OFF d’un POLONAIS (qui parle en français, avec un accent)

 

Oui. Il aurait mieux fallu que ce soient des nazis. C’est bientôt fini…

 

 

 

Scène 181 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Cuisine. En gros plan, sous l’évier, le tuyau du siphon qui goutte au-dessus d’une bassine. Une tenaille s’approche et resserre un collier. Le siphon arrête de goutter. Dans un plan moyen, Le POLONAIS (un plombier), sort sa tête du dessous de l’évier. L’eau coule doucement du robinet.  

 

 

Le POLONAIS 

 

C’est bon Madame. Votre évier est débouché. 

 

 

Il inspecte un moment l’écoulement dans la cuve de l’évier et arrête le robinet. 

 

 

VOIX d’EUROPE 

 

Je vous dois combien ?

 

 

Le POLONAIS (qui parle en français, avec un accent) 

 

Ça fera 45 euros 20, TTC. Pièces, main d’œuvre et déplacement.  

 

Le plombier range ses outils dans une mallette.

 

 

 


 
 
posté le 03-11-2014 à 09:28:56

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 7

 

 

 

Scène 182 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon/salle à manger. EUROPE est debout à côté de la table, un billet de 50 € à la main. Le plombier vient vers elle, sa mallette à la main.

 

 

EUROPE (en tendant le billet)

 

Tenez. Vous pouvez garder la monnaie…

 

 

Le POLONAIS (qui parle en français, avec un accent. / Prend l’argent)  

 

Merci, Madame. Je vous enverrai une facture.

 

 

EUROPE

 

Entendu.

 

 (Elle montre la tasse sur l’angle de la table). 

 

Vous ne voulez plus de votre café ?

 

Le POLONAIS prend la tasse et la finit. Il la repose. Il s’éloigne. 

 

 

VOIX du POLONAIS (qui parle en français, avec un accent) 

 

Au revoir Madame. 

 

 

EUROPE (élevant la voix) 

 

Au revoir et merci. Merci aussi pour les dernières nouvelles du taureau.

 

 (Bruit de la porte d’entrée qui claque. EUROPE regarde en direction du mur du salon sur lequel elle a punaisé les sept affiches. Elle pose une nouvelle affiche sur la table. Elle s’assoit. Elle prend un feutre et note, en haut de l’affiche : POLOGNE. Debout, dans son salon, elle avance avec la huitième affiche pour la punaiser avec les autres. Elle les regarde un moment. Sonnerie du téléphone. EUROPE se retourne pour aller chercher le téléphone. Elle prend son téléphone et décroche.)

 

Allô ! 

 

(changement d’expression du visage, qui devient soudainement rayonnant). 

 

C’est vous Monsieur Germont ? Quelle bonne surprise de vous entendre. Vous l’avez rencontré ? Oui… Comment ça ? 

 

(Elle blémit). 

 

Il a dû se faire hospitaliser ! 

 

(Elle a un air catastrophé). 

 

Mon dieu. Je ne sais pas si j’ai eu une bonne idée de vous proposer un rendez-vous pareil. En tout cas, je vous remercie de m’avoir informée. Au revoir, Monsieur Germont. 

 

 

Elle raccroche, reste figée sur place. 

 

 

 

Scène 183 – CLINIQUE DE LUXE –  EXT/JOUR 

 

Devant une clinique de luxe. Paysage automnal. Des feuilles rouges soulevées par le vent. EUROPE avance vers l’entrée en tenant entre ses mains, un bouquet d’iris blancs. Elle entre dans la clinique.

 

 

 

Scène 184 – CLINIQUE DE LUXE  –  INT/JOUR

 

Clinique de luxe. Accueil. Un grand hall blanc avec de longues baies vitrées. Des murs blancs. Des banquettes de cuir noir. Un coin bibliothèque avec des livres reliées. Des infirmières en blouse blanche, traversent le hall, d’un pas pressé. Dans le coin accueil, une HÔTESSE D’ACCUEIL en BLOUSE BLANCHE consulte un écran. 

 

 

HÔTESSE D’ACCUEIL en BLOUSE BLANCHE 

 

Monsieur Castillon occupe tout le quatrième étage. A l’étage une hôtesse va vous guider. 

 

(Elle tourne son regard vers EUROPE et remarque les iris). 

 

Ici, les fleurs sont interdites dans les chambres.

 

 

EUROPE 

 

Mais elles ne sont pas sales…

 

 

 

HÔTESSE D’ACCUEIL en BLOUSE BLANCHE

 

Désolée Madame, c’est le règlement

 

 

(L’ HÔTESSE D’ACCUEIL en BLOUSE BLANCHE hèle une JEUNE INFIRMIÈRE). 

 

Mademoiselle, s’il vous plaît ! 

 

(L’infirmière s’approche de l’accueil). 

 

Est-ce que vous pouvez débarrasser Madame de ses fleurs.

 

 

JEUNE INFIRMIÈRE 

 

  Je m’en occupe. 

 

(Elle prend les iris). 

 

Je vais les mettre dans un vase, comme ça, si vous avez envie de les récupérer…

 

 

 

Scène 185 – CLINIQUE DE LUXE ÉTAGE QUATRE – INT/JOUR

 

Clinique de luxe. Quatrième étage. Une HÔTESSE D’ÉTAGE se tient près d’un ascenseur. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Dans l’ascenseur, EUROPE quitte la cabine. 

 

 

HÔTESSE D’ÉTAGE 

 

Vous venez bien pour Monsieur Castillon ?

 

 

EUROPE 

 

Oui…

 

 

HÔTESSE D’ÉTAGE

 

Veuillez me suivre. Je vais vous indiquer sa chambre.

 

 

Elles avancent dans des couloirs, croisent une infirmière qui pousse un chariot de médicaments. L’HÔTESSE D’ÉTAGE s’arrête devant une porte et frappe 

 

 

HÔTESSE D’ÉTAGE 

 

Monsieur Castillon. Votre visiteuse est arrivée. 

 

 

 

Scène 186 – CLINIQUE DE LUXE CHAMBRE de MONSIEUR CASTILLON – INT/JOUR

 

Clinique de luxe. Chambre de MONSIEUR CASTILLON au quatrième étage. Grande pièce moderne avec baies vitrées, dans laquelle la lumière du jour se répand agréablement. Une partie de la pièce est aménagée en chambre, une autre partie, en salon. Dans la partie chambre, un lit médicalisé à deux places encadré par deux tables de nuit blanches stylées avec des lampes anciennes. Une armoire Art Déco, dans un angle. Dans la partie salon, autour d’une table basse Art Déco (assortie à l’armoire), des fauteuils similicuir en forme de coques, années 50. MONSIEUR CASTILLON est assis dans le lit, avec des bandages à chaque bras. Il consulte un dépliant. Près de lui, assise sur le rebord du lit, UNE INFIRMIERE en MINI JUPE. EUROPE entre. Elle salue l’infirmière et se tourne vers MONSIEUR CASTILLON. 

 

 

EUROPE 

 

Bonjour Monsieur Castillon. J’espère ne pas vous déranger.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Pas du tout, ma chère Europe. Asseyez-vous donc. 

 

(MONSIEUR CASTILLON indique un fauteuil à la jeune femme. EUROPE s’assoit à l’endroit indiqué. Sa place la rend éloignée du lit, à la différence de celle de  L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE, qui a un côté désinvolte). 

 

Mademoiselle m’a apporté la carte des oreillers. Et nous sommes en train d’en choisir un. 

 

(Il interroge l’infirmière d’une voix doucereuse). 

 

Alors, lequel est le mieux ? 

 

(Il adresse un regard de connivence à l’infirmière). 

 

Celui-là qui est rond, ou le rectangulaire ? 

 

 

 

L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE 

 

Celui-là est pour les douleurs lombaires. Vous n’avez pas de douleurs lombaires, que je sache ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non, pas pour l’instant. Mais ça peut arriver. Et celui-là ?

 

 

L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE 

 

Moi, je vous conseillerais plutôt celui-ci. Il est très confortable et vous pourrez le caler sous vos épaules.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Oui, vous avez peut-être raison. 

 

(Il jette un œil en direction d’EUROPE, qui demeure immobile et impassible). 

 

Notez donc cet oreiller. Mais maintenant, s’il vous plaît, il faut me laisser avec ma visiteuse. 

 

(L’infirmière se lève et se dirige vers la porte). 

 

Vous reviendrez plus tard.

 

 

L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE 

 

De toute façon, vous savez ce qu’il suffit de faire, pour que je vienne. Vous n’avez qu’à appuyer sur le bouton de la sonnette.

 

 

L’infirmière sort. EUROPE choisit d’elle-même de s’avancer en prenant place sur une chaise située près du lit.

 

 

EUROPE 

 

Je vous avais apporté des fleurs, mais elles n’ont pas réussi à aller plus loin que l’accueil du rez-de-chaussée.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je vous remercie pour cette attention. Je vais essayer de m’arranger pour qu’on me les monte quand même. En tout cas, c’est très gentil de venir me soutenir après ce qui a pu se passer. 

 

 

EUROPE

 

Croyez-moi, je suis profondément désolée de ce qui vous est arrivé… Pour moi, Monsieur Germont était d’abord un homme de dialogue. Je ne savais pas qu’il réagirait aussi violemment. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

On croit connaître les gens, et puis finalement…

 

 

EUROPE 

 

Oui, j’ai été très surprise… 

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

          J’ai perdu une bataille. Je dois renoncer à ce taureau. 

 

 

EUROPE 

 

De quelle façon ? 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il me faut votre accord signé. Si vous acceptez que le taureau soit abattu, je le ferai abattre. 

 

 

EUROPE (en se levant aussitôt / s’exclame) 

 

C’est donc ça. 

 

(Elle s’éloigne vers le fond de la pièce, longe les fenêtres en jetant un œil à l’extérieur, puis revient vers le lit.) 

 

Je ne suis pas d’accord. Pas pour le moment en tout cas. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en essayant de se repositionner sur le lit) 

 

Pourquoi tenez-vous autant à cet animal ? 

 

 

La grimace d’une douleur vient marquer son visage.

 

 

EUROPE 

 

Ça va ? Vous voulez mon aide ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non. Je vous remercie.

 

 

EUROPE

 

La fois où j’ai vu cet animal, je me suis sentie incapable d’une telle décision. J’avais en face de moi, le taureau d’Europe. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais s’il fait de nouvelles victimes ?

 

 

EUROPE

 

Je sais. Mais maintenant c’est trop tard. Il faut le laisser aller au bout de son périple. Il y aura bien une fin, de toute façon. 

 

(Elle s’approche du lit). 

 

Comment se fait-il que cet homme ait réussi à vous faire perdre une bataille, vous qui êtes, à ce qu’il paraît, le maître de multiples talismans ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Il m’a eu par surprise. Et en plus, vous le soutenez.

 

 

EUROPE 

 

Oui, c’est vrai que je le soutiens. Mais je vous assure que je n’ai pas cherché à vous trahir. Si j’avais pu imaginer, un seul instant, que cela débouche sur un rapport de force, jamais je n’aurais accepté. Et je pensais par ailleurs que c’était impossible. Vous m’avez tellement habitué à l’idée que vous étiez invulnérable. Vos talismans. Votre maison et votre voiture sécurisées…

 

(Elle s’assoit sur le lit, attrape délicatement la main du convalescent). 

 

Je vous propose un compromis. Je viens de vous dire que je ne voulais pas qu’on supprime ce taureau. Je crois que vous y tenez, vous aussi. On pourrait essayer de s’entendre sur ce point-là.

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Je veux bien. Mais c’est vous qui en prenez l’entière responsabilité. Car je ne tiens pas à me retrouver encore une fois dans cette horrible situation.

 

 

EUROPE 

 

Mais qu’est-ce qu’il vous a fait exactement ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Exactement, je ne peux pas vous dire. Il faudrait voir ça avec mon kéraunothérapeuthe. Mais en tout cas, c’est douloureux…

 

 

EUROPE 

 

Votre kérau ?... Qu’est-ce que c’est ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

C’est le spécialiste des foudroiements, Mademoiselle.

 

 

EUROPE (en retirant sa main d’un geste brusque) 

 

Des foudroiements ? 

 

(D’un bond, elle se lève). 

 

Mon dieu ! vous avez été foudroyé ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON  

 

Oui, chez moi. De plus, tout mon matériel informatique a été abîmé et je dois maintenant changer les gaines de mon installation électrique !

 

 

EUROPE 

 

Mais je ne pensais pas ! Il ne s’en est pas pris à vous physiquement ?

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ce sont peut-être mes pansements qui vous font croire ça, mais il s’agit de brûlures…

 

 

EUROPE 

 

Mais alors, pourquoi dites-vous que c’est lui ? L’orage s’est abattu au même moment. C’est juste une coïncidence…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Non. Parce qu’il avait une sorte de bâton ionisant, pour attirer la foudre chez moi… Je l’ai vu faire !

 

 

EUROPE 

 

Alors, c’est que vous savez qui il est… Enfin, je veux dire, vous lui prêtez donc des pouvoirs surnaturels ?…

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Ma belle Europe. Comment notre histoire a-t-elle commencé ? N’est-ce pas d’abord, par la magie d’un talisman. Mais pour mon malheur, j’ai été confrontée à une magie adverse beaucoup plus redoutable… Et je n’ai été, en fin de compte, dans cette histoire, qu’un apprenti sorcier… Or vous, comme je vous l’ai déjà dit, vous êtes la vraie Europe.

 

 

EUROPE 

 

Si vous devez vous retirer de la partie, Monsieur Castillon, personne n’y peut quelque chose. Je veux vous faire une confidence. Depuis mon plus jeune âge, ce mythe d’Europe…

 

Bruit d’un frappement, puis d’une ouverture soudaine de la porte, qui oblique EUROPE à s’interrompre. Entre L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE, qui tient un oreiller à la main. L’infirmière ne semble pas se soucier de déranger. 

 

 

L’INFIRMIÈRE en MINI JUPE 

 

Monsieur Castillon, voici votre oreiller !

 

 

EUROPE recule pour laisser la place à l’infirmière. Celle-ci soulève la tête de MONSIEUR CASTILLON pour lui installer l’oreiller. Nouvelles grimaces de douleur sur le visage du convalescent. L’infirmière se penche au-dessus de MONSIEUR CASTILLON pour voir si l’oreiller lui convient. MONSIEUR CASTILLON réagit par un sourire. Se voyant délaissée, EUROPE quitte la chambre. 

 

 

Scène 187 – BÂTIMENT de LINGUISTIQUE SALLE DE COURS – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. A l’étage, salle de cours occupée par une trentaine d’étudiants. Sur une partie du tableau blanc, l’image d’une carte de l’Europe, projetée par un rétroprojecteur. Sur des régions de la carte, EUROPE pointe un stylo laser. (Faire correspondre les indications au stylo laser avec le discours.) 

 

 

EUROPE 

 

Donc, pour en finir avec la configuration ancienne, nous avons ici, dans le golfe persique, les Érythréens, là en Asie Mineure, les Galates venus d’Europe et là enfin, les Mycéniens qui succèdent aux Minoens. 

 

(Une ÉTUDIANTE LÈVE LA MAIN). 

 

Oui ?

 

ÉTUDIANTE qui LÈVE LA MAIN 

 

Et les Achéens ?…

 

 

EUROPE  

 

Les Achéens sont ceux qui d’après la légende, fondent la civilisation Mycénienne.

 

 

ÉTUDIANTE qui LÈVE LA MAIN  

 

Les Achéens et les Mycéniens, c’est donc pareil ? 

 

 

EUROPE 

 

Les Achéens, c’est le nom légendaire. Les Mycéniens, le nom historique. 

 

 

ÉTUDIANTE qui LÈVE LA MAIN (en prenant note) 

 

Ah… ok… Merci.

 

 

EUROPE (aux étudiants) 

 

D’autres questions ?

 

 (Silence à peine troublé par un léger brouhaha).

 

Non ? Et bien dans ce cas, nous nous retrouvons la semaine prochaine. 

 

Subit tumulte des étudiants qui se lèvent et font cogner leurs chaises. 

 

 

 

Scène 188 – BÂTIMENT DE LINGUISTIQUE COULOIR – INT/JOUR

  

Bâtiment de linguistique. Couloir à l’étage. EUROPE, une petite valise à la main, avance en direction de l’ascenseur. En s’approchant elle se rend compte que du monde attend devant les portes. Elle se dirige vers l’escalier. Elle descend l’escalier. 

 

 

 

Scène 189 – HALL  DEVANT AMPHI / BÂTIMENT de LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Hall du rez-de-chaussée. EUROPE arrive par l’escalier dans le grand hall. Elle traverse le hall en direction d’un amphithéâtre. Les portes de l’amphithéâtre sont restées ouvertes.

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT 

 

Après le fonction référentielle, voyons la fonction conative ou impressive… 

 

 

EUROPE qui reconnaît la voix, laisse échapper un sourire. Elle avance jusqu’au seuil de l’amphithéâtre, jette un œil à l’intérieur, remarque PIERRE GERMONT, assis à la tribune. Elle constate aussi quelques auditeurs, restés debout près de l’entrée. Elle décide de les rejoindre. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si je fais précéder la parole d’une gestuelle impressive, par exemple, en me mettant à genoux, en y ajoutant des supplications pour que l’on m’écoute, avec un usage de l’impératif et du vocatif pour faire pression sur le destinataire, toute cette partie du message… 

 

(Il s’interrompt, le regard fixé au loin, en direction de l’endroit où se trouve EUROPE. Il reprend) 

 

est dominé par la fonction conative

 

(EUROPE s’aplatit un peu plus contre le mur, comme si cela lui permettait de rendre sa présence plus discrète). 

 

J’ai pris l’exemple de l’agenouillement, mais nous pouvons aussi avoir, une fois le message formulé, ce qui peut être un clin d’œil incitatif qui, à l’instant où il se produit, modifie le référent

 

(Le professeur fait un clin d’œil appuyé en direction de son assistante. Il provoque un léger trouble, rendant dubitatif son auditoire. Certains étudiants ont le réflexe de se retourner pour voir si le clin est adressé à quelqu’un en particulier /EUROPE essaye de rester le plus immobile possible./ Le professeur attend un retour au calme et enchaîne). 

 

Mais la fonction conative ne doit pas être confondue avec la fonction émotive. 

 

(Il sourit). 

 

Si j’énonce cette phrase, « cette femme est merveilleuse », on peut constater qu’il y a juste un référentiel, dans la mesure où les constituants du message, dans leur agencement, laissent surtout paraître un souci de transmettre linguistiquement une information : le fait que cette femme soit merveilleuse, avec évidemment des codes extra linguistiques, pour définir ce qui est de l’ordre du « merveilleux » quand on parle d’une femme. 

 

(EUROPE sourit, puis son sourire s’efface). 

 

Mais maintenant, si je dis : « Ah ! Mon dieu, cette femme… MER-veilleuse ! », en appuyant sur la première syllabe de « Merveilleuse » et en l’isolant phonétiquement, cela signifie qu’en tant que sujet, je suis fortement impliqué d’un point de vue émotionnel. 

 

(Embarrassée, EUROPE cherche à détourner la tête). 

 

Cette implication émotionnelle est manifeste par-delà l’information transmise proprement dite. Avec notamment l’interjection, l’ordre des mots, une absence de verbe, et cætera. Aussi, dans cet exemple, nous avons une phrase dominée par la fonction émotive. 

 

(Moment de silence. EUROPE remarque que le professeur rassemble ses feuilles. Après avoir jeté un énième coup d’œil vers le fond de l’amphithéâtre, il se met à conclure). 

 

Nous terminerons aujourd’hui sur cette fonction émotive et donc nous entamerons le prochain cours avec ce qui est la fonction métalinguistique. Je vous remercie. 

 

(Le professeur se lève, coupe son micro, replie ses lunettes. Vacarme des étudiants qui rangent leurs affaires et quittent l’amphithéâtre. D’un signe de la main PIERRE GERMONT invite son assistante à le rejoindre. EUROPE arrive près de la tribune.) 

 

Nous allons sortir par l’arrière, nous serons plus tranquilles. Avez-vous faim ? 

 

 

EUROPE 

 

Oh, je pense que je risque moins de perturber vos déjeuners que vos cours.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

A ce détail près que c’est surtout moi qui vous ai perturbée. Alors…

 

 

EUROPE 

 

Alors quoi ?

 

 

PIERRE GERMONT (taquin) 

 

Alors, méfiez-vous du déjeuner.

 

 

EUROPE (avec un sourire complice) 

 

Oh, je pense que je peux prendre ce genre de risque. 

 

 

PIERRE GERMONT ouvre la porte et la tient pour laisser passer son assistante. Il enfile un manteau et sort à son tour.  

 

 

 

Scène 190 – PARKING CAMPUS – EXT/JOUR

 

Parking du campus, en hiver. Traces de givre sur les voitures. EUROPE resserre le col de sa veste. PIERRE GERMONT vient entourer sa taille et la presse contre lui. De la vapeur sort de la bouche des personnages. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Dites-moi, votre taureau.Vous avez toujours l’air de bien y tenir.

 

 

EUROPE 

 

Vous savez où il est ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il continue de voyager grâce aux allégeances des uns et des autres. Et surtout d’une autre. 

 

 

EUROPE 

 

Et il est où ? En Allemagne, je parie.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

En effet, il est en Allemagne. 

 

 

EUROPE 

 

Je m’en doutais. Cela veut certainement dire qu’il en train de faire un tour. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Peut-être. Mais vous ne savez pas ce qu’on a décidé d’en faire, en Allemagne.

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce qu’on a décidé ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Les fêtes de fin d’année ne sont plus tellement loin. Des Allemands ont eu alors l’idée de le placer sur un de leurs marchés de Noël. 

 

 

EUROPE 

 

Ils font ce qu’ils veulent. S’ils prennent le risque d’exposer cet animal dangereux au public, malgré les recommandations qui ont été faites, je n’y suis pour rien. Mais malgré tout, je fais confiance au sérieux des Allemands. Normalement, comme ils savent qu’il y aura beaucoup d’enfants, ils vont certainement utiliser des moyens de sécurité drastiques. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Leur intention est de mettre cette animal dans une crèche vivante.

 

 

EUROPE 

 

Mais oui, j’avais bien compris que c’était dans ce but.

 

 

PIERRE GERMONT : Je ne pense pas que vous ayez bien compris. On met des taureaux dans des crèches ? 

 

 

EUROPE

 

Des taureaux ? disons plutôt des bœufs. Pourquoi ? (Le professeur ne fournit aucune précision, faisant ainsi comprendre que son silence en dit plus. /  EUROPE s’arrête de marcher et se défait de l’étreinte pour être face à son interlocuteur). Oh non ! Ne me dites pas que…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si. C’est ce qui est prévu…

 

 

EUROPE 

 

Vous voulez dire que là où il est, en ce moment, en Allemagne, on prévoit de l’opérer pour…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pour qu’il soit castré, je vous le confirme.

 

 

EUROPE 

 

Ça non alors ! Je m’y oppose vivement…

 

 

PIERRE GERMONT (en retenant un sourire) 

 

Vous devriez pourtant y réfléchir. C’est la seule solution radicale et efficace que les Allemands ont trouvée pour garder cet animal en vie tout en l’empêchant de nuire. 

 

 

EUROPE 

 

Vous, ça vous amuse ? Mais s’ils font perdre toute sa dignité à cet animal.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est vous qui m’amusez. 

 

Il libère un franc éclat de rire.

 

 

EUROPE 

 

Vous savez comme moi que ce taureau est bien plus qu’un taureau.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Mais nous sommes là dans le domaine du langage.

 

 

EUROPE (grelottant) 

 

Mais je croyais que le langage, pour vous, c’était tout.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pour moi, oui, mais pas pour les taureaux !

 

 

EUROPE (gelottant) 

 

Mais ne pensez-vous pas que le taureau d’Europe devient ridicule s’il n’a pas… enfin, je veux dire s’il n’a pas tous ses attributs ?

 

 

PIERRE GERMONT  

 

Vous avez vous-même refusé la solution de le faire abattre. C’est une fin plus digne.

 

 

EUROPE (grelottant) 

 

Parce que ce taureau est unique et exceptionnel. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous vous entêtez à préserver une icône qui est devenue vide de sens. Ce taureau est meurtrier multi-récidiviste. Ça aussi, je vous l’ai dit.

 

 

EUROPE (grelottant) 

 

Non ! Ce n’est pas possible qu’il n’y ait pas une logique à toute cette histoire. Et moi, j’ai besoin de comprendre…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Comprendre n’est pas forcément une solution. Songez que vous risquez d’aboutir à une conclusion décevante.  

 

 

EUROPE (grelottant) 

 

Et bien tant pis. Pour cette histoire, je suis capable de faire preuve de beaucoup de courage, vous savez…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Comme maintenant, par exemple, où vous êtes en train de vous laisser dépérir dans le froid. 

 

 

EUROPE 

 

Sur ce sujet du froid, je reconnais que j’étais mieux…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Serrée contre moi, c’est ça ?

 

 

EUROPE

 

A Athènes.

 

(Pause). 

 

En fait oui, serrée contre vous. C’est ce que je voulais dire.

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant) 

 

Bon… Voyons l’urgence de la situation… 

 

(Il glisse sa main dans l’ouverture du col). 

 

Ouh la ! C’est froid… Il faut que je vous réchauffe.

 

(Il s’approche, glisse ses mains sous la veste de la jeune femme pour frotter d’un geste lent ses épaules). 

 

Juste un petit massage…

 

 

VOIX de NAKISSA 

 

Vous partez déjeuner, Pierre ?

 

NAKISSA remarque la situation compromettante de PIERRE GERMONT, tandis que celui-ci retire en vitesse ses mains.

 

NAKISSA (une main plaquée contre la bouche) 

 

Oh, pardon ! 

 

NAKISSA se met à rire. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui, je pars déjeuner et mon assistante sera avec nous. Elle n’est pas ma maîtresse.

 

 

NAKISSA (en les rejoignant)  

 

Ça ne me regarde pas. Mais vu ce que j’ai vu, je me demande si votre connaissance du métalangage est vraiment suffisante pour éviter, chez vous, toutes les scènes de ménage.

 

 

PIERRE GERMONT (avec un sourire) 

 

La question est pertinente. Mais la réponse ne vous regarde pas. Allons déjeuner. 

 

 

Tous trois avancent afin d’atteindre l’autre extrémité des parkings. Un moment, NAKISSA a pour réflexe de tirer la manche du manteau de PIERRE GERMONT.

 

 

NAKISSA (à voix basse) 

 

Oh… Regardez qui vient là… C’est Ferbono.

 

 

Sur le parking, un luxueux roadster blanc, brillant d’un éclat neuf, vient de se garer. Un homme d’allure soignée, MONSIEUR FERBONO, sort du véhicule et avance en direction du trio.

 

 

PIERRE GERMONT (sans MONSIEUR FERBONO puisse entendre) 

 

Ah tiens ! Monsieur Ferbono…

 

 

EUROPE

 

Qui est ce Monsieur ?

 

 

NAKISSA 

 

Ouh là !

 

 

PIERRE GERMONT

 

Monsieur Ferbono a été parachuté dans cette université alors qu’il n’a rien à y faire…


 

 

NAKISSA 

 

Ni dans celle-là, ni dans aucune autre…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il n’a même pas le niveau pour enseigner dans une école primaire…

 

 

NAKISSA 

 

Alors là, Pierre, vous êtes quand même un peu dur.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Peut-être. Mais disons surtout que je plains l’établissement scolaire qui tomberait sur Monsieur Ferbono.

 

 

NAKISSA

 

En effet. Ici, au moins, on peut le dissimuler dans la masse. Avec un peu de chance, on doit le prendre pour un employé de la bibliothèque…

 

NAKISSA se met à rire.

 

 

EUROPE 

 

C’est à ce point-là ?

 

 

NAKISSA (continuant de rire) 

 

C’est que surtout, il nous fait honte.

 

 

MONSIEUR FERBONO s’approchant, NAKISSA stoppe son rire et chacun adopte un semblant de sérieux. MONSIEUR FERBONO arrive à hauteur du trio, s’apprêtant à le croiser.

 

 

PIERRE GERMONT et NAKISSA 

 

Bonjour Monsieur Ferbono.

 

 

MONSIEUR FERBONO (en détournant rapidement la tête) 

 

Bonjour…

 

 

MONSIEUR FERBONO s’éloigne.

 

EUROPE (soudain saisie par une idée) 

 

Monsieur Germont. J’ai oublié de vous demander. Vous savez dans quel coin d’Allemagne se trouve le taureau ?. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Aucune idée.

 

 

EUROPE 

 

Même pas la région ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Même pas.

 

 

EUROPE 

 

Alors, comment je vais le retrouver ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est votre affaire… 

 

 

EUROPE 

 

La seule solution est d’appeler Monsieur Castillon… Même si cela ne vous plaît pas, Monsieur Germont…

 

 

 

Scène 191 – BRASSERIE – INT/JOUR

 

Brasserie animée, vue dans un plan fixe d’ensemble sans que l’on puisse entendre distinctement les paroles. A une longue table, des visages déjà connus : MONSIEUR JOUBERT, MADAME CARLINGTON,  JACQUES, GHASSEN… Quelques places vacantes autour de la longue table. Les tables voisines sont occupées. Brouhaha auquel s’ajoute une légère musique de fond. Entrent PIERRE GERMONT, EUROPE et NAKISSA. Les trois nouveaux arrivants viennent serrer les mains et saluer ceux qui sont déjà attablés. PIERRE GERMONT propose une place à EUROPE et une autre à NAKISSA. Une fois les deux femmes assises, il s’assoit à son tour et prend la carte des vins. Peu après s’être assise, EUROPE se relève. On devine qu’elle s’excuse avant de quitter sa place. Elle part vers l’avant, se retrouvant dans le premier plan. Elle sort son téléphone et compose un numéro. Elle avance encore jusqu’à ce qu’on ne la voit plus (sortie de champ). 

 

 

 

Scène 192 –  BRASSERIE – INT/JOUR

 

Brasserie. EUROPE a trouvé refuge sous un escalier pour pouvoir téléphoner tranquillement. Au fond brouhaha de la Brasserie.

 

 

EUROPE

 

Je suis ravie de savoir que vous allez mieux, Monsieur Castillon. Mais si je vous appelle c’est pour avoir aussi des nouvelles du taureau.

 

La communication est présentée ensuite dans un montage en parallèle.

 

Scène 193 – CHAMBRE de MONSIEUR CASTILLON CLINIQUE DE LUXE – INT/JOUR

 

Clinique de luxe. Chambre de MONSIEUR CASTILLON. MONSIEUR CASTILLON est assis dans un des fauteuils en coque de la partie salon. Il n’a plus de pansements.

 

 

MONSIEUR CASTILLON

 

La région… Malheureusement, je ne peux pas vous répondre. Depuis mon accident, j’ai des problèmes de mémoire. Par contre, je peux vous annoncer une nouvelle et c’est, hélas, une mauvaise nouvelle…

 

 

 

Scène 194 – BRASSERIE – INT/JOUR

 

Brasserie – Sous l’escalier. (Suite SEQU.192)

 

 

EUROPE 

 

Il a été castré, c’est ça ?

 

 

 

Scène 195 – CHAMBRE de MONSIEUR CASTILLON CLINIQUE DE LUXE – INT/JOUR

 

Clinique. Chambre MONSIEUR CASTILLON (Suite SEQU.193).

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

Non. Si je devais vous annoncer qu’il avait été castré, cela aurait été une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que le vétérinaire n’a même pas eu le temps de venir… Le toit de l’étable où se trouvait le taureau a été recouvert d’une très grosse épaisseur de neige. Et il n’a pas résisté…

 

 

 

Scène 196 – BRASSERIE – INT/JOUR 

 

Brasserie – Sous l’escalier. (Suite SEQU.194)

 

 

EUROPE

 

Le toit s’est effondré ?

 

Image qui se brouille… 

 

 

 

Scène 197 – MONTAGNE ENNEIGÉE en ALLEMAGNE – INT/JOUR

 

Allemagne. Paysage de montagne enneigé au petit jour. Le taureau blanc d’Europe, dans la neige, fonce sur une famille de skieurs qui portent des skis sur l’épaule. Une petite fille traîne une luge rose. Des corps qui tombent dans la neige, dans un effet de flou qui reproduit une impression de mouvement désordonné. Bonnet qui tombe. Tache de sang. La luge rose, qui glisse seule sur une pente. 

 

 

 

Scène 198 – CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus universitaire durant la période des vacances de Noël. Dans la soirée. Au loin, des guirlandes de ville qui clignotent et un sapin de Noël décoré. En premier plan, un  taureau sur la pelouse du campus, en raccord avec la séquence précédente. Le taureau baisse la tête pour brouter et la relève.  Dans un zoom arrière, on retrouve autour du taureau, une partie de l’équipe du centre de recherche : JACQUES, MICHEL, BENOÎT, GHASSEN, ANTOINE… (PIERRE GERMONT n’est pas présent). Tous portent des anoraks ou des vestes épaisses avec écharpes. BENOÎT se tient accroupi devant la tête du taureau, avec un bloc et un crayon. Il prend des notes. A côté de lui, MICHEL tient une boîte (le projecteur du kinétope) entre ses mains. Alors que JACQUES contourne le taureau en l’étudiant avec attention, EUROPE s’avance vers le groupe (et entre ainsi dans le champ). EUROPE vient se placer à côté d’ANTOINE.

 

 

JACQUES  (Après avoir fait le tour)

 

Non, on ne remarque aucune anomalie

 

(Il interroge BENOÎT).  

 

Tu as pris les mesures ?

 

 

BENOÎT (en se relevant)

 

  Je les ai presque toutes. Il me manque les angles. 

 

 

JACQUES 

Pour les angles, on peut demander à Antoine. 

 

(A ANTOINE). 

 

Antoine, tu saurais nous dire ?

 

 

 

ANTOINE (mécaniquement) 

 

Les deux  premiers c’est 40, ensuite 85,  ensuite : 10 et le dernier : 185  degrés. 

 

 

MICHEL

 

On pourrait aussi vérifier pour l’opacité. 

 

 

JACQUES 

 

Sur ce plan, pas de problème il me semble. 

 

(JACQUES avance vers le taureau et enfonce sa main dans l’hologramme. L’effet est celui d’une main qui disparaît dans le corps de l’animal). 

 

Personne ne voit ma main ?

 

 (Plusieurs « Non » se font entendre.) 

 

Michel, tu peux faire bouger le projecteur du kinétope pour voir ce que ça donne ? 

 

(MICHEL fait bouger l’appareil qu’il tient entre les mains. Il ne se passe aucun changement). 

 

Quelqu’un a constaté une anomalie ? 

 

 (De nouveau, plusieurs « Non »). 

 

C’est donc que la machine corrige les positions à chaque fois.

 

 

MICHEL 

 

Oui, mais justement, c’est ça le problème. Si on demande à la machine de corriger sa position pour que le taureau reste immobile, comment on va pouvoir la programmer pour qu’elle fasse marcher le taureau ? 

 

 

GHASSEN 

 

Si, ça doit être possible en nous servant des ondes satellite. Mais le problème, surtout, c’est les pattes. C’est trop compliqué, pour faire coordonner les mouvements.

 

 

JACQUES 

 

Alors, qu’est-ce que tu proposes pour les pattes ? 

 

 

GHASSEN  

 

Rien, justement. Parce que, selon moi, il faudrait autre chose que des pattes.

 

 

JACQUES 

 

Mais on ne va pas enlever les pattes au taureau, pour lui mettre des nageoires…

 

Quelques rires.

 

 

GHASSEN 

 

Moi, je pense qu’il ne faut pas tout de suite essayer avec le taureau. Avant, il faut prendre autre chose de plus simple…

 

 

JACQUES (en poussant un soupir) 

 

Bon… Tout ça… ça veut dire qu’on n’avance pas bien vite. Les autres, qu’est-ce que vous en pensez ? 

 

 

BENOÎT 

 

Ce n’est pas parce le projet s’appelle « taureau blanc », qu’on est obligé de prendre un taureau. 

 

 

MICHEL 

 

Pour moi, il faut réfléchir.

 

 

JACQUES

 

D’accord, on va réfléchir.

 

 

MICHEL (A Jacques / En montrant le projecteur qu’il tient en main) 

 

J’éteins ? 

 

 

JACQUES : Oui. C’est bon, maintenant… 

 

 

MICHEL appuie sur un bouton de l’appareil. L’image du taureau s’évanouit. Les différents personnages se mettent à discuter à voix basse, par petits groupes.

 

 

EUROPE (à ANTOINE) 

 

Disparu ! Comme le vrai taureau d’ailleurs. 

 

(ANTOINE écoute en regardant droit devant lui). 

 

Après avoir fait de nouvelles victimes, en Allemagne, on ne sait pas où il est passé. Les traces de pas dans la neige n’ont pas suffi.

 

 (EUROPE remarque que son interlocuteur ne la regarde pas. Elle décide de s’éloigner. Saisie par une idée soudaine, elle revient vers lui).

 

Mais Antoine… Vous, vous devez pouvoir savoir où il est le taureau actuellement… 

 

 

ANTOINE (figé, immobile, le regard fixé droit devant lui)

 

Oui.

 

 

EUROPE 

 

Vous savez vraiment où il est ?

 

 

ANTOINE (mécaniquement)

 

On m’a dit de ne pas vous le répéter. 

 

 

EUROPE (surprise) 

 

Ah bon ? Mais pourquoi ?

 

 

ANTOINE (mécaniquement) 

 

Parce que vous devez vous intéresser à ce qui se passe ici.

 

 

EUROPE

 

Mais je m’y intéresse. Et dès le premier jour. Vous ne vous souvenez pas, quand j’ai testé les différentes machines ?

 

 

ANTOINE 

 

Oui. La voix de votre mère. La voix de votre frère. C’est à des choses comme ça qu’il faut vous intéresser.

 

 

EUROPE 

 

Oui. Alors, vous vous souvenez, quand j’ai essayé. Et en ce qui concerne le taureau…

 

 

ANTOINE (interrompant) 

 

La voix de votre mère. La voix de votre frère. 

 

 

EUROPE (renonçant) 

 

Bon…  je ne vous dérange plus

 

(Elle s’éloigne)

 

Au revoir Antoine. 

 

 

 Scène 199 – BÂTIMENT de LINGUISTIQUE BUREAU DU DIRECTEUR – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. PIERRE GERMONT, derrière son bureau, réajuste ses lunettes. Il tient un document à la main. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Cette fois, vous allez être informée

 

(En face de lui, EUROPE se tient droite et immobile sur une chaise./ Il lit). 

 

Nous sommes là à Naples, plus exactement dans le parc de Capodimonte. Le parc en question est sur une colline qui surplombe la vieille ville. Autrefois, il s’agissait d’un important domaine de chasse. Sur la partie la plus haute, vous avez le Palais Royal, une construction du XVIIIème siècle. C’est un musée. Autour, c’est un parc public avec palmiers, grandes pelouses et certaines parties plus entretenues que d’autres. Au-delà, c’est arboré et l’on trouve d’autres édifices d’époque. Les gens qui viennent dans ce coin, c’est un peu tout le monde, du joggeur au flâneur, de la famille ordinaire, avec enfants et chiens, aux artistes et saltimbanques. Le déprimé cherche à y oublier ses chagrins et le couple d’amoureux s’y installe pour quelques moments de bonheur caché. Bref, c’est une échappée verte pour tous les citadins, qui veulent se ressourcer et échapper au stress du quotidien. bien sûr, il y a également les visiteurs du musée et les touristes, nombreux à certaines périodes, d’autant plus que le parc a un belvédère qui offre un point de vue non seulement sur Naples, mais aussi sur la mer et sur l’île voisine d’Ischia. A une époque, un pavillon abritait une volière. Mais il n’y a jamais rien eu pour accueillir des bêtes d’élevage. Vous devez comprendre que le taureau n’a pas été installé au meilleur des endroits. Nous sommes dans des lieux très fréquentés et juste aux abords d’une très grande ville. Alors, s’il s’échappe…

 

 

EUROPE (d’une voix blanche) 

 

Mais pourquoi l’a-t-on mis là ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Parce que la famille qui s’en occupe, les Rimazzi, souhaitent que cet animal soit amené à une fête de mariage

 

 

EUROPE  

 

Mais c’est de l’inconscience !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Dans certaines familles, les cérémonies de mariage ont une telle importance qu’on pense pouvoir tout se permettre à cette occasion. 

 

 

EUROPE

 

Et où doit avoir lieu la cérémonie ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Dans la ville voisine d’Amalfi. Le coin est très pittoresque. C’est escarpé, sauvage. Il y a la Méditerranée en dessous. La côte amalfitaine est très connue des cinéastes. 

 

(Il enlève ses lunettes). 

 

Vous devinez ce qui peut arriver à la cérémonie qui est attendue. Le mariage est prévu pour le 14 Février, jour de la Saint-Valentin. Comme vous pouvez le deviner, les invités seront nombreux. Je ne sais pas si le taureau réussira à s’échapper avant, dans le parc de Capodimonte, ou après, dans Amalfi… mais de toute façon, quelque soit le scénario, celui-ci risque d’être guère réjouissant. 

 

 

EUROPE (en baissant le regard) 

 

Vous avez certainement raison. 

 

(Elle reste un instant silencieuse).

 

La meilleure des décisions est de faire abattre ce taureau. Mais c’est difficile pour moi. Avant de m’engager dans cette décision, j’ai besoin de réfléchir… 

 

 

PIERRE GERMONT (en se levant) 

 

Soit ! Dans ce cas, je vous laisse à vos réflexions. Mais faites attention de ne pas perdre trop de temps. En ce qui concerne l’Allemagne, on peut encore penser que vous n’étiez pas bien informée, mais là, ce n’est pas le cas. 

 

(Il fouille une poche, sort une clef et la pose sur le bureau, devant elle). 

 

Tenez. Je dois aller au Centre de Recherche : on m’attend là-bas. N’oubliez pas de refermer en partant. 

 

 

EUROPE acquiesce d’un faible hochement de tête. (PIERRE GERMONT quitte le champ). Bruit de la porte qui se referme dans le dos de la jeune femme. EUROPE prend sa tête entre ses mains, ferme les yeux.

 

 

VOIX OFF D’EUROPE 

 

Abattez-le… 

 

 

EUROPE (à elle-même) 

 

Non, je ne peux pas, je ne peux pas… 

 

 

Elle redresse la tête, remarque la statue du taureau blanc d’Europe. Elle n’y fait pas attention au premier abord, puis son regard se braque dessus. Elle se lève d’un bond, ouvre les tiroirs du bureau, se met à fouiller. Elle part dans le fond de la pièce, ouvre l’armoire en fer. Elle fouille à nouveau. Dans un étage du bas, elle trouve une petite statuette emballée dans du plastique à bulles. Elle déballe le plastique et en retire la statuette, celle d’une femme allongée dans une position particulière. Après avoir refermé le placard, elle revient vers le bureau et s’approche de la statue du taureau. Elle pose délicatement la statuette sur le dos du taureau et se rend compte que les deux pièces s’agencent parfaitement. Elle repart dans le fond de la pièce, cette fois pour aller par la fenêtre. Elle s’arrête pensive devant la fenêtre. 

 

 

Scène 200 – MUSÉE – INT./JOUR      

 

Musée avec un tableau représentant l’enlèvement d’Europe. Face au tableau, EUROPE JEUNE FILLE tenant la main à son PERE. Les deux personnages sont de dos. (Reprise d’un extrait la SEQU.5)

 

PERE d’EUROPE

 

Le taureau attend le moment où elle tient fermement ses cornes pour l’emporter dans sa course. C’est comme ça que Zeus enlève Europe.

 

 (traduire en grec. Mettre sous-titres)

 

 

Scène 201 – BÂTIMENT de LINGUISTIQUE BUREAU DU DIRECTEUR – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. EUROPE est pensive devant la fenêtre. (Reprise de la SEQU.200). 

 

 

VOIX OFF d’EUROPE 

 

Il faut prendre le taureau par les cornes.

 

 

EUROPE

 

Mais oui !

 

Elle se retourne aussitôt, revient vers le bureau. Elle saisit la clef, prend son sac laissé sur le sol et sort. Dans un contre-champ, image de la porte qui est refermée à clef avec la statue du taureau d’Europe en amorce. 

 

Scène 202 – CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus universitaire. En contre plongée, EUROPE traverse le campus d’un pas pressé.

 

 

 

Scène 203 –  CENTRE de RECHERCHE – INT/ JOUR

 

Centre de Recherche. EUROPE entre rapidement dans la salle et cherche aussitôt PIERRE GERMONT. Sont également présents : JACQUES, NAKISSA, MICHEL. Elle salue rapidement les autres protagonistes et avance. Elle finit par le remarquer et va à sa rencontre. PIERRE GERMONT qui l’a également remarquée, attend qu’elle le rejoigne. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Qu’est-ce qu’il y a ?

 

 

EUROPE (s’arrêtant net. / Elle est essoufflée) 

 

J’ai trouvé la solution

 

(Elle s’interrompt le temps de reprendre son souffle).  

 

C’est de prendre le taureau par les cornes.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Qui ça ?

 

 

EUROPE

 

Mais moi, bien sûr… C’est le nouveau défi que je peux proposer à Monsieur Castillon.

 

Apparaissant embarrassé, PIERRE GERMONT détourne la tête. Il regarde en direction de ses acolytes, leur adresse de discrets coups d’œil. Puis il revient vers son interlocutrice.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il n’y arrivera pas.

 

 

EUROPE

 

Comment pouvez-vous en être sûr ? Vous ne le connaissez même pas. Monsieur Castillon est prêt à se lancer dans n’importe quel défi. Plus c’est fou et plus il veut tenter.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Précisément, dans ce cas, ça risque de ne pas être assez fou pour lui. 

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce que vous entendez par là ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

J’entends par là que… Ça risque d’être trop concret pour lui. On ne peut pas tricher avec le dos d’un taureau…

 

 

EUROPE 

 

Cela veut dire que vous doutez de l’intégrité de cet homme. Vous pensez qu’à chacun de ses défis, il a eu recours à des artifices pour tenter de m’illusionner. C’est ça ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Parfaitement.

 

 

EUROPE

 

Écoutez, Monsieur Germont. Ce n’est pas compliqué. Si Monsieur Castillon prétend d’emblée ne pas pouvoir réaliser ce défi, alors il devra s’expliquer, croyez-moi… D’ailleurs, est-ce que je peux l’appeler d’ici ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Bien sûr…

 

 

PIERRE GERMONT dépose aussitôt un téléphone dans la main de son assistante. Alors qu’elle compose le numéro, EUROPE remarque que des regards se braquent sur elle. 

 

EUROPE (le téléphone à l’oreille) 

 

Monsieur Castillon ?

 

 

(Conversation téléphonique en montage parallèle).

  

 

 

Scène 204 – MANOIR de MONSIEUR CASTILLON – INT/JOUR

 

Manoir de MONSIEUR CASTILLON. MONSIEUR CASTILLON a son téléphone à l’oreille. 

 

 

MONSIEUR CASTILLON 

 

Mais pourquoi voulez-vous prendre cet animal par les cornes ? Une chose pareille est insensée, Mademoiselle !

 

 

 

Scène 205 –  CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Centre de Recherche. EUROPE est au téléphone (Suite SEQU.3).

 

 

EUROPE 

 

Pourquoi ? Mais voyons Monsieur Castillon. Vous qui êtes l’homme de tous les défis. Ce défi est justement la solution attendue…  C’est une solution non seulement pour vous, mais aussi pour le taureau qui pourra enfin révéler son côté prodige.

 

 

(Instant de silence où EUROPE écoute. Elle raccroche avec un air désappointé. / A PIERRE GERMONT). 

 

Il m’a dit qu’il allait me rappeler. C’est le temps de réfléchir. Curieusement, il n’a pas réagi comme les autres fois. Les autres fois, il était plein d’assurance. C’est vraiment étrange

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je m’en doutais.

 

 

EUROPE 

 

Si j’apprends que cet homme s’est servi de sa fortune pour chercher à me tromper avec  de faux exploits, croyez-moi, je vais être déçue. M’est-il possible d’attendre ici ?

 

 

PIERRE GERMONT (avec une douceur dans la voix) 

 

Le temps que vous voulez.

 

 

PIERRE GERMONT s’assoit devant un ordinateur. 

 

 

EUROPE (s’assoit sur une chaise voisine) 

 

Vous ne m’avez pas demandé ce que serait ma décision si jamais Monsieur Castillon n’était pas d’accord pour ce défi et si, en même temps, il refusait de se justifier… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je vous recommande fortement de rester prudente.

 

 

EUROPE

 

Monsieur Germont, maintenant que j’ai cette solution, je n’ai plus peur de rien. Je n’ai même pas la crainte de finir parmi les victimes de cet animal. Comme je sais où il est, je n’ai qu’à prendre le premier vol qui m’amène à Naples. Et après, je n’aurai qu’à essayer… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ces animaux ont une force colossale que vous n’imaginez sans doute même pas. Si vous essayez d’entreprendre quoi que ce soit avec ce taureau, en deux secondes il vous mettra par terre sans le moindre état d’âme. 

 

 

EUROPE

 

Mais dans le mythe, Europe domine sa peur et parvient à amadouer l’animal. La dernière solution qu’il me restera, si Monsieur Castillon ne réagit pas, sera de vérifier  par moi-même si ce mythe est vrai… Je n’ai plus d’autre choix.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous voilà touchant la lumière.

 

 

EUROPE 

 

Je touche la lumière, mais en même temps vous prétendez que je vais me faire massacrer par ce taureau. Il faudrait savoir. 

 

 

PIERRE GERMONT (se lève à nouveau) 

 

Vous parlez de prendre de très gros risques qui mettent votre vie en danger. Je ne peux pas rester sans réagir. 

 

 

EUROPE 

 

Mais en même temps, vous me comprenez, n’est-ce pas ?

 

 

PIERRE GERMONT fixe le visage de son interlocutrice. Il réfléchit à la teneur de ses propos. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Disons que… Votre décision est encore très récente. Vous avez certainement besoin d’un peu de temps et d’un peu de recul pour mieux y réfléchir. Parfois on peut se laisser convaincre par un élan de désespoir et ensuite voir la situation tout à fait autrement. 

 

 

EUROPE

 

Sauf que ce n’est pas une décision, mais une prise de conscience. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Quoi qu’il en soit, si maintenant vous faisiez simplement l’effort de penser à autre chose ?

 

 

EUROPE 

 

A quoi voulez-vous que je pense ?

 

 

PIERRE GERMONT s’éloigne. Il revient vers son assistante en tenant un appareil ressemblant à un drone équipé du projecteur du kinétope (Vu SEQU 198 dans les mains de Michel). 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tenez ! Regardez ceci…

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce que c’est ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ici, nous appelons ça un gnoptère. C’est un modèle hybride entre l’avion et l’hélicoptère. Dans cet appareil, nous avons placé le kinétope, que vous connaissez déjà. L’hologramme ressort par en dessous. Notre idée est de pouvoir le téléguider d’une voiture. Seulement, avec le taureau, nous n’y arrivons toujours pas. Le mouvement des pattes nous pose encore trop de problèmes.

 

 (Il se tourne vers JACQUES). 

 

Par quoi peut-on remplacer notre animal ? Par une voiture ?

 

 

JACQUES 

 

Une voiture, je veux bien. Mais on fait comment pour le chauffeur ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On est d’accord que l’essai doit se faire de nuit, pour que le drone ne soit pas apparent. Donc, le chauffeur, c’est une ombre simplement… 

 

 

JACQUES 

 

Oui, mais alors… si la voiture s’arrête ?

 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Mais elle ne s’arrêtera pas…

 

 

JACQUES 

 

Et s’il y a un feu rouge ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il ne faut pas qu’il y en ait, donc on fera l’essai sur des voies sans feu rouge. Mieux vaut aussi des routes pas très éclairées et le mieux serait d’avoir une carrosserie blanche. 

 

 

JACQUES 

 

Et les roues ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Pour les faire tourner, je pense que ça ne doit pas être trop compliqué. Mettre des phares de route, c’est également faisable si la voiture est basse. Il reste quand même un petit souci, c’est le fonctionnement du clignotant. 

 

 

JACQUES (en haussant les épaules) 

 

Alors là… tous ceux qui oublient de mettre leurs clignotants…

 

 

NAKISSA (en redressant la tête) 

 

Vous êtes sérieux ? Vous allez piloter à distance un engin pareil sur des voies publiques ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si on ne prend pas de risque, on ne va jamais avancer.

 

 

JACQUES 

 

Mais non ! On ne prend aucun risque. C’est un engin virtuel. Il ne peut pas avoir d’accident.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je crois que Nakissa est surtout inquiète par rapport à des risques d’infractions…

 

 

NAKISSA 

 

Évidemment ! J’imagine, d’ailleurs, que vous n’allez pas faire rouler cette voiture sans plaque d’immatriculation ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ça mérite réflexion… 

 

 

NAKISSA 

 

Sans plaque d’immatriculation, elle va tout de suite être repérée.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Dans ce cas, j’attends de voir qui est volontaire pour offrir sa plaque d’immatriculation à la science.

 

 

NAKISSA (vivement) 

 

Ah ça non, pas la mienne !

 

EUROPE libère un rire.

 

 

JACQUES 

 

Attendez… Il nous faut une voiture blanche et basse ? On n’a qu’à prendre le roadster de Ferbono.

 

L’idée de Jacques déclenche une explosion d’hilarité.

 

 

PIERRE GERMONT (dans les secousses d’un rire) 

 

Oh non… La voiture de Ferbono ne va quand même pas être notre unique solution.

 

 

NAKISSA 

 

C’est de sa faute, il a une voiture qui nous convient. 

 

 

JACQUES (en se rapprochant de la fenêtre) 

 

Il devrait plutôt nous remercier. On le rend utile à la science alors qu’il ne l’a jamais été en quoi que ce soit.

 

 (Il regarde à l’extérieur). 

 

D’ailleurs… sa voiture est là. 

 

 

De nouveaux rires. MICHEL se lève pour voir à son tour la voiture sur le parking. MICHEL se tourne vers JACQUES.

 

 

MICHEL 

 

Si c’est sérieux, alors il faut tout de suite enregistrer les images sous les différents angles. Après, on risque de manquer de lumière.

 

 

JACQUES 

 

Bien sûr que c’est sérieux. Si vous voulez y aller, je vous accompagne. Et il faut même y aller tout de suite, sinon il risque de nous échapper.

 

MICHEL se dirige vers un coin de la salle.

 

 

MICHEL

 

Entendu. Je m’occupe du laser scanneur. 

 

 

MICHEL enfile une veste et prend le « laser scanneur ».  Il rejoint JACQUES, qui met son manteau. Les deux hommes sortent en échangeant des bavardages en partie inaudibles.  EUROPE se lève et rejoint PIERRE GERMONT.

 

 

EUROPE 

 

Monsieur Castillon ne m’a toujours pas rappelée. Ce silence n’est pas du tout normal. 

 

(Elle remarque le téléphone posé sur une table). 

 

M’est-il possible de le recontacter ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Bien sûr. 

 

 

EUROPE prend le téléphone, compose le numéro, mais à peine entend-elle la sonnerie, qu’elle se met à raccrocher d’un geste nerveux.

 

 

EUROPE 

 

Je ne comprends plus rien.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Que se passe-t-il ?

 

 

EUROPE 

 

Ça n’était même pas la sonnerie normale…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous rappellerez un peu plus tard.

 

 

EUROPE (en se dirigeant vers la sortie) 

 

Oui. Mais en attendant, il faut que je sorte

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ça ne va pas ? Vous voulez que je vous accompagne ? 

 

 

EUROPE 

 

Non, je vous remercie. Ça sera inutile

 

EUROPE sort de la salle. 

 


 


 
 
posté le 03-11-2014 à 10:31:03

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 8

 

 

 

 

Scène 206 – CAMPUS – EXT/JOUR

 

 

Campus. EUROPE marche sur une allée du campus qui est désert. Elle se dirige vers un banc. Elle s’assoit sur le banc et met sa tête entre ses mains. 

 

 

 

Scène 207 –  CAVERNE – INT/JOUR

 

 

Caverne. Dans un contre jour, EUROPE assise face à une QUINQUAGÉNAIRE, qui porte une tunique blanche et une couronne de fleurs sur des cheveux longs. Leurs deux visages sont proches. Fumées montantes d’un feu de bois. (Reprise d’un extrait de la SEQU.10).

 

 

La QUINQUAGÉNAIRE  

 

As-tu déjà réfléchi aux limites que peuvent atteindre ta conscience ? 

 

(EUROPE redresse légèrement la tête.) 

 

Des philosophes de l’antiquité se sont déjà posés ce genre de question. Alors ils ont essayé de pousser plus loin les limites de leur conscience. Aussi loin qu’ils le pouvaient… 

 

 

 

Scène 208 –  MUSÉE – INT/JOUR      

 

Musée avec un tableau représentant l’enlèvement d’Europe. Face au tableau, EUROPE JEUNE FILLE tenant la main à son PERE. Les deux personnages sont de dos. (Reprise d’un extrait la SEQU.5 et répétition de la SEQU.200)

 

 

PERE d’EUROPE 

 

Le taureau attend le moment où elle tient fermement ses cornes pour l’emporter dans sa course. C’est comme ça que Zeus enlève Europe.

 

(traduire en grec. Mettre sous-titres)

 

 

 

Scène 209 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. PIERRE GERMONT s’adresse à EUROPE. (Extrait de la SEQU.203).

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ces animaux ont une force colossale que vous n’imaginez sans doute même pas. Si vous essayez d’entreprendre quoi que  ce soit avec ce taureau, en deux secondes il vous mettra par terre sans le moindre état d’âme. 

 

 

Scène 210 – CAMPUS – EXT/JOUR

 

Campus. Reprise de la SEQU 206. EUROPE assise sur le banc la tête entre ses mains, redresse la tête. Elle se lève, quitte le banc, poursuit son chemin sur l’allée du campus. 

 

 

 

Scène 211 – RUE d'UNE VILLE – EXT/JOUR

 

Rue d’une ville, avec cafés et boutiques, dans la soirée. A côté, une gare, d’où sortent des usagers. Les réverbères sont allumés. EUROPE avance dans la rue en attardant son regard sur les endroits animés de la rue. 

 

 

Scène 212 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. PIERRE GERMONT s’adresse à EUROPE. (Extrait de la SEQU.203).

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous voilà touchant la lumière.

 

 

Scène 213 – CAMPUS – EXT/NUIT

 

 Campus. EUROPE marche sur une allée du campus qui est éclairé par des réverbères. (Elle marche en sens inverse par rapport à la SEQU. 206). 

 

 

Scène 214 – CENTRE de RECHERCHE – INT/NUIT

 

Salle du Centre de Recherche. EUROPE entre. Atmosphère studieuse. EUROPE remarque la présence de JEAN-FRANÇOIS, qui s’occupe de faire sortir des documents. Elle le salue. Elle passe près de JACQUES et MICHEL qui, devant un écran, travaillent les images filmées du véhicule. Elle rejoint PIERRE GERMONT. Elle repère, à nouveau, le téléphone. Elle prend le téléphone en interrogeant le professeur du regard. PIERRE GERMONT acquiesce d’un mouvement de la tête. EUROPE met le téléphone à son oreille. Bruit d’une sonnerie de dérangement. EUROPE, d’un geste rageur, coupe le contact.

 

 

EUROPE (en colère) 

 

Puisque c’est comme ça, demain matin, j’irai le voir et, croyez-moi, il va falloir qu’il s’explique !

 

 

PIERRE GERMONT

 

Demain matin, ça ne sera pas possible.

 

 

EUROPE 

 

Et pourquoi ça ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a une enveloppe qu’il faut remettre en main propre au collègue d’une université voisine et, pour cela, je compte fermement sur vous pour y aller dès que possible, demain, dans la matinée.

 

 

EUROPE (se lamente) 

 

Oh non…  

 

(Elle se ravise).  

 

J’espère que vous ne prenez pas mal mon désarroi, Monsieur Germont.

 

 

PIERRE GERMONT (saisit un paquet de feuilles sur sa table et va voir JEAN-FRANÇOIS) 

 

Est-ce que vous pouvez me mettre ces documents sous pli ?

 

 

JEAN-FRANÇOIS (en prenant les feuilles) 

 

Je vous prépare votre courrier.

 

 

PIERRE GERMONT revient vers son bureau. EUROPE s’approche de lui pour lui parler à voix basse.

 

 

EUROPE 

 

Au fait, Monsieur Germont, les taureaux, vous les connaissez.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Pourquoi vous me dites ça ?

 

 

EUROPE 

 

Pourquoi ? Mais parce que si la solution ne peut venir de Monsieur Castillon, elle peut peut-être venir de vous.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Écoutez, ce n’est pas le moment…

 

 

EUROPE (insistante / à voix basse) 

 

Il paraît même que vous avez des taureaux en Camargue et que vous participez à des courses taurines.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je m’en suis déjà occupé de ce taureau et, en ce moment, je n’ai pas le temps. 

 

 

EUROPE 

 

Mais ce taureau vous concerne autant que moi. Et nous arrivons à cette situation absurde où c’est moi qui vais devoir lui attraper les cornes et non pas vous.

 

 

PIERRE GERMONT (à voix basse) : 

 

Vous voulez agir selon un mythe que vous interprétez au pied de la lettre. Je n’y suis pour rien. 

 

 

EUROPE 

 

Alors, dites moi comment l’interpréter. 

 

 

Avant de prendre le temps de lui répondre, le professeur s’échappe. Il rejoint JEAN-FRANÇOIS qui lui remet une enveloppe kraft et revient vers son assistante. 

 

 

PIERRE GERMONT (A voix basse / A EUROPE) 

 

Je me suis déjà déplacé pour essayer de récupérer ce taureau. Ensuite, je vous ai proposé moi-même de rencontrer son propriétaire. Et je l’ai fait. Et rappelez-vous que c’est ici même et grâce à nos machines que vous avez pu retrouver sa trace. Et quand je dis « grâce à nos machines », je devrais plutôt dire « à cause d’elles », parce que si je ne vous avais pas permis de le retrouver, on n’en serait pas là aujourd’hui. Aussi, je vous prie dorénavant de ne plus rien me demander au sujet de cet animal.

 

 

 (PIERRE GERMONT pose son enveloppe sur le coin d’une table. Il prend un stylo et note à la hâte des indications sur l’enveloppe. / Il reprend l’enveloppe). 

 

 

Quant à mon courrier, vous devez le remettre sans faute demain matin, en vous rendant au lieu qui est indiqué dessus et en le remettant directement à la personne dont le nom est également inscrit sur l’enveloppe. C’est un courrier très important et urgent : je compte donc sur la confiance que j’ai en vous pour que ces documents arrivent à bon port, comme convenu. 

 

 

Il tend l’enveloppe d’un geste ferme.

 

 

EUROPE (avec une petite voix) 

 

C’est entendu

 

(Elle prend l’enveloppe). 

 

Votre courrier sera remis comme convenu. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

A la bonne heure ! Maintenant, si ça vous intéresse, je peux vous proposer de vous joindre à nous pour notre premier essai en extérieur du kinétope. Je pense que cela devrait vous permettre de vous changer un peu les idées. 

 

(Il regarde en direction de la baie).  

 

La nuit est suffisamment avancée. Dès que Michel et Jacques auront terminé leur travail, nous pourrons nous lancer dans notre épopée fantastique. 

 

 

Scène 215 – HANGARS DÉSAFFECTÉS – EXT/NUIT

 

Hangars désaffectés, près d’un champ. Devant les hangars, sur un chemin de terre une voiture noire ordinaire. Autour de la voiture, PIERRE GERMONT, JACQUES, NAKISSA, MICHEL et EUROPE. MICHEL tient le drone et JACQUES possède une console de télécommande qui comprend un mini écran de téléguidage. MICHEL pose le drone devant le véhicule. JACQUES l’actionne pour qu’il s’élève dans l’air. L’instant d’après, devant la voiture noire, apparaît l’hologramme de la voiture blanche qui ressemble à s’y méprendre, au Roadster de MONSIEUR FERBONO. Chacun prend place dans le véhicule. PIERRE GERMONT prend le siège du conducteur et JACQUES, qui maintient avec attention la console, s’installe à côté. NAKISSA, MICHEL et EUROPE prennent place dans la promiscuité d’une banquette arrière. Les portières claquent. Les deux voitures allument leurs phares et démarrent, la voiture noire donnant l’impression de suivre la voiture blanche. Les deux voitures avancent sur le chemin de terre. 

 

 

 

Scène 216 – VOITURE NOIRE – INT/NUIT (avec alternance EXT/NUIT)

 

Voiture noire. La voiture roule sur le chemin de terre, dans un espace totalement désert. Chacun se concentre sur le prototype blanc que téléguide JACQUES. La voiture blanche, qui n’est pas facile à diriger, zigzague en quittant par moments la route ou donne l’impression de décoller du sol. Des clameurs et éclats de rire de la part des passagers. 

 

 

JACQUES 

 

Oh bordel… on ne peut pas diriger comme on veut.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Regardez vos repères sur votre écran.

 

 

Le chemin traverse un bosquet. La voiture blanche frôle des troncs d’arbres.

 

MICHEL

 

Attention !

 

NAKISSA 

 

Ouh la la, je ne veux pas voir ça ! 

 

 

EUROPE, comme NAKISSA tourne la tête.

 

 

JACQUES 

 

On se calme derrière…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Évitez de le déconcentrer.

 

Ils arrivent à une bifurcation qui mène à une petite route goudronnée de campagne. La voiture blanche s’arrête et réussit avec brio à prendre l’axe de la route de campagne. Clameurs d’enthousiasme.

 

 

TOUS 

 

Oui ! Bravo ! 

 

La voiture blanche avance sur la route de campagne faiblement éclairée. Elle parvient peu à peu à se stabiliser plus ou moins. Mais, à un moment, elle dérape et roule sur un trottoir avant de reprendre l’axe de la route. 

 

 

NAKISSA 

 

Ouh la !  Ouh la !  

 

 

MICHEL 

 

Il n’y a pas de piéton.

 

 

JACQUES (qui fixe son regard sur l’écran de la console) 

 

Pas facile, je vous dis…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je vais ralentir, car maintenant on va rejoindre un axe plus important. 

 

 

NAKISSA 

 

Aïaïaille ! 

 

Au moment de rejoindre une deux voies (une nationale), la voiture blanche fait une nouvelle embardée, mais réussit à reprendre sa trajectoire, suivie de la voiture noire. Chacun retient son souffle.

 

 

NAKISSA (alors que la voiture rejoint la deux voies) 

 

Ouf…

 

Une voiture vient doubler les deux voitures sur la file de gauche. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je vais devoir accélérer.

 

Les deux voitures accélèrent simultanément. Mais avec la vitesse, la voiture blanche reprend ses zigzags, en mordant sur la ligne blanche par instants. 

 

NAKISSA 

 

Ouh la la ! Les autres vont croire que le chauffeur est bourré… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ne regardez pas devant.

 

 

JACQUES 

 

Mais là-bas, il y a un camion.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On va le doubler. Mais ne vous en occupez pas, c’est moi qui tiens le volant. Dites moi quand vous êtes prêt pour que je change de file. 

 

 

EUROPE affiche une mine inquiète. / Peu à peu,  JACQUES parvient à stabiliser le véhicule blanc.

 

JACQUES 

 

C’est bon…

 

 

PIERRE GERMONT met son clignotant et les deux voitures, ensemble, changent de file. 

 

 

PIERRE GERMONT (en regardant dans le rétroviseur) 

 

Il y a une voiture derrière nous, mais vous ne vous en occupez pas. 

 

(La voiture blanche s’approche du camion). 

 

Qu’est-ce que vous voulez comme vitesse ? Pareil ou je ralentis ?

 

 

JACQUES 

 

Ralentissez un peu…

 

PIERRE GERMONT fait ralentir les deux voitures. Mais le prototype blanc frôle le poids lourd au moment du dépassement et récolte une injure de coups de klaxon. 

 

 

MICHEL

 

En fait, même virtuelle cette voiture peut provoquer un accident. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

S’il y a un risque, il ne faut pas hésiter à la faire disparaître. 

 

 

JACQUES 

 

On ne doit pas se rabattre ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Non. Parce qu’on va doubler la voiture qui suit.

 

Les deux véhicules doublent la voiture, cette fois sans difficulté. Puis les deux véhicules se rabattent. 

 

 

TOUS (en chœur) 

 

Ouais ! 

 

La voiture qui était derrière double les deux voitures, mais klaxonne en passant devant la voiture blanche qui, aussitôt réagit par un nouveau zigzag. S’ensuit une nouvelle pluie de coups de klaxon. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ne vous laissez pas perturber.

 

 

JACQUES 

 

Il a commencé par klaxonner sans raison, ce connard !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est parce qu’il a vu tout à l’heure, quand le prototype a doublé le camion. 

 

 

NAKISSA 

 

C’est ce que je disais. Les autres qui voient ça, croient que le chauffeur est bourré.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Maintenant, on va tenter une autre manipulation.

 

 

JACQUES 

C’est quoi ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Vous allez laisser le prototype en pilotage sur l’axe de droite. Après on va le doubler. 

 

 

JACQUES 

Ok…

 

La voiture noire double la voiture blanche sans incident.

 

 

MICHEL 

 

Bravo !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Maintenant, on va inverser le processus. C’est vous qui doublez

 

(A JACQUES) 

 

Prêt ?

 

 

JACQUES 

 

Il n’y a pas un feu tricolore plus loin ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il va être sur l’orange clignotant.

 

 

JACQUES 

 

Normalement, il faut ralentir.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ça va… On respecte la limitation… Vous êtes prêt ?

 

 

JACQUES 

 

C’est bon…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Continuez à regarder l’écran. 

 

 

EUROPE surveille, inquiète, le côté du véhicule où doit surgir la voiture blanche. / Le prototype blanc double la voiture noire avec de légères oscillations et se rabat juste avant le passage du feu à l’orange.

 

 

NAKISSA 

 

Ouf…

 

PIERRE GERMONT 

 

Ça va…

 

 

MICHEL 

 

Pas mal !

 

 

JACQUES 

 

Ce n’est pas évident…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Maintenant, la voie est libre. On pourrait peut-être essayer d’accélérer…  

 

 

JACQUES 

 

Je suis prêt. On peut foncer.

 

 

PIERRE GERMONT

 

On ne va pas foncer. On va juste accélérer modérément. 

 

Les deux voitures accélèrent et,  de nouveau, le prototype blanc se met à zigzaguer.

 

 

JACQUES 

 

Il y a vraiment un souci, au moment de l’accélération.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le problème vient du drone, je pense.

 

 

MICHEL 

 

Il y a un pont…

 

 

JACQUES 

 

Je passe dessus ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, oui… 

 

 

La voiture blanche passe sous le pont et, au moment du passage, se met à clignoter légèrement.

 

 

MICHEL

 

Ni vu, ni connu. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Le pont n’était pas grand. Mais si c’est un tunnel…

 

 

JACQUES, à présent, fait passer la voiture prototype d’une file à l’autre. A chaque changement de file, la voiture zigzague avant de retrouver une stabilité. 

 

 

NAKISSA

 

En voilà une façon de conduire…

 

 

JACQUES 

 

Je m’exerce… 

 

 

Soudain, le prototype téléguidé, au moment de se rabattre sur la gauche, dérape pour se retrouver  sur la voie d’en face. Tous poussent un cri, tandis que JACQUES fait franchir un terre-plein au véhicule, pour qu’il retrouve la bonne voie. Les cris se transforment en rires.

 

 

NAKISSA (véhémente)   

 

Jacques, vous êtes un vrai chauffard. Vous ne savez pas conduire !

 

 

JACQUES (fâché, se retourne) 

 

Ah bon…  je ne sais pas conduire. Et bien dans ce cas je vous laisse les commandes ! 

 

 

Il prend la console, pour la passer à l’arrière. La voiture prototype en vient à tourner sur elle-même. NAKISSA repousse vivement la console.

 

 

NAKISSA (hurlant) 

 

Non ! Mais vous êtes fou !

 

 

JACQUES 

 

Mais tenez !…  On va voir si vous allez mieux arriver que moi.

 

 

La voiture blanche se met à rouler de manière chaotique, partant par moments, sur l’herbe du côté.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Jacques, je vous demande de reprendre immédiatement la commande du drone. Ce que vous faites est inconscient.

 

 

EUROPE 

 

C’est aussi très dangereux. 

 

 

JACQUES (qui obtempère) 

 

Ok, ok… 

 

Le prototype blanc reprend la route. Mais à l’arrière du véhicule, un lointain bruit de sirène de voiture de police. 

 

 

MICHEL 

 

Qu’est-ce que c’est ? 

 

(Il se retourne, aperçoit au loin le gyrophare de la voiture de police). 

 

Oh… ce sont les flics ! A tous les coups, c’est pour nous…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Mais non, ce n’est pas pour nous, c’est pour la voiture qui est devant, de toute façon.

 

 

JACQUES 

 

Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On est dans une expérience. Donc, on la poursuit jusqu’au bout. Pourquoi on s’arrêterait ? 

 

(Il regarde dans le rétroviseur). 

 

Ils se rapprochent. Il faut prendre la première sortie. 

 

 

NAKISSA 

 

Alors là, c’est sûr… Ferbono n’a plus de permis !

 

 

PIERRE GERMONT (en indiquant l’embranchement de sortie) 

 

C’est  ici…  

 

(Les deux voitures prennent l’embranchement). On prend la première route étroite qu’on trouve. Il ne faut pas que la voiture de police puisse  avoir assez de place pour doubler.

 

 

MICHEL (en se retournant / criant) 

 

Ils s’approchent. Ils viennent de prendre l’embranchement !

 

 

JACQUES (regarde sur son écran / en criant) :

 

J’en vois une ! Sur la gauche… Une toute petite route de campagne.  

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il faut la prendre. Concentrez-vous pour ne pas rater le virage.

 

Le bruit de la sirène s’intensifie.

 

MICHEL (qui se retourne / en criant) 

 

Ils sont juste derrière nous !

 

La lumière du gyrophare de la voiture de police vient éclairer l’habitacle. La voiture prototype s’engage dans le chemin étroit, suivie de la voiture noire et de la voiture de police. La voiture de police lance des appels de phares. 

 

 

JACQUES

 

Et là, qu’est-ce qu’on fait ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous élargissez de 100 mètres la distance limite avec le prototype.

 

 

JACQUES

 

Mais on va le perdre de vue.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tant pis. Vous pouvez le conduire à l’aveugle de toute façon. C’est modifié ?

 

 

JACQUES (en appuyant sur un bouton)

 

Voilà… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Dès que je trouve un endroit pour me mettre de côté, je laisse passer la voiture de police…

 

 (Il regarde sur le côté). 

 

En voilà un, justement. 

 

 

Tandis que PIERRE GERMONT ralentit, le prototype blanc s’éloigne. PIERRE GERMONT se place de côté.

 

 

JACQUES

 

Et après ?  On fait quoi ?

 

 

La voiture de police double la voiture noire. PIERRE GERMONT éteint aussitôt les phares, comme si la voiture allait s’arrêter,  mais une fois que la voiture de police s’éloigne, il reprend la route, tout phare éteint.

 

 

PIERRE GERMONT

 

On continue.

 

 

NAKISSA

 

Quoi !

 

 

Cris de stupeurs. La voiture s’enfonce dans un paysage totalement obscur, simplement éclairé par intervalles par la lueur bleue du gyrophare.

 

 

MICHEL

 

Vous arrivez à voir quelque chose de la route ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ça va…

 

 

NAKISSA (A EUROPE)

 

Non mais vous vous rendez compte à quoi il nous fait participer.

 

 

EUROPE (avec un rire nerveux / A NAKISSA)

 

Non, je ne me rends pas compte. Heureusement.

 

 

Peu à peu, la vue se dégage, ce qui permet d’apercevoir au loin le prototype blanc, suivi de la voiture de police. Les trois voitures avancent au milieu des champs. 

 

 

JACQUES

 

Les phares de la voiture de devant ne sont pas très puissants. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tant pis…  Continuez à regarder votre écran. Vous pilotez beaucoup mieux en restant sur votre écran.

 

 

MICHEL (en regardant au loin)

 

On arrive sur un chemin de terre.

 

La voiture se met à cahoter.

 

 

JACQUES (en regardant l’écran)

 

Les amis, j’ai une nouvelle à vous annoncer. Notre merveilleux chemin est une impasse.

 

 

NAKISSA 

 

Et là, on fait quoi ?

 

 

JACQUES 

 

Pas la peine de se poser la question. Avec ces secousses, moi je ne vais pas réussir à tenir longtemps les commandes de toute façon.

 

 

MICHEL (qui regarde toujours en face)

 

Là-bas ! il y a une barrière…

 

 

JACQUES

 

Une barrière… C’est foutu.

 

 

 

PIERRE GERMONT (en arrêtant la voiture)

 

Fin de l’expérience. 

 

 

JACQUES

 

Je laisse filer ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui… Ça nous donnera le temps de disparaître. 

 

Au même instant, le prototype blanc franchit la barrière et finit par s’évanouir de l’autre côté. Stupeur des passagers. La voiture de police s’arrête devant la barrière et aussitôt trois policiers en uniforme sortent du véhicule afin d’inspecter sous tous ses angles, dans la lueur des phares, l’obstacle qui se révèle intact. Rire des passagers. PIERRE GERMONT, tout feu éteint, effectue une lente et prudente marche arrière. Il réussit à percevoir l’entrée d’un champ pour effectuer un demi-tour. Il remet les phares au véhicule. L’instant d’après, la voiture s’arrête : JACQUES descend pour aller récupérer son drone. Il revient dans la voiture avec l’engin et ferme la portière. La voiture de police arrive à son tour, le gyrophare éteint et passe devant la voiture noire. La voiture noire reprend la route. 

 

Scène 217 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/NUIT

 

Appartement d’EUROPE. Salon/Salle à manger. Bruit de clef dans la serrure. EUROPE entre, pose ses affaires, dont l’enveloppe confiée par PIERRE GERMONT qu’elle met, en évidence, sur la table basse. Elle se laisse tomber dans le fauteuil, montrant d’abord un effet de  soulagement. L’instant d’après elle se relève, disparaît un instant, revient avec un verre (dont on ignore le contenu). Elle s’assoit à nouveau dans le fauteuil. Elle boit par petites gorgées et semble réfléchir en même temps. Elle vide le verre, le pose sur la table basse à côté de l’enveloppe et garde un instant son regard fixé sur l’enveloppe. Elle reprend une position confortable dans le fauteuil et replie ses jambes devant elle. Elle demeure pensive. Un moment, une larme se met à couler. Elle l’essuie d’un revers de la main. De nouveau, son regard fixe l’enveloppe.

 

 

VOIX OFF de PIERRE GERMONT 

 

Quant à mon courrier, vous devez le remettre sans faute demain matin, en vous rendant au lieu qui est indiqué dessus et en le remettant directement à la personne dont le nom est également inscrit sur l’enveloppe. C’est un courrier très important et urgent. 

 

 

Dans un réflexe soudain, EUROPE bondit hors du fauteuil et arrache l’enveloppe confiée par le professeur. Elle en sort les feuilles et constate que toutes sont blanches. Elle pousse un cri. 

 

 

 

Scène 218 – COULOIR CENTRE RECHERCHE – INT/ NOIR

 

Couloir du Centre de Recherche. EUROPE avance d’un pas chancelant. Elle arrive devant la première porte et prend appui contre le mur. Elle sort sa carte, la met dans le boîtier. La porte coulisse. Elle se redresse, avance, arrive à la seconde porte. Elle entend des exclamations enjouées. Elle prend de nouveau appui contre le mur mais cette fois, afin de pouvoir entendre ce qui se dit. A certains bribes de phrases : « tour d’Europe », « taureau voyageur », « fable d’Europe », elle comprend qu’on parle d’elle. Mettant sa tête entre ses mains, elle retient ses larmes. Tout à coup, elle se redresse, tape le code et ouvre brusquement la porte.

 

 

 

Scène 219 – CENTRE DE RECHERCHE – INT/JOUR

 

Centre de Recherche. EUROPE se tient immobile devant la porte. Le silence est immédiat, clouant sur place, le groupe des personnes présentes près de l’entrée : JACQUES, NAKISSA, MICHEL, GHASSEN, qui tiennent tous une tasse de café à la main. A côté d’eux, une cafetière posée sur une des tables transparentes. Des paupières se baissent et des regards fuient. Une gêne palpable. Au loin, de derrière un bureau, PIERRE GERMONT se lève. Il décide de s’approcher. Également présent au fond de la salle : JEAN-FRANÇOIS.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous deviez remettre une enveloppe…

 

EUROPE s’avance à son tour vers le professeur, en semblant faire des efforts de dignité.

 

 

EUROPE 

 

Si je vous dis que les feuilles étaient blanches, qu’est-ce que vous allez me faire croire à présent, Monsieur Germont ? Que vous écrivez vos messages à l’encre sympathique ?

 

Les lèvres du professeur se resserrent, mais son regard se teinte de compassion.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je n’avais pas d’autre choix. Il fallait que j’aille moi-même au bout de ma propre mission. 

 

 

EUROPE (en retenant un sanglot) 

 

Votre mission ? Vous appelez ça une mission de trahir la confiance d’une personne et  de toucher à ses espérances les plus chères ? Je vous avais ouvert mon cœur, mais vous, avec une froideur inhumaine, vous avez vu là l’opportunité de prendre le contrôle de mes pensées. 

 

(Elle baisse la tête). 

 

Vous m’avez anéantie. Maintenant, je ne vis plus qu’un cauchemar. Je suis perdue.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Mais je n’ai pas agi de manière intéressée.

 

 

EUROPE 

 

Oui, je sais ce que vous allez me dire. Que vous avez agi pour une cause supérieure. Que vous avez pensé au progrès et à l’humanité. Et apparemment, je ne dois pas faire partie de cette humanité, puisque vous n’avez pas pensé à moi…

 

Elle doit s’interrompre pour essuyer ses larmes.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Il est certain qu’on ne pouvait pas totalement vous épargner. Cela nous a affectés également et moi surtout. Mais derrière ce projet, il s’agit de redonner de l’espoir à des individus dont les illusions sont, croyez-moi, plus graves que les vôtres. 

 

 

NAKISSA

 

Pour vous, c’est peut-être une torture morale. Mais il existe des hommes et des femmes qui subissent à la fois une torture physique et morale et ces gens-là nous appellent à l’aide… 

 

 

EUROPE

 

Vous allez peut-être me reprocher d’être égoïste, à présent !

 

 

NAKISSA

 

Non. On vous demande seulement de comprendre nos priorités.

 

 

MICHEL

 

Ce ne sont pas seulement quelques victimes qui sont concernées. Ce sont des populations entières. 

 

 

JACQUES

 

Et il y a aussi le danger que la tyrannie représente pour n’importe quel peuple au monde. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a aussi que, pour ne pas laisser le champ libre aux manipulateurs, il faut que la manipulation change de camp.

 

 

EUROPE

 

Mais vous ne voyez pas que je me retrouve seule, seule avec ma douleur, contre vous tous !

 

 

NAKISSA

 

Mais non, on n’est pas contre vous. Cela n’enlève rien à la profonde estime que nous avons pour vous.

 

 

EUROPE (en se retournant)

 

A quoi elle me sert votre estime, si je ne peux même pas en avoir pour moi-même ? Vous m’avez ridiculisée, humiliée, mise plus bas que terre ! Je me suis retrouvée à croire en des situations absurdes, à m’angoisser jour et nuit pour des faits qui n’existaient même pas…

 

 

NAKISSA

 

Oui, mais vous avez eu des compensations en échange.

 

 

GHASSEN

 

Et de toute façon, ce n’était que provisoire. Donc on n’a pas vraiment cherché à vous mentir. On savait que vous alliez découvrir la vérité, à un moment ou à un autre… 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et puis, d’après vous, qui est-ce qui n’est pas illusionné, en ce moment ? Enlevez toutes les vérités chimériques qui existent dans ce monde et vous verrez qu’il ne reste pas grand-chose…

 

 

EUROPE (criant)

 

Mais vous vous donnez tous bonne conscience ! De toute façon, j’étais celle qu’il fallait sacrifier sur l’autel de la science. Et vous pendant ce temps-là, vous savourez votre victoire… 

 

EUROPE se retourne et se dirige sans hésitation vers la sortie.

 

 

PIERRE GERMONT (en allant vers elle) 

 

Où allez-vous ? 

 

 

EUROPE (en essuyant de nouvelles larmes)

 

Je ne supporte plus de rester ici. Je rentre… 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Dites-moi… Quelle chose vraiment essentielle, je vous ai dissimulé ?

 

 

EUROPE (en le regardant avec mépris)

 

Que je n’étais rien d’autre que votre cobaye.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Si je comprends bien, j’aurais dû vous prévenir que vous alliez servir de cobaye. C’est ça ce que vous me reprochez en fin de compte. Mais il suffisait que je vous le dise pour que ça ne soit plus la vérité. Je vous aurais donc menti, n’est-ce pas ? 

 

 

EUROPE

 

Vous jouez encore avec votre science du langage, Monsieur Germont. Mais en tout cas, vous ne jouerez plus avec moi.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous n’avez jamais entendu dire que l’on utilisait des cobayes, parfois humains, pour la Recherche ? Vous n’étiez pas au courant, non plus, du projet « taureau blanc »  ? Vous n’avez pas assisté à nos démonstrations, nos tests ?

 

 

EUROPE

 

Ce n’est pas ce que je vous reproche…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Dans ce cas, cela signifie que vous aviez tous les éléments pour réfléchir, analyser, juger et vous faire un esprit critique.

 

 

EUROPE

 

Si j’ai perdu mon esprit critique, c’est parce que je vous ai cru irréprochable. C’était une erreur, en effet. Vous êtes peut-être généreux avec l’humanité ; avec moi vous avez été infect.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Sans esprit critique, on n’est plus capable de discernement. 

 

 

EUROPE (en s’approchant pour parler plus bas)

 

Oui, mais vous oubliez quand même un détail. (Elle le fixe d’un regard direct). Vous avez mêlé les sentiments à cette expérience. Vos paroles, vos gestes, mais pas seulement… l’histoire que vous avez choisie… Une histoire d’amour, en fin de compte. Je ne pouvais que succomber. Et pourtant… sans savoir qui vous étiez vraiment. Et la fois où vous m’avez embrassée… C’était pour l’expérience, aussi ?

 

 

PIERRE GERMONT (calme)

 

Écoutez, je suis prêt à m’expliquer. Mais vous devez déjà comprendre que vous n’êtes pas en état de partir. Cette expérience a semé la confusion dans votre esprit. À présent vous ne pouvez plus, sans notre aide, départager le faux du vrai.

 

(Il la prend par le bras, la tire doucement, pour l’inviter à rejoindre son bureau). 

 

Qu’on m’apporte une chaise. 

 

(JEAN-FRANÇOIS apporte une chaise). 

 

Asseyez-vous.

 

 

EUROPE (en se laissant tomber sur la chaise) 

 

Alors ? vos explications ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Il y a plein de choses que vous devez apprendre. Mais avant, nous devons vous interroger.

 

 

EUROPE

 

M’interroger ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. C’est une sorte de test, en fin de compte.

 

 

EUROPE

 

Un test ? Je n’y répondrai pas.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

C’est pourtant une occasion, pour vous, de vous exprimer.

 

 

EUROPE

 

Je ne suis pas en état. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Il m’a fallu toute la nuit pour 

ouvrir les yeux. Et maintenant, j’aimerais les fermer. 

 

Elle ferme les yeux.

 

 

PIERRE GERMONT

 

On ne va pas vous empêcher de dormir. Mais on doit contrôler votre état psychologique.

 

 

EUROPE (les yeux toujours fermés)

 

Vous voulez savoir si vous avez réussi à me rendre folle ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je vais aller demander à Nakissa de venir vous interroger.

 

 

EUROPE (ouvre les yeux)

 

Pourquoi ce n’est pas vous ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il vaut mieux que ce soit une femme. 

 

 

PIERRE GERMONT s’éloigne. NAKISSA rejoint le bureau près duquel EUROPE a été assise. Elle tient un bloc de papier et un crayon dans une main. De l’autre main, elle attrape une chaise et s’assoit en face d’EUROPE. Elle cale son bloc sur ses genoux. (Discussion en champ contre-champ)

 

 

NAKISSA

 

On voudrait savoir ce que vous avez pris pour vrai et ce que vous avez pris pour faux.

 

 

EUROPE

 

Pour cela, Nakissa, une seule de mes réponses devrait suffire. Tout était faux. Vous avez profité d’une faille, mon prénom, pour me faire jouer le rôle d’Europe, dans une pièce burlesque montée par vos soins.

 

 

NAKISSA 

 

Alors, dites-moi dans ce cas, s’il n’y a pas des détails, des faits précis, qui vous ont alerté au sujet de notre " pièce " comme vous dîtes.

 

 

EUROPE (réfléchit)

 

C’était surtout au début. La première fois que je suis entrée ici. J’avais ressenti une gêne. J’avais l’impression d’être observée comme une bête curieuse. Et il y a eu notamment ces deux étudiantes pressées de partir au moment où je suis allée à leur rencontre. Ces étudiantes que je n’ai d’ailleurs jamais revues…  

 

 

Scène 220 – CENTRE de RECHERCHE  – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. EUROPE parle aux deux étudiantes : MÉLANIE et SHUN.  (Extrait de la SEQU.38).

 

 

MÉLANIE (à PIERRE GERMONT)

 

On aimerait bien aller déjeuner.  Ça pose problème ? 

 

 

EUROPE

 

Attendez…  

 

(Elle va à la rencontre des deux étudiantes et leur tend la main). 

 

Je tiens quand même à vous saluer, puisque nous aurons l’occasion de nous revoir. Et aussi à vous féliciter pour votre travail. 

 

 

MÉLANIE (en prenant la main avec embarras)

 

Oh, ce qu’on a fait, ce n’est rien pour l’instant. On est désolée, mais on doit y aller tout de suite.

 

 

SHUN  

 

Oui, on doit vraiment y aller…

 

 

 

Scène 221 –  CENTRE de RECHERCHE  – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche.

 

En plan rapproché, une photocopieuse en marche, avec des feuilles qui tombent dans le tiroir. Par un panoramique accéléré on glisse de ce plan à celui d’EUROPE, assise sur sa chaise, vue de dos. Le plan est assez rapproché pour que l’on ne puisse rien voir d’autre que son dos. En fond sonore, le bruit de la photocopieuse, relayé par la voix de NAKISSA.

 

 

VOIX de NAKISSA 

 

Nous avons fini. Je vais vous laisser vous reposer. 

 

 

NAKISSA se lève, s’éloigne du bureau. Elle rencontre PIERRE GERMONT, qui arrive dans l’autre sens. Au moment de se croiser PIERRE GERMONT et NAKISSA échangent quelques paroles à voix basses. PIERRE GERMONT rejoint EUROPE et s’assoit à la chaise où était précédemment assise sa collègue. 

 

 

EUROPE

 

Je peux y aller maintenant ? 

 

 

PIERRE GERMONT semble vouloir prendre du temps avant de répondre.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ce sera en fin de compte beaucoup plus long que prévu.

 

 

EUROPE

 

Quoi donc ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Le temps de vous réadapter à une situation normale. 

 

 

EUROPE (inquiète) 

 

Qu’est-ce que ça veut dire ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous avez été coupée du monde pendant six mois environ.

 

 

EUROPE

 

Comment ça ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Depuis six mois, vous ignorez tout ce qui se passe dans le monde. Vous n’avez eu accès à aucune information réelle. Vous avez également été coupée de tout contact avec votre famille.

 

 

EUROPE

 

Mais c’est horrible… C’est un cauchemar !…

 

 (Elle attrape sa tête entre ses mains). 

 

Vous allez me rendre folle !

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je vais vous conduire sur une de nos plateformes. Là-bas, vous pourrez vous reposer et récupérer. On s’occupera de vous, mais vous serez sous notre surveillance. Car vous restez encore au service de la Recherche. Je dispose à ce titre du droit de vous retenir contre votre gré

 

 

 

Scène 222 – PLATEFORME de LABORATOIRE ACCUEIL – INT/JOUR

 

Plateforme. Accueil. Un bâtiment informel, peint en blanc, un peu froid. A l’accueil, un gardien contrôle les passages. PIERRE GERMONT entre avec EUROPE, qui avance devant lui. Il s’approche du GARDIEN de la PLATEFORME et  lui présente des documents.

 

 

Le GARDIEN de la PLATEFORME

 

C’est bon. 

 

(Il indique un couloir)

 

Ce couloir-ci, au bout. 

 

(Il prend un téléphone). 

 

Je préviens…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Merci.

 

 

Scène 223 –  PLATEFORME  COULOIR – INT/JOUR

 

Plateforme. Un couloir impersonnel, aux nombreuses portes toutes fermées. PIERRE GERMONT et EUROPE avancent vers le fond du couloir, au bout duquel se trouve une autre porte.

 

 

EUROPE

 

On est où ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Dans un lieu d’expérimentations. Derrière presque toutes ces portes, vous avez des laboratoires.

 

 

EUROPE

 

En fin de compte, vous m’avez enlevée…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et bien voilà votre rêve réalisé.

 

 

EUROPE

 

Mon rêve ?

 

Ils arrivent à la porte du fond. PIERRE GERMONT se tourne vers EUROPE.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

N’est-ce pas le rêve d’Europe de se faire enlever par Jupiter ?

 

 

EUROPE (sèchement)

 

Vous vous trompez, si vous imaginez que je peux vous considérer comme Jupiter. Pendant six mois, vous vous êtes moqué de moi. Vous n’avez plus rien d’héroïque à mes yeux…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je comprends tout à fait que l’histoire des amours d’Europe et de Jupiter vous accablent. Dans ce cas, modifions nos personnages et inventons une autre histoire. J’ai une proposition à vous faire : le cow-boy et la cobaye. 

 

 

EUROPE (en se retournant)

 

Ce n’est pas drôle du tout ! Qu’est-ce qu’on attend ici ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Quelqu’un doit venir nous ouvrir la porte. 

 

 

EUROPE (le regarde à nouveau)

 

C’est là où je vais rester dormir ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tout à fait. 

 

 

EUROPE

 

Et vous ? Vous allez rester ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je dois rester et ne plus vous lâcher d’une semelle. Je suis le seul à avoir le droit de vous garder en otage. Mais le gardien pourra quand même me prévenir si jamais, durant mon sommeil, il vous voit vous promener dans les couloirs… Tiens, j’ai une autre idée d’histoire pour nous deux : le ravisseur et la ravissante.

 

 

EUROPE (en s’éloignant)

 

Oh, arrêtez ! 

 

 

PIERRE GERMONT (en parlant bas) 

 

Je vous ai déçue, soit, mais maintenant, vous savez pourquoi vous ne pouviez pas être ma maîtresse. N’est-ce pas ?

 

 

EUROPE

 

Vous n’avez rien fait d’autre que de chercher à m’induire en erreur, Monsieur Germont. Voilà ce que je retiens…

 

 

PIERRE GERMONT et EUROPE sont interrompus par un bruit de talon. Une LABORANTINE, vêtue d’une blouse bleue, ouverte sur le devant, s’approche. Elle tient une pile de linge dans une main et un trousseau de clef, dans l’autre. Elle arrive devant la porte.

 

 

LABORANTINE (A PIERRE GERMONT) 

 

La personne que vous accompagnez, Monsieur Germont, va pouvoir s’installer. 

 

(A EUROPE). 

 

Vous voulez bien me suivre ? 

 

(Elle ouvre la porte et s’arrête sur le seuil). 

 

Vous serez installée dans ce dortoir. Personne n’aura le droit de venir ici, sans votre autorisation. Ceci est un change pour la nuit. Vous avez aussi des serviettes. Les sanitaires se trouvent au fond.

 

 

 

Scène 224 – PLATEFORME  DORTOIR –  INT/JOUR

 

Plateforme. Dortoir. Une grande salle aux murs en béton, couverts d’une couche de peinture blanche, avec plusieurs lits superposés. Au milieu, une table longue avec des chaises. Au fond, une porte donnant sur des sanitaires. Sur le côté, une autre porte donnant sur une salle contiguë. EUROPE visite les lieux. Elle inspecte d’abord le dortoir. La LABORANTINE pose le linge sur un des lits. PIERRE GERMONT avance jusqu’au seuil de la porte. 

 

 

LABORANTINE 

 

Un médecin va passer. Il doit vous examiner. Après, on vous apportera un repas. Souhaitez-vous que l’on vous apporte quelque chose en particulier, pour vos loisirs ?

 

 (EUROPE secoue négativement la tête). 

 

Bien.  Dans ce cas, je vous laisse. A bientôt. 

 

 

La LABORANTINE s’en va.

 

 

PIERRE GERMONT (en jetant un œil sur le cadre)

 

Pas terrible…

 

 

EUROPE 

 

Horrible, vous voulez dire.

 

 

Elle ouvre la porte des sanitaires et jette un œil à l’intérieur. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ne vous fiez pas aux apparences. Des astronautes sont déjà venus passer des tests dans cette plateforme.

 

 

EUROPE (revenant dans la pièce)

 

Après ça, je comprends qu’ils aient eu envie d’aller dans l’espace. 

 

(Échange de sourires / Elle regarde la porte du côté). 

 

Et là, qu’est-ce que c’est ? C’est ouvert ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je n’en sais rien. Mais je pense que votre curiosité va vous inciter vous même à trouver  la réponse.

 

 

EUROPE (ouvre doucement la porte)

 

Oh…

 

 

PIERRE GERMONT (resté sur le seuil)

 

Qu’avez-vous trouvé ?

 

 

EUROPE

 

Ce sont des souris… Plein de souris…

 

 

PIERRE GERMONT

 

J’espère qu’elles ne vous effraient pas.

 

 

EUROPE

 

C’est elles qui devraient être effrayées…

 

 

 

 


 
 
posté le 03-11-2014 à 10:44:47

UN IMPOSSIBLE RÊVE – Scénario dialogues 9

 

 

 

Scène 225 – PLATEFORME SALLE DE SOURIS – INT/ JOUR

 

Plateforme. Salle des souris. EUROPE entre dans une pièce carrelée, dans laquelle, sur un alignement de tables, de grandes cages sont disposées les unes à côté des autres. Toutes sont habitées par d’innombrables souris blanches. Elle se penche un instant pour regarder les souris, puis sort de la pièce et referme la porte. 

 

 

 

Scène 226 – PLATEFORME COULOIR –  INT/JOUR (passage à INT/NUIT)

 

Plateforme. Couloir. Vu du couloir, PIERRE GERMONT qui est sur le pas de porte du dortoir, parle avec EUROPE, qui s’est assise sur un lit du dortoir. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Vous avez trouvé là une distraction. Mais j’imagine, qu’il vous en faudra d’autres au cours de la journée. Je peux vous apporter de la lecture, une radio, une télé… 

 

 

EUROPE

 

Je n’ai envie de rien. J’ai juste envie de sommeil et de liberté. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Un ordinateur, alors… Ce serait déjà une fenêtre sur la liberté, non ?

 

 

EUROPE

 

Je ne sais pas si je dois vous remercier pour vos efforts, Monsieur Germont, mais je crains malheureusement, qu’ils ne soient pas vraiment capables d’améliorer ma condition. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ma condition n’est pas beaucoup plus enviable que la vôtre. Je vais devoir, quant à moi, passer la nuit dans ce couloir, tout simplement parce que j’ai des scrupules à vous enfermer à clef. Vous devriez penser un peu plus souvent aux causes humaines qui nous obligent à agir ainsi. 

 

 

EUROPE

 

Vous ne voyez pas que je fais un effort ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Si ! je le vois. Maintenant, j’aimerais bien l’entendre… 

 

(Le professeur s’interrompt. Un homme, LE DOCTEUR, portant une blouse blanche et un stéthoscope sur l’épaule, surgit du fond du couloir. Il tient une petite mallette dans une main). 

 

Je vais devoir vous laisser, le médecin arrive. Mais comme vous le savez, je ne suis pas loin.

 

(Il indique une porte voisine).  

 

Si vous avez besoin de quelque chose, vous pouvez venir me voir à tout instant. Il vous suffit de frapper à cette première porte, qui est juste à droite quand vous sortez. 

 

 

PIERRE GERMONT salue le médecin et recule pour le laisser entrer dans le dortoir. La porte de la chambre se referme. PIERRE GERMONT sort une clef et ouvre la porte de la pièce d’à côté. La porte de la pièce d’à-côté se ferme à son tour. Plan d’ensemble du couloir avec la porte du fond en arrière champ. Le couloir est désert et silencieux. La porte du fond s’ouvre et Le DOCTEUR sort. 

 

 

Le DOCTEUR (avant de refermer la porte / au loin) 

 

Reposez-vous bien, Mademoiselle. 

 

 

Bruit d’un chariot métallique. Le chariot est poussée par une DAME de SERVICE. Sur le chariot, le couvert d’une personne, avec une assiette recouverte d’une cloche. La DAME de SERVICE croise le DOCTEUR, qui s’en va (sortie de champ) et se dirige vers la porte du fond. Elle frappe à la porte. 

 

 

DAME de SERVICE

 

Madame… C’est votre repas. 

 

 

La DAME de SERVICE entre dans la chambre et referme la porte. L’instant d’après, la porte s’ouvre à nouveau. LA DAME de SERVICE sort en poussant un chariot vide. (Elle sort du champ). Arrive le GARDIEN, qui tient un ordinateur portable à la main. Le GARDIEN vient frapper à la porte de la salle où s’est installé PIERRE GERMONT. 

 

 

Le GARDIEN 

 

Monsieur Germont ? J’ai votre ordinateur…

 

 

La porte s’ouvre. Le GARDIEN entre et ressort aussitôt après. La porte se referme, mais s’ouvre l’instant d’après. PIERRE GERMONT sort en tenant l’ordinateur sous un bras. Il s’approche de la porte du dortoir et frappe. Aucune réponse. Il ouvre la porte avec prudence. Dans l’entrebâillement, EUROPE, sur un lit, en train de dormir, les cheveux défaits. PIERRE GERMONT referme la porte et retourne dans sa salle. Vue du couloir, une fenêtre du hall d’accueil. Par la fenêtre, en accéléré, arrivée de la nuit. La lumière du couloir s’allume. S’ouvre la porte de la pièce où se trouve PIERRE GERMONT. PIERRE GERMONT sort en prenant une chaise. Il pose la chaise, à l’entrée, devant la porte du dortoir. Il repart et revient avec une autre chaise, une couverture et un journal. Il s’assoit sur une chaise, pose les pieds sur l’autre et étale la couverture sur ses jambes. Il déplie son journal pour le lire. La porte d’une salle voisine s’ouvre. Sort un JEUNE LABORANTIN, qui tient dans une main, un thermos et une tasse et dans l’autre, un carnet et un stylo. Le JEUNE LABORANTIN va à la rencontre de PIERRE GERMONT.

 

 

JEUNE LABORANTIN

 

Bonjour Monsieur. Je cherche des volontaires pour tester une nouvelle tisane calmante. 

 

 

PIERRE GERMONT (sans détacher son regard du journal)

 

Je veux bien goûter.

 

 

JEUNE LABORANTIN (en versant la tisane)

 

Vous devez tout boire et ensuite me donner une note de 0 à 5, pour le goût. 

 

 

PIERRE GERMONT boit la tasse et se met à grimacer.

 

 

PIERRE GERMONT (en rendant la tasse) 

 

Zéro

 

(Le JEUNE LABORANTIN note sur son carnet). 

 

Vous êtes le dernier ?

 

 

JEUNE LABORANTIN

 

Oui.

 

PIERRE GERMONT

 

Pouvez-vous éteindre la lumière du couloir au moment où vous partez ?

 

 

JEUNE LABORANTIN

 

Pas de problème.

 

 

Le JEUNE LABORANTIN s’en va. PIERRE GERMONT pose son journal sur le sol et remonte la couverture. La lumière du couloir s’éteint. 

 

 

 

Scène 227 –  PLATEFORME DORTOIR – INT/NUIT

 

Plateforme. Dortoir. EUROPE est allongée sur le lit, dans ses vêtements de jour, les cheveux défaits. Soudainement, elle redresse la tête, reste un instant à l’affût du bruit. Elle allume une veilleuse située près du lit et s’assoit, le temps de reprendre ses esprits. Elle décide de se lever, avance en tapinois vers la porte de sortie. Elle entrouvre la porte et aperçoit dans l’entrebâillement, PIERRE GERMONT endormi sur les deux chaises placées juste devant sa porte. Elle referme doucement la porte. Elle fait le tour de la table, d’un air réfléchi, tout en jetant un œil sur le plateau repas, resté sur place, avec la cloche posée sur l’assiette. Elle décide d’aller dans les sanitaires.

 

 

 

Scène 228 –  PLATEFORME SANITAIRES – INT/NUIT

 

Plateforme. Sanitaires. EUROPE trempe sa tête dans le lavabo, où coule un filet d’eau. Elle nettoie son visage. Elle se redresse comme saisie par une idée soudaine. Elle ferme le robinet, essuie son visage à la hâte  et sort. 

 

 

 

Scène 229 – PLATEFORME DORTOIR –  INT/NUIT

 

Plateforme. Dortoir. EUROPE arrive dans le dortoir. Elle s’approche de la porte d’entrée et  pose son oreille sur le battant. Elle se dirige vers la porte de la salle des souris. Elle reste un instant hésitante et, soudainement, ouvre grand la porte. 

 

 

 

Scène 230 – PLATEFORME SALLE des SOURIS – INT/NUIT

 

Salle des souris. EUROPE allume et se dirige précipitamment vers les cages de souris. Elle  tente d’ouvrir les portes, en les secouant, sans y parvenir, remarque qu’il y a des sécurités. Elle enlève les sécurités, ouvre les portes, les unes après les autres, fait sortir les souris. Les souris, par centaines, puis par milliers, courent sur les tables, arrivent sur le sol et filent vers la pièce voisine. EUROPE les dirige vers la sortie. Puis elle prend une souris entre les mains et retourne dans le dortoir. 

 

 

 

Scène 231 – PLATEFORME DORTOIR – INT/NUIT

 

Plateforme. Dortoir. EUROPE qui tient la souris dans une main, s’approche de la table où se trouve la cloche du repas. Elle met la souris sous la cloche. Avec un couteau, elle fait quelques trous sur la cloche (en plastique). Elle va vers le lit, prend un oreiller et un rouge à lèvres dans son sac à main. Elle écrit un mot sur l’oreiller avec le rouge à lèvres et pose l’oreiller contre la cloche (mot pas tout de suite visible). Elle regarde vers le sol et remarque que les souris ont envahi tout l’espace. Elle va vers la porte d’entrée, l’entrouvre et pousse le flot des souris vers l’extérieur. Elle renouvelle ses efforts plusieurs fois, jusqu’à constater que le couloir est entièrement envahi. A son tour, elle se glisse vers la sortie. Par un mouvement panoramique, on découvre le mot au rouge à lèvres sur l’oreiller : « Ma remplaçante ». 

 

 

 

Scène 232 – PLATEFORME COULOIR – INT/NUIT

 

Plateforme. Couloir. EUROPE avance doucement, dans la pénombre, en rasant les murs. A chacun de ses pas, elle veille à ne pas écraser des souris. Elle passe devant les pieds du professeurs, qui continue de dormir. Elle atteint le bout du couloir et se dirige vers l’accueil. Au même instant, elle croise le GARDIEN qui, malgré les souris, tente de rejoindre le couloir.

 

 

Le GARDIEN (une fois dans le couloir)

 

Monsieur Germont ! Monsieur Germont ! 

 

 

PIERRE GERMONT, qui se réveille, enlève ses pieds de la chaise et retire la couverture. EUROPE réussit à s’échapper vers l’accueil. 

 

 

 

Scène 233  PLATEFORME ACCUEIL – INT/NUIT

 

Plateforme. Accueil. EUROPE traverse l’accueil, qui commence à être envahi, à son tour, par les souris. Elle se précipite vers la porte de sortie et sort.

 

 

 

Scène 234 – PARKING PLATEFORME – EXT/ NUIT

 

Parking de la plateforme. EUROPE court sur le parking de la plateforme. Elle va sur la route pour arrêter les voitures. Une voiture s’arrête. Elle monte dedans. 

 

 

 

Scène 235 –  SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/NUIT

 

Appartement d’EUROPE. Salon / Salle à manger. Des cartons empilés au milieu d’une pièce à moitié vide. EUROPE finit d’emballer les objets, bibelots et livres de son salon. Par instants, elle se fige pour voir si elle entend du bruit à l’extérieur. Un moment, elle se lève et s’approche de la baie vitrée de son salon. Elle regarde avec discrétion, à l’extérieur. Elle revient vers ses cartons pour poursuivre son emménagement. Elle s’arrête, à nouveau, en remarquant son portable posé sur une table basse. Elle se lève et part dans la cuisine.

 

 

 

Scène 236 – CUISINE APPARTEMENT d'EUROPE – INT/ NUIT

 

Appartement d’EUROPE. Cuisine. EUROPE ouvre des placards, prend des poêles et casseroles, les empile et revient vers la pièce principale.

 

 

 

Scène 237 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/ NUIT, puis JOUR.

 

Appartement d’EUROPE. Salon / Salle à manger. EUROPE range les poêles et casseroles dans des caisses. Elle se redresse, regarde la grande baie, aperçoit les premières lueurs de l’aurore. Une nouvelle fois son regard fixe le téléphone portable sur la table basse. Puis d’un mouvement vif, elle détourne le regard et repart dans la cuisine. 

 

 

 

Scène 238 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon / Salle à manger. EUROPE, près de l’entrée, téléphone. Tout en téléphonant, elle surveille les bruits extérieurs. 

 

EUROPE 

 

Oui, bonjour Monsieur. Je souhaite avoir un taxi. C’est pour aller à l’aéroport…

 

 

Sa conversation terminée, EUROPE repose son téléphone sur la table basse. 

 

 

 

Scène 239 –  AÉROPORT, HALL des DÉPARTS – INT/JOUR

 

Aéroport. Hall des départs. EUROPE pousse un chariot avec ses valises. Elle se dirige vers un comptoir d’enregistrement. Deux policiers en uniforme viennent vers elle. Le PREMIER POLICIER l’interpelle.

 

 

PREMIER POLICIER 

 

Vous êtes bien Europe Spartanikès ?

 

 

EUROPE

 

Oui.

 

 

PREMIER POLICIER

 

Veuillez nous suivre, Mademoiselle. Vous êtes interdite de sortie du territoire.

 

 

EUROPE (ébahie)

 

Quoi !

 

 

 

Scène 240 –  CHAMBRE APPARTEMENT d'EUROPE –INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Chambre. EUROPE pose une valise sur le lit  (une des valises de la séquence précédente) et l’ouvre. Elle prend ses vêtements dans l’armoire et les range dans la valise. Elle interrompt son geste, saisie par une crise de larmes. Elle s’effondre en pleurs sur son lit.

 

 

 

Scène 241 – SALON/SALLE A MANGER APPARTEMENT d'EUROPE – INT/JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Salon / Salle à manger. EUROPE sort de la chambre avec deux valises remplies et les place près de l’entrée. Elle prend un sac de voyage et le pose sur les valises. Elle revient vers la table basse, fixe son portable. Elle prend son portable et le glisse dans une poche de son sac à main. Elle va vers la baie et fait descendre un volet automatique.  

Bruit de la sonnette de la porte d’entrée. 

 

 

 

Scène 242 –  ENTRÉE APPARTEMENT d'EUROPE – INT /JOUR

 

Appartement d’EUROPE. Entrée. EUROPE ouvre la porte avec prudence. Elle aperçoit un homme : LE CHAUFFEUR de TAXI.

 

LE CHAUFFEUR DE TAXI

 

Votre taxi est là, Madame. Vous voulez un coup de mains pour les bagages ? 

 

 

EUROPE ouvre la porte plus en grand.

 

 

EUROPE (en se retournant et en désignant ses valises)

 

Mes affaires sont là… 

 

 

LE CHAUFFEUR entre et prend les deux valises et le sacs. EUROPE appuie sur le disjoncteur du compteur. Elle  prend son sac à mains, suit le chauffeur et referme la porte derrière elle. 

 

 

 

Scène 243 –  DEVANT IMMEUBLE APPARTEMENT d'EUROPE / EXT/JOUR

 

Devant l’immeuble de l’appartement d’EUROPE. Un taxi le long du trottoir avec ses warnings. Le CHAUFFEUR de TAXI ouvre une portière arrière et invite EUROPE à prendre place sur la banquette. Il ouvre le coffre et place les valises dans le coffre. EUROPE entre dans la voiture et referme la portière. Le chauffeur referme le coffre et s’installe au volant. 

 

 

 

Scène 244 – TAXI – INT/JOUR

 

Taxi. Le matin. Le CHAUFFEUR de TAXI allume la radio. Petite musique douce. Il met le contact. La voiture démarre. EUROPE jette un œil vers l’arrière. De nouvelles larmes arrivent à ses yeux. Elle les essuie, essaye de se laisser distraire par le paysage urbain. La musique est interrompue par un flash information.

 

 

JOURNALISTE FLASH INFO

 

Nous venons de l’apprendre. Secousse sismique de moyenne amplitude dans la région de Naples. Principalement touché, le parc de Capodimonte, avec son Palais royal ébranlé, de nombreuses chutes d’arbres, ainsi que des poteaux et fils arrachés.

 

 

Saisie par la nouvelle, EUROPE écoute, bouche bée…

 

 

 

Scène 245 –  BATIMENT de LINGUISTIQUE, BUREAU DIRECTEUR – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. PIERRE GERMONT, derrière son bureau, réajuste ses lunettes. Il tient un document à la main. (Extrait de la SEQU. 199).

 

 

PIERRE GERMONT

 

Cette fois, vous allez être informée

 

(En face de lui, EUROPE se tient droite et immobile sur une chaise./ Il lit). 

 

Nous sommes là à Naples, plus exactement dans le parc de Capodimonte.

 

 

 

Scène 246 – TAXI – INT/JOUR

 

Taxi. Troublée, EUROPE passe sa main sur son visage, comme pour essayer d’effacer ses pensées. Elle tourne nerveusement vers la vitre. 

 

 

 

Scène 247 – CENTRE de RECHERCHE – INT/JOUR

 

Salle du Centre de Recherche. PIERRE GERMONT présente à EUROPE, Le « Contrôleur Principal » (Extrait de la SEQU.40).

 

 

EUROPE

 

Que voyez-vous ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

On assiste à une montée en puissance, une accélération du phénomène événementiel depuis quelque temps. Cela fait que les événements se dissocient difficilement les uns des autres. Là, cependant, dans six mois environ, un séisme.

 

 

EUROPE

 

En Europe ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Il devrait être de magnitude moyenne. C’est à vérifier.  

 

 

 

Scène 248 – TAXI – INT/JOUR

 

De plus en plus troublée, EUROPE regarde dans un sens et dans l’autre, change sans arrêt de position. LE CHAUFFEUR de TAXI jette un œil dans le rétroviseur.

 

 

Le CHAUFFEUR de TAXI 

 

Quelque chose ne va pas, Madame ?

 

 

EUROPE se fige et fixe l’autoradio qui passe à nouveau une musique douce.

 

 

VOIX OFF de PIERRE GERMONT 

 

Ce sera en fin de compte beaucoup plus long que prévu. Le temps de vous réadapter à une situation normale. Vous avez été coupée du monde pendant six mois environ.

 

 

EUROPE redresse soudainement la tête, comme si elle prenait soudainement conscience qu’on venait de lui poser une question. 

 

 

EUROPE

 

Cela vous est-il déjà arrivé que quelqu’un renonce à son itinéraire et vous demande de faire demi-tour ? 

 

 

Le CHAUFFEUR de TAXI 

 

Dans notre profession, on voit de tout, vous savez. Des demi-tours ? Oui, ça arrive. Souvent, parce que les gens ont oublié un truc important : des clefs, un portefeuille, des billets d’avion… Une fois, pour une famille, c’était le chat. Et il y en a, on ne sait même pas pourquoi. Des gens perturbés, peut-être…

 

 

EUROPE : Alors, vous allez pouvoir m’ajouter à la liste de vos gens qui sont peut-être perturbés. Je vais vous demander de faire demi-tour. 

 

La voiture freine.

 

 

 

Scène 249 – COULOIR CENTRE de RECHERCHE –  INT/NOIR

 

Couloir du Centre de Recherche. EUROPE sort la carte et la met dans le boîtier. La première porte s’ouvre. Elle se dirige vers la seconde porte. Elle tape le code, mais la porte ne s’ouvre pas. Elle essaye une nouvelle fois, sans succès. Elle décide alors de frapper, puis de tambouriner sur la porte. La porte finit par s’ouvrir. EUROPE reconnaît devant elle, JEAN-FRANÇOIS.

 

 

EUROPE

 

Je veux voir Monsieur Germont.

 

 

JEAN-FRANÇOIS

 

Il n’est pas là. Je suis seul ici, en ce moment.

 

 

EUROPE

 

Il est où ?

 

 

JEAN-FRANÇOIS

 

Il a dû partir déjeuner avec les autres, dans leur restaurant habituel.

 

 

EUROPE

 

Non… Je suis allée voir. Il n’y est pas.

 

 

JEAN-FRANÇOIS

 

Alors, dans ce cas, il doit être du côté des hangars…

 

 

EUROPE

 

Des hangars ?

 

 

JEAN-FRANÇOIS

 

Oui. Vous connaissez déjà… Vous y avez été, avec les autres, quand il a fallu expérimenter l’hologramme de la voiture.

 

 

EUROPE

 

Je vous remercie.

 

EUROPE fait demi-tour. 

 

 

 

Scène 250 – HANGARS DÉSAFFECTÉS  – EXT/JOUR

 

Hangars désaffectés. EUROPE fait le tour des hangars et remarque un pré délimité par une clôture. Les barrières du pré rejoignent l’intérieur d’un hangar. EUROPE s’approche d’une barrière et se penche pour tenter d’apercevoir l’intérieur du hangar. 

 

 

EUROPE 

 

Monsieur Germont ! 

 

(Elle s’arrête et écoute. Bruit confus.) 

 

Monsieur Germont !

 

Surgit un taureau blanc. Sur la tête du taureau, une étoile noire. Surprise, EUROPE recule et met ses mains sur sa bouche.  

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT

 

Vous voyez… Il existe…

 

EUROPE se retourne  et aperçoit le professeur.

 

 

EUROPE

 

Monsieur Germont…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Appelle-moi par mon prénom. 

 

 

EUROPE

 

Je ne pouvais pas t'oublier… 

 

PIERRE GERMONT s’approche d’EUROPE, la prend entre ses bras, et l’embrasse. Bruit d’une voix qui racle la gorge, pour signifier sa présence. PIERRE GERMONT et EUROPE se défont de leur étreinte. Ils aperçoivent le CHAUFFEUR de MONSIEUR CASTILLON qui se tient debout, droit, la casquette à la main. 

 

 

Le CHAUFFEUR

 

Monsieur Castillon veut savoir où l’on doit ranger la Limousine.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Et bien, rangez la  dans le hangar. Comme d’habitude.

 

 

Le CHAUFFEUR 

 

Le problème, Monsieur Germont, c’est que ce n’est pas comme d’habitude. Car le hangar est aussi occupé par un animal et je crois bien que c’est un taureau. 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui, en effet. J’étais justement en train de placer une barrière… 

 

 

Le CHAUFFEUR 

 

Doit-on attendre que la barrière soit finie d’être placée ?

 

 

PIERRE GERMONT (en se dirigeant vers le pré)

 

Non. Vous pouvez déjà rentrer la voiture. 

 

Le CHAUFFEUR s’éloigne et PIERRE GERMONT enjambe la barrière de l’enclos pour se retrouver de l’autre côté. Il finit par disparaître dans le hangar. EUROPE se retourne. Elle aperçoit la Limousine qui s’engage dans le hangar. L’instant d’après, elle remarque MONSIEUR CASTILLON, qui ressort du hangar en époussetant sa veste. (Un sourire se dessine sur ses lèvres). MONSIEUR CASTILLON, à son tour, la remarque.

 

 

MONSIEUR CASTILLON (en restant à distance)

 

Bonjour Mademoiselle. Sachez que j’ai été enchanté de faire votre connaissance. Maintenant, il me faut regagner ma modeste voiture. 

 

(EUROPE voit MONSIEUR CASTILLON poursuivre son chemin à pied en direction d’une Mercedes. MONSIEUR CASTILLON s’installe au volant de la Mercedes, démarre et arrive à la hauteur de la jeune femme. Sa vitre se baisse.) 

 

Au revoir Mademoiselle. 

 

La vitre remonte. La voiture démarre. L’instant d’après, un motard, Le CHAUFFEUR de MONSIEUR CASTILLON, démarre à son tour en prenant une autre route. EUROPE aperçoit PIERRE GERMONT de l’autre côté des barrières. Elle le rejoint.

 

 

EUROPE 

 

N’est-ce pas le moment ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

De quel moment me parles-tu ?

 

 

EUROPE

 

Que j’essaye, pour le taureau…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Veux-tu vraiment voir la différence entre le mythe et la réalité ?

 

 

EUROPE

 

Il n’est pas dangereux, au moins ?

 

 

PIERRE GERMONT  (en regardant le taureau, qui se tient à distance) 

 

Ce midi, il a bien déjeuné, alors ça va… 

 

 

EUROPE (en se mettant sur la barrière)

 

Je veux essayer. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je ne sais pas si j’ai raison de t’écouter. C’est quand même risqué.

 

 

EUROPE

 

J’accepte de prendre ce risque. J’ai déjà débourré des chevaux, dans mon pays. J’ai même fait un peu de voltige équestre.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Mais le dos d’un taureau n’est pas le dos d’un cheval.

 

 

EUROPE

 

Pierre… 

 

(Elle le regarde). 

 

Je voudrais savoir de quoi est capable Europe.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Alors viens essayer, si tu insistes

 

 

EUROPE escalade la barrière. Quand elle arrive de l’autre côté, il la rattrape. Tous deux avancent vers le taureau. Une fois qu’ils sont près de l’animal, PIERRE GERMONT prend EUROPE dans ses bras et lui demande de tenir la corne de l’animal. Il fait asseoir la jeune femme, en amazone, sur le dos du taureau, mais l’instant d’après le taureau réagit dans une secousse brusque et PIERRE GERMONT parvient in extremis à rattraper EUROPE. Excité, le taureau se retourne et s’apprête à charger. En vitesse, PIERRE GERMONT et EUROPE regagnent les barrières. Tandis que le taureau fonce sur eux, PIERRE GERMONT aide EUROPE à passer de l’autre côté de la barrière. Il la rejoint après avoir repoussé du pied, la tête de l’animal. Tous deux se trouvent de l’autre côté des barrières de l’enclos. EUROPE semble exprimer la déception.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je te l’avais bien dit… 

 

 

EUROPE (en regardant le sol)

 

J’avais pourtant cru

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tu es déçue, en fin de compte, parce que tu te rends compte que je suis quelqu’un de complètement ordinaire, c’est ça ?  Mais il n’y a jamais de vrais dieux dans la réalité. Simplement quelques marionnettes qui peuvent vaguement leur ressembler. Le  langage de la vérité ne doit pas être confondu avec la vérité elle-même. La vie est ainsi

 

 

EUROPE (redressant la tête. / souriant) 

 

La marionnette me suffit, de toute façon. 

 

(Elle regarde les alentours). 

 

Mais tout est tellement confus dans mon esprit. Je ne sais plus départager le faux du vrai.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je sais…

 

 

EUROPE 

 

Cette condition m’épuise. Comme je suis tout le temps à m’interroger, je n’arrive plus à dormir.

 

 

PIERRE GERMONT (en s’approchant d’elle) 

 

C’est pour ça que tu devais rester avec moi. 

 

(Il pose ses mains sur ses hanches). 

 

Je vais t’aider. 

 

Il lui applique un baiser sur les lèvres.

 

EUROPE

 

J’ai envie de dormir.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Je vais te trouver un endroit pour que tu puisses récupérer

 

 

  

Scène 251 – MONTAGNE – EXT/JOUR

 

Un paysage légèrement montagneux avec une vue sur une vallée. Des cheminées d’usine, dans le lointain. Un sol rocailleux.  La voiture noire arrêtée près d’un chêne, une portière avant ouverte. Assis au pied du chêne, PIERRE GERMONT écrit une lettre en prenant appui sur un magazine. Sur la banquette arrière, EUROPE est allongée, une couverture posée sur elle. EUROPE se réveille, lève la tête, inspecte le paysage alentour. Elle décide de sortir de la voiture et va à la rencontre de PIERRE GERMONT. 

 

 

EUROPE

 

On est où ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Encore en France. Le nom du patelin ne devrait rien te dire.

 

 

EUROPE

 

C’est maintenant toi qui as décidé de profiter de mon sommeil.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ce n’est pas une bonne surprise, cette fois-ci ?

 

 

EUROPE

 

Et je peux savoir où l’on va ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Je t’emmène en voyage. Un petit tour d’Europe. Mais avant ça, il me faut rédiger des courriers rébarbatifs pour signaler notre absence.

 

 

EUROPE (en regardant le paysage) 

 

Bien. Dans ce cas, je poserai mes questions plus tard. 

 

 

PIERRE GERMONT (en poursuivant sa correspondance)

 

Tu peux me poser tes questions. Elles ne me dérangeront pas.

 

 

EUROPE 

 

Le tremblement de terre de Naples a bien eu lieu ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Oui. Il a bien eu lieu. Ce n’est pas une invention de notre part.

 

 

EUROPE

 

C’est curieux… à l’endroit du supposé taureau. Non, je veux dire, à l’endroit supposé du taureau…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Nos machines l’avaient prévu six mois plus tôt. Tu te souviens ?

 

 

EUROPE (regarde PIERRE GERMONT) 

 

Oui, je me souviens. Mais je trouve très étrange qu’il ait eu lieu, à cet endroit même… 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Il y a certains mystères qu’on ne peut pas toujours expliquer.

 

 

EUROPE

 

Et au sujet de Monsieur Castillon ? 

 

 

PIERRE GERMONT (en redressant la tête)

 

Quoi donc ?

 

 

EUROPE

 

Oh, j’ai bien compris que tu n’avais pas pu le foudroyer. Mais ce qui m’étonne le plus, en fin de compte, c’est que ce soit une de tes relations…

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Monsieur Castillon a certaines qualités. C’est un homme sensible et raffiné. Notamment. 

 

 

EUROPE

 

Mais il n’est pas du tout comme toi, il me semble…

 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Cet homme, dans le passé, a vécu dans l’excès. C’est vrai. Mais il a changé. Tu sais, on dit bien de certains titans, qu’ils se sont convertis à la cause des dieux. 

 

 

 

EUROPE (se tourne vers le paysage)

 

          La vue serait magnifique si on ne voyait pas au fond cette horrible usine…

 

Sa phrase a peine terminée, EUROPE voit l’horizon s’illuminer du jaillissement d’un éclair. Puis un grondement sourd auquel succède la détonation d’une profonde déflagration. 

 

 

EUROPE (tétanisée) 

 

Mais qu’est-ce c’est ? 

 

(Elle regarde à nouveau l’horizon, remarque une épaisse fumée noire. Les cheminées d’usine ont disparu). 

 

Oh, non !

 

 

VOIX de PIERRE GERMONT (hors champ) 

 

Attention à tes mots !

 

EUROPE se retourne et remarque que PIERRE GERMONT est debout dans son dos, son courrier tenu dans une main.

 

EUROPE 

 

Mais… Le ciel est bleu !

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Et bien, apprends que c’est possible. Même dans un ciel bleu. 

 

PIERRE GERMONT s’éloigne le temps de replier sa lettre et de déposer ses affaires dans la voiture. 

 

 

EUROPE (le rejoint) 

 

Comment une telle chose a pu arriver ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tu connais les quatre éléments…

 

 

EUROPE

 

Les quatre éléments ? Eau, air, feu, terre… C’est ça ?

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Un nuage, qu’est-ce que c’est ? De la vapeur d’eau. Tu as donc déjà trois éléments combinés sur les quatre : eau, air, feu. Quel est le quatrième élément manquant ?

 

 

EUROPE 

 

La terre, évidemment.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tu vois. C’est tout simple. Et comment ce quatrième élément va-t-il pouvoir se combiner aux trois autres ?

 

 

EUROPE 

 

Avec  la foudre qui donne l’éclair, c’est ça ? 

 

 

PIERRE GERMONT (en se rapprochant d’EUROPE) 

 

Quand ces éléments cherchent à se rencontrer, il s’en dégage une puissante énergie qui les sépare. Sans quoi…

 

 

EUROPE 

 

Ils fusionnent.

 

 

PIERRE GERMONT

 

La Création ne serait qu’éphémère…

 

 

EUROPE (en regardant l’horizon) 

 

Ce qui veut dire que l’orage est une force créatrice et non pas destructrice. Et pourtant…

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui, pourtant, dans la réalité, c’est une force destructrice. Mais la vérité n’est pas la réalité. 

 

 

EUROPE (regarde son interlocuteur dans les yeux)

 

Mais l’orage, ce n’est quand même pas pareil que le langage. Même si… tout peut-être langage, comme on me l’a expliqué

 

(Elle pose sa main sur son buste, la fait remonter en une lente caresse.) 

 

Cela fait des mois que je me sens séduite par un homme. Mais je ne sais toujours pas qui il est. 

 

 

PIERRE GERMONT se penche et embrasse sa partenaire. Puis il prend son poignet.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

On va y aller. Je vais te faire une expérience.

 

 

EUROPE 

 

Quelle expérience ?

 

 

PIERRE GERMONT (avec une expression de malice)

 

Tu vas voir…

 

 

 

Scène 252 –  VOITURE PIERRE GERMONT – INT/JOUR (avec alternance EXT/JOUR)

 

Voiture. Alors qu’ils roulent PIERRE GERMONT observe, dans des coups d’œil répétés, l’évolution du ciel. A travers le pare-brise, de gros amoncellements nuageux qui modifient la clarté du jour. La voiture monte une route de montagne de plus en plus escarpée. La route se rétrécit et serpente de plus en plus. Le ciel continue de s’assombrir. Des grondements d’orage. PIERRE GERMONT place la voiture le long d’une falaise, coupe le moteur et met le frein.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Ici, ça devrait aller. 

 

 

 

Scène 253 – BORD DE  FALAISE –  EXT/JOUR.

 

Voiture garée le long de la falaise. PIERRE GERMONT et EUROPE sortent du véhicule. PIERRE GERMONT va derrière la voiture, ouvre le coffre, sort un curieux pic en fer muni de lamelles. 

 

 

EUROPE 

 

Qu’est-ce que c’est ? 

 

(Elle met la main sur sa bouche). 

 

Mais oui, c’est le curieux bâton dont m’avait parlé Monsieur Castillon ! C’est quand il avait été hospitalisé.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Cela s’appelle « un foudre ». 

 

PIERRE GERMONT prend la main d’EUROPE pour la conduire sur un sentier escarpé. Nouveau grondement d’orage. EUROPE, de peur, lâche la main.

 

 

EUROPE

Non… Vas-y tout seul… Moi, je préfère regarder d’ici.

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tu ne risques rien…

 

 

EUROPE

 

Pourquoi m’imposer cette expérience ? 

 

 

PIERRE GERMONT 

 

Tu vas le savoir après

 

(Il tend une main, insiste). 

 

Allez… Un peu de courage… Tu vas voir. Ça va bien se passer… 

 

EUROPE prend la main de PIERRE GERMONT et se résigne à le suivre. Ils avancent sur la pente raide du sentier.

 

 

 

Scène 254 – SOMMET MONTAGNE – EXT/JOUR

 

Sommet d’une montagne. PIERRE GERMONT et EUROPE arrivent sur le sommet. Un espace nu duquel dépasse la pointe d’un sapin. Une partie de cet espace est occupé par de gros rochers. Le ciel est envahi de nuages sombres. De nouveaux grondements d’orage. 

 

 

 

PIERRE GERMONT (inspecte le ciel, puis le lieu)

 

Cet endroit devrait convenir. 

 

(Il indique à EUROPE les rochers)

 

Vas-y. Mets-toi là…

 

 

 

EUROPE (immobile)

 

J’ai peur…

 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Tu as bien envie de savoir jusqu'où vont mes capacités, non ?

 

 

 

EUROPE (en montrant les rochers)

 

Je ne tiens pas à monter ici…

 

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est un mauvais réflexe… C’est par le sol que tu risques surtout d’être foudroyée. Si je te demande de monter, c’est que j’ai de bonnes raisons de te le demander. 

 

(EUROPE se résigne à monter sur les rochers). 

 

De toute façon, maintenant, tu ne peux plus échapper à l’expérience. 

 

(Il pose son regard sur la cime du pin qui dépasse). 

 

Je vais choisir cet arbre.

 

 (Il regarde EUROPE, qui est arrivée en haut du rocher). 

 

 

EUROPE (replie ses jambes) 

 

Comme ça ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. Comme ça… 

 

 

PIERRE GERMONT choisit un endroit sur le sol, pour planter son foudre. Puis il incline la pointe du foudre vers celle de l’arbre.

 

 

EUROPE

 

Il faut attendre longtemps ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Non. Je te donnerai le signal, de toute façon… Pour l’instant, j’essaye de tracer une colonne ionique…

 

 

EUROPE

 

Alors, c’est scientifique…

 

 

PIERRE GERMONT

 

La science, elle, n’a pas de limite. Sinon, cela voudrait dire qu’elle devrait un jour, s’arrêter de progresser… 

 

 

PIERRE GERMONT finit de fixer le foudre. Puis il se sauve, court jusqu’au rocher et rejoint EUROPE.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Ça va être maintenant. Bouche-toi les oreilles.

 

En même temps qu’une bruyante déflagration, une lumière aveuglante, qui masque tout le paysage. EUROPE et PIERRE GERMONT, sous l’effet du blast, sont projetés en arrière.

 

 

PIERRE GERMONT (en se redressant) 

 

Ça va…

 

 

EUROPE

 

C’était étrange… Toute cette lumière, si blanche. 

 

(Elle se redresse à son tour). 

 

J’espère au moins que c’est la dernière des expériences que tu m’imposes…

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’était la dernière, promis.

 

 

EUROPE

 

J’ai vraiment eu très peur. Pourquoi cette expérience m’était indispensable ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

C’est à toi de comprendre…

 

 

EUROPE

 

C’est pour mieux savoir qui tu es ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Rappelle-toi… Tu me reprochais de t’avoir trompée.

 

 

EUROPE (en regardant devant elle)

 

Je ne suis pas la personne la plus trompée. C’est ça ? 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. La situation était même inverse. Toi, tu savais déjà. Ce sont les autres que j’ai dû tromper. Toute l'équipe du Centre de Recherche n'a pas su avoir autant de lucidité que toi.

 

 

EUROPE

 

Alors, pourquoi les autres sont-ils trompés, dans ce cas ?

 

 

PIERRE GERMONT

 

Il n’est pas toujours facile, pour l’esprit, d’admettre certaines vérités. On préfère trouver refuge dans des pensées un peu confortables…

 

 

EUROPE 

 

Tu veux dire que tu ne les as pas trahis. 

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. Ils avaient tous les éléments pour savoir…

 

 

EUROPE

 

Oui, pour savoir, se faire un jugement et un esprit critique…

 

La pluie se met à tomber.

 

 

PIERRE GERMONT

 

Oui. Tout à fait.

 

 

EUROPE

 

Il me semble déjà avoir entendu ce discours…

 

 

PIERRE GERMONT (se lève et tend une main)

 

Il faut nous mettre à l’abri… 

 

 

 

Scène 255 – VOITURE PIERRE GERMONT PARC HÔTEL – EXT/NUIT

 

La voiture roule dans la nuit. Elle traverse les grilles d’un luxueux parc et arrive devant le bâtiment imposant d’un grand hôtel, aux fenêtres éclairées.

 

 

 

Scène 256 –  VOITURE PIERRE GERMONT PARC HÔTEL – EXT/NUIT

 

La voiture se gare. PIERRE GERMONT et EUROPE sortent de la voiture. PIERRE GERMONT prend EUROPE par la taille. Au moment où le couple s’approche du perron, des lumières extérieures s’allument automatiquement. Musique.

 

 

 

Scène 257 – HALL HÔTEL – INT/NUIT

 

Hall de l’hôtel de luxe. L’hôtel semble désert. EUROPE regarde avec émerveillement son haut plafond. PIERRE GERMONT s’approche de l’accueil. Une réceptionniste saisit une clef et se lève. 

 

 

 

Scène 258 – SALON-BAR HÔTEL –  INT/NUIT

 

Hôtel de luxe. Salon bar. PIERRE GERMONT et EUROPE sont installés sur la banquette d’un salon bar. Devant eux, des coupes de champagne remplies. Ils lèvent leurs verres pour trinquer et s’embrassent. Un pianiste leur joue un air. Ils sont seuls dans le salon. Musique.

 

 

 

Scène 259 – CHAMBRE HÔTEL – INT/NUIT

 

Hôtel de luxe. Chambre. Une pièce cossue avec un coin bibliothèque et un lit posé sur une estrade. EUROPE inspecte la pièce d’un rapide coup d’œil, puis se tourne vers PIERRE GERMONT. Un regard brillant.  PIERRE GERMONT referme derrière lui, la porte de leur chambre. Il s’avance vers EUROPE, l’étreint avec force et l’embrasse avec fougue. Il la déshabille, commence par dévêtir ses épaules. Il l’entraîne vers le lit. Tous deux basculent sur le lit. Il enlève sa chemise et étreint de nouveau sa partenaire.

 

 

 

Scène 260 – VOITURE PIERRE GERMONT ARRIVÉE HONGRIE –  EXT/JOUR 

 

La voiture roule dans la campagne, en direction de la frontière hongroise. Un panneau : « Bienvenue en Hongrie », en hongrois (traduire avec sous-titres). La voiture passe devant le panneau. Musique. 

 

 

 

Scène 261 – CENTRE-VILLE BUDAPEST –  EXT/JOUR

 

Budapest. EUROPE et PIERRE GERMONT visitent la ville. Ils marchent le long du Danube. Musique.

 

 

 

Scène 262 –  BAINS THERMAUX HONGRIE – EXT/JOUR

 

Bains thermaux de Széchenyi. Un bâtiment néobaroque. Des bassins circulaires investis par les baigneurs et desquels s’échappent des vapeurs de fumée. EUROPE et PIERRE GERMONT se prélassent dans un des bains. Musique.

 

 

 

Scène 263 – BATEAU de CROISIERE –  EXT/NUIT

 

Bateau de croisière sur le Danube. EUROPE et PIERRE GERMONT, enlacés sur le pont du bateau, regardent le ciel.

 

 

 

Scène 264 – BATEAU de CROISIERE –  INT/NUIT

 

Bateau de croisière. Dans le bateau, un restaurant. PIERRE GERMONT invite EUROPE a s’asseoir à une table où sont dressés deux couverts et s’assoit à son tour, en face d’elle. Chacun prend le menu posé sur l’assiette. Au milieu des tables et des convives, sur une petite estrade, un groupe de tsiganes joue un air joyeux et entraînant. 

 

 

EUROPE (fronce les sourcils) 

 

Je ne comprends rien à ce qui est écrit. 

 

(Elle montre le menu à PIERRE GERMONT). 

 

PIERRE GERMONT 

 

(lit en posant un doigt sur le texte du menu)

 

Goulache. C’est une soupe locale. Foies d’oie poêlés accompagnés de lamelles de pomme de terre et de tomates au paprika…

 

 

EUROPE (en abaissant le menu) 

 

La diversité des langues, pour toi, n’est jamais un obstacle.

 

 

PIERRE GERMONT

 

La diversité est une richesse. La vie serait fade s’il n’existait qu’une seule couleur. Et l’Europe serait ennuyeuse si elle n’était qu’un seul pays. 

 

 

En dernier plan, le groupe de tsigane qui joue. La musique devient plus forte.

 

 

 

Scène 265 – COULOIR BÂTIMENT de LINGUISTIQUE – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Couloir du bureau de PIERRE GERMONT. Un homme typé méditerranéen, le FRÈRE d’EUROPE, avance dans le couloir en direction de la porte du bureau. Après un instant d’hésitation, il frappe à la porte. 

 

 

VOIX de JACQUES

 

 Entrez !

 

 

Scène 266 – BÂTIMENT de LINGUISTIQUE / BUREAU du DIRECTEUR – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. Le FRÈRE d’EUROPE entre. JACQUES se lève.

 

 

Le FRÈRE d’EUROPE

 

Bonjour Monsieur. Je ne vais pas vous déranger longtemps. Je suis le frère d’Europe. Si je viens ici, c’est que je n’ai plus de nouvelle de ma sœur depuis longtemps. Ni moi, ni sa mère, ni le reste de sa famille.

 

 

JACQUES

 

Aux dernières nouvelles, votre sœur allait bien. Quand elle est partie d’ici, elle était accompagnée.

 

 

Le FRÈRE dEUROPE

 

Et vous savez où ils sont actuellement ?

 

 

JACQUES

 

Non…

 

 

Scène 267 – VUE AÉRIENNE DE LA PORTE DE FER EN ROUMANIE – EXT/JOUR 

 

 Dans une vue aérienne, la voiture noire roule sur une route qui longe le Danube. La voiture longe « La Porte de Fer » (en Roumanie).

 

 

VOIX OFF de JACQUES

 

On sait qu’ils ont été en Hongrie. Puis ils ont continué à suivre les méandres du Danube. Ils ont atteint la « Porte de Fer », qui sépare les Carpates et les Balkans. Ils sont entrés en Roumanie...

 

 

 

Scène 268 – BÂTIMENT de LINGUISTIQUE BUREAU du DIRECTEUR –  INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Bureau de PIERRE GERMONT. JACQUES parle au FRÈRE d’EUROPE. 

 

JACQUES 

 

Certains prétendent les avoir vus continuer leur route jusqu’à la Mer Noire et c’est là que nous avons perdu leur trace. Enfin, il semblerait, d’après une certaine rumeur, qu’ils auraient traversé l’Ukraine pour atteindre les contrées de l’Oural. Mais comme je vous le dis, ce ne serait qu’une rumeur. 

 

 

Le FRÈRE d’EUROPE

 

Je vous remercie Monsieur. C’est tout ce que je souhaitais savoir. 

 

(Il appuie sur la poignée de la porte). 

 

Je vous laisse travailler. Au revoir, Monsieur. 

 

 

 

Scène 269 –  BÂTIMENT de LINGUISTIQUE BUREAU du DIRECTEUR – INT/JOUR

 

Bâtiment de linguistique. Couloir du bureau de PIERRE GERMONT. Le FRÈRE D’EUROPE sort et ferme la porte. Le dernier plan est celui de la porte fermée. Musique. 

 

 

 

Scène 270 – Images de l’EUROPE

 

Images du Parlement européen. Derrière des vitres, des traducteurs, casques sur l’oreille, traduisent les messages en différentes langues européennes. Images de lieux symboliques en vues aériennes / plans en plongée : Londres, Venise, Madrid, Wien, Le Connemara, etc. Texte en surimpression : « D’origine crétoise, le mythe des amours de Zeus et d’Europe est l’un des plus vieux mythes de l’histoire. Il est né avec l’histoire d’un continent et lui a légué un nom : Europe ». En enchaînement, le générique de fin. 

 

 

 

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 
 
 

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